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Yunyan balaie la lune

Ce matin l’histoire en guise de koan ou de parabole de Yunyan, en japonais Ungan Donjo, qui balaie la lune. Ungan Donjo, 8ème siècle, était originaire du nord-est de la Chine, près de la frontière coréenne. On dit qu’il devint moine à seize ans au temple Shimen, avec Hyakujo pour maître. Il passa vingt ans auprès de lui, sans atteindre l’éveil. A la mort de Yakujo, il se rendit auprès de nombreux maîtres avant de rejoindre Yakusan, héritier de Sekito, qui devint son nouveau maître. Notre lignée soto, de so pour Sozan et to pour Tozan est en fait issue de Tozan et de Ungo Doyo, héritier de Tozan. La lignée de Sozan s’est effectivement arrêtée très tôt avec son unique successeur.

Dans une compilation de biographies réalisée beaucoup plus tard en 1119 la paternité du célèbre Hōkyō Zanmai est attribuée à Ungan Donjo. Toutefois, il est rapporté qu’il l’a remis à Tozan, et il est également ajouté que lui l’avait probablement reçu de son propre maître, Yakusan.

En résumé l’origine de l’Hokyo Zanmai est douteuse, compte tenu de la façon dont il est apparu dans les chroniques. Voici donc l’histoire :

Ungan Donjo était en train de balayer la cour quand Guishan, Isan Reiyu en japonais et héritier de Hyakujo, lui dit:

  • Trop occupé
  • Tu devrais savoir qu’il y en a un qui n’est pas occupé
  • Si c’est ainsi, dit Isan, alors il existe une deuxième lune

A ce moment Ungan Donjo leva son balai et lui dit:

  • Quelle lune est celle-ci?

Le commentaire de Dogen sous forme de poème dans le Eihei Koroku, volume 9, au paragraphe 12 est le suivant:

Qui à la fois balaie la cour et voit la lune ?

Saisissant la lune, il ne balaie pas en vain.

Au milieu de dizaines de milliers de lune il y a cette lune

Bien qu’elle soit nommée la seconde, comment y en aurait-il une première ?

Donc Isan voyant Ungo Donjo s’affairer en balayant la cour pense qu’il s’agite beaucoup et sur le coup lui lance une remarque du genre : « Tu t’agites trop, comment peux-tu avoir l’esprit si agité ? Tu perds ton calme, sous-entendu peut-être même tu ferais mieux de pratiquer un peu de méditation, tu agirais alors avec plus de sérénité ! » C’est le genre de remarque qu’il s’agit d’adresser à soi-même et non les lancer à quelqu’un d’autre. Il arrive des fois que des pratiquants se croient appelés à jouer les redresseurs d’esprit alors qu’eux-mêmes nagent en plein brouillard.

Ungan Donjo lui fait remarquer qu’intérieurement, au fond de lui-même, son esprit est parfaitement calme et serein, bien qu’il balaie de façon énergique. Donc Isan rate sa cible. Néanmoins il insiste, avec cette histoire de deux lunes, qu’à ce moment Ungan Donjo perdrait toute unité de lui-même et se trouverait tiraillé par une dualité intérieure entre un être commun, agissant de façon agitée dans le monde, et un être intérieur calme, serein et éveillé. On sait par ailleurs que la lune représente l’éveil, l’esprit. Isan imagine à partir de la réponse d’Ungan Donjo que deux personnes sont présentes en face de lui, l’une agitée et l’autre sereine. Y aurait-il alors deux éveils différents ? Deux lunes ? Deux esprits en chacun de nous ?

Du coup Ungan Donjo lève son balai comme un kotsu de patriarche et clôt la discussion : il n’y a qu’une lune, qu’un être éveillé, un éveil complet et insurpassable. Pas de différence entre l’esprit de la vie quotidienne, et l’esprit d’éveil, pas de différence entre la sérénité de zazen et balayer en s’activant vraiment. On voit ça des fois cette confusion qu’il peut y avoir chez certains concernant l’attention et l’action : ils pèlent les carottes pour la guen-mai tellement concentrés sur eux-mêmes qu’il traitent une carotte à l’heure pensant qu’ils doivent garder une forme d’esprit immobile comme en zazen. C’est hyper énervant le samu des endormis.

Dogen rappelle alors qu’un être éveillé n’agit jamais en vain, de façon purement commune mais donne un sens à tout ce qu’il fait, que ce soit balayer, nettoyer les toilettes ou s’asseoir. J’ai compris cela moi-même quand Edouard lors d’un camp d’été  à Oberchapinna en Suisse avec Maître Kosen m’a mis par compassion éveillée aux nettoyage des chiottes pendant trois semaines. En fait j’étais très content, en plus c’était vite fait, un coup de patte, de serpillère par terre, tirer l’eau et hop ! L’activité éveillée est un bonheur simple à ne pas rater, l’attention rapide. Parmi les dizaines de milliers d’activités un seul éveil, une seule lune.

Tous nous avons de multiples activités prenantes, des responsabilités auxquelles nous ne pouvons pas échapper et qui nous prennent la tête. Il s’agit de s’occuper à 100%, à partir de ne pas s’occuper, agir à partir du non-agir, allier la responsabilité avec le non-attachement. En chaque chose agir entièrement et ne laisser aucune trace dans notre esprit, à chaque instant, ainsi rien ne s’accumule et dukkha n’apparaît pas, notre vie tourne rond, saisir la lune et arrêter de s’intéresser au doigt qui la montre. Si vous avez l’intention de montrer la lune, alors montrez-là à vous-même, pas aux autres. « Redressez vos propres manches, dit Etienne, pas celles des autres. » C’est un bon enseignement je trouve, que j’adresse donc à moi-même en premier lieu tout en vous le conseillant avec amitié, à vous de voir, je ne vais pas vous cuire les patates.

Bibliographie :

« Dogen’s Extensive Record. A translation of the Eihei Koroku. », traduit par Taigen Dan Leighton et Shohaku Okumura, Wisdom Publications, Boston, ISBN 0-86171-305-2.

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