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Trouver un équilibre dans sa vie.

Zazen 1

Au cours de toutes mes années dont la moitié fut accompagnée de la pratique de zazen et de l’enseignement du Bouddha-Dharma, je me suis finalement rendu à l’évidence que chacun de nous doit reconnaître ce qui est vraiment valable, ce qui représente une véritable valeur dans sa vie.

Beaucoup de gens ne se posent jamais cette question, ou n’ont pas la possibilité de se la poser car ils doivent courir tout le temps pour assurer leur survie, d’autres attribuent beaucoup de valeur à des possessions, des positions sociales, de la reconnaissance extérieure et comptent sur toutes ces choses pour donner une position respectable à leur vie. Ils croient par cela pouvoir créer des formes de vie assurées, comme acheter des assurances pour tout, assurance-vie, juridique, vol, dégâts d’eau. Il y en a tellement dans notre société qui cherche à s’assurer sur tout, à se protéger de tout, que tout soit bien à sa place, les choses, les gens, les réfugiés, les étrangers. Personne ne peut vivre sans soucis existentiels.

Il faut aussi de l’humour, voir que tout cela est un jeu, le jeu de la vie et qui ne repose sur rien de permanent, sinon des formes illusoires. Notre bol restera vide quoi que nous mettions dedans.

Au 13ème siècle Gyalse Thogme Sangpo, du Tibet, a écrit :

“Alors que je serais fameux, et révéré par beaucoup
Aussi riche que le dieu des richesses lui-même
Voir que les ressources et la gloire du monde sont sans essence
Et être libre de toute arrogance,
Est la pratique du Bodhisattva.”

Et dans ses commentaires de ce texte, Dilgo Kyantse Rinpoché dit :

« Un bodhisattva voit que la richesse, la beauté, l’influence, la prospérité, la lignée familiale – en fait tout ce qui concerne cette vie – est aussi éphémère qu’un éclair, qu’une goutte d’eau, aussi transparent qu’une bulle, aussi évanescent que la peau d’un serpent. Il n’est jamais fier, quels que soient les résultats et les privilèges qui peuvent venir à lui. »

Si nous relions, si nous attachons notre sens de nous-mêmes purement à des valeurs extérieures ou à ce que d’autres gens disent à propos de nous, qu’ils soient laïcs ou maîtres zen, alors nous serons toujours en train d’errer d’une position à une autre, et nous perdons ce que nous sommes vraiment à l’intérieur de nous-mêmes : notre esprit de la Voie, notre joie, notre faculté d’agir libre et de prendre les bonnes décisions.

Retrouvons, nourrissons notre légèreté d’être, notre liberté ouverte et resplendissante, et évitons de ne voir que nos conceptions, nos jugements. Sinon, c’est dukkha.

C’est comme quelqu’un qui s’obstine contre toute évidence à vouloir marcher dans la neige fraîche avec des souliers de ville, il s’enfonce de plus en plus mais comme un ignorant qui ne veut pas démordre de ce qu’il pense, il continue jusqu’à ce qu’il soit bloqué. Pour faire cela il vaut mieux avoir des raquettes ou des skis de fond. Nous apprenons à comprendre ce qui nous arrive, à l’accepter et à l’utiliser sur notre chemin. Le point est de rester ouvert et attentif.

Nous devons voir ce qui possède une véritable valeur car nous n’obtiendrons jamais tout ce que nous voulons et nous ne pourrons jamais éviter toutes les choses que nous ne voulons pas. Tout se paie d’une façon ou d’une autre dans notre vie, il n’y a pas de voyageur, chacun conduit le train.

Face à cela nous devons trouver un équilibre dans notre vie. Chacun doit trouver son équilibre, chacun doit créer lui-même son équilibre dans sa vie s’il veut éviter de tomber dans les mondes inférieurs du samsara.

Zazen 2

Ne croyez pas que vous pourriez créer un équilibre statique, permanent, protecteur et bien défini. Vous pouvez le désirer tout en sachant que vous vous faites des illusions et rire de vous-mêmes. On fabrique continuellement nos propres illusions, c’est comme ça encore ne faut-il pas y croire, s’y attacher et les prendre pour la réalité.

Vous avez tous vu un équilibriste sur son fil d’acier, soit au cirque ou sur un filin reliant deux buildings de New York. Il n’a pas de stabilité statique. A chaque pas il titube un peu et recrée son équilibre et quand c’est fait alors il avance d’un pas à nouveau. Il avance à partir de son équilibre et non à partir du déséquilibre. Ainsi nous devons créer notre équilibre chaque jour, à chaque pas, à chaque décision de notre vie.

Il nous faut développer deux qualités : apprendre à accepter ce qui arrive et à l’utiliser comme notre chemin, et non se braquer sur les phénomènes ou essayer de tout contrôler. Et développer de l’équanimité de telle façon que quoi qu’il arrive nous puissions maintenir notre tranquillité et ainsi gérer les situations d’une manière appropriée sans être débordés.

Il y a aussi l’équilibre tout simple dans notre monde relatif, notre monde de chaque jour, avec notre pratique et nos problèmes. Trouver un équilibre entre la pratique de zazen, essentielle à notre équilibre intérieur, nos vœux de bodhisattva qui sont un engagement total, la famille, le travail. La difficulté est que nous ne pouvons ni pratiquer le zen à 30%, la famille à 30% et le travail à 40%, ou essayer de concocter un autre mélange, tout nous demande un engagement total. Alors comment faire ? Il est impossible de dire à sa compagne ou son compagnon, à ses enfants, au travail : « Je ne suis libre pour vous qu’à 30%. » Ceci est également impossible si nous pratiquons une Voie sincère. « Je ne suis libre pour le Bouddha qu’à 30%. »

Soyons attentifs pour préserver des moments pour nous tourner vers l’intérieur et pouvoir réajuster notre équilibre, retrouver notre liberté d’être et ainsi avancer sur notre chemin qui n’a ni début, ni fin. C’est pourquoi la pratique de zazen tout en vivant une vie active dans le monde est appelée la Voie difficile. Peu de pratiquants arrivent à trouver la bonne organisation, beaucoup abandonnent pour mener une vie qu’ils appellent « normale » – mais une vie normale ça n’existe pas – ou se trouvent dans des situations où rien ne va, et c’est dukkha. Et tout le monde autour d’eux souffre, famille, sangha, collègues de travail, et eux aussi.

Pendant des années j’ai continué la pratique, à diriger le dojo au milieu d’horaires et de responsabilités très lourdes au CERN, la famille, et j’habitais dans le canton de Vaud, se lever très tôt, le sommeil, gérer tout le mieux qui nous est possible. Donc c’est faisable si on garde l’esprit de la Voie et la confiance de ce que l’on fait. Continuer est le vrai satori.

Il faut éviter de se retrouver pendus par les pieds la tête en bas à une branche avec un tigre dessous et une araignée venimeuse qui descend le long de la corde. Là c’est trop tard. Comment ne pas en arriver là ? Chacun doit gérer sa vie en tenant compte de tout, lui-même, le monde extérieur, et les conditions. « Le zen, c’est la vie. », disait Etienne Mokusho Zeisler. Sans le zen c’est toujours la vie, mais ce n’est pas le zen. Il faut faire des choix, avec sagesse.

Mais des fois il nous faut aller au-delà de notre situation d’équilibre, ne pas craindre le déséquilibre, se jeter dans le vide du haut du mât de cent pieds, et prendre des risques comme un grand bodhisattva.

Au cours des années j’ai entendu des phrases comme celle-ci : « Ah non ! A part pratiquer zazen quand je peux, il ne faut rien me demander de plus ! » Personne ne demande rien à personne. Chacun s’adresse à soi-même. Le zen n’est pas une Voie du politiquement correct, de la pensée unique, des naïfs satisfaits, bien au contraire, c’est une Voie vivante, pleine d’écueils, de vagues, de remises en question, de doutes, de pertes et de déséquilibres soudains. Comme a dit Suzuki Roshi : « La vie est comme monter dans un bateau qui est sur le point de naviguer sur la mer et d’y couler. » Donc il ne faut pas se noyer, mais surfer et faire le mieux que nous pouvons pour nous-mêmes et pour tous.

Equilibre, déséquilibre, sont les deux faces d’une même pièce. Il faut comprendre les deux et naviguer avec le vent. Sinon on reste sur place par peur de hisser les voiles, ou on sombre dans le déséquilibre.

Le zen n’est pas pour moi une institution, un ensemble de règles figées, mais au contraire un monde de découvertes, d’exploration, de liberté vibrante comme toute existence éveillée. Il s’agit de naviguer sur l’océan, et non de canoter dans les eaux du port.

Zazen 3

Pour ce dernier kusen je vous ai traduit quelques passages d’un livre de la Vénérable Jetsunma Tenzin Palmo « Into the heart of life », soit « Au cœur de la vie ». Tenzin est un lama d’une spiritualité magnifique, elle fait partie de la grande sangha du Gyalwang Drukpa, de la tradition Kagyupa du bouddhisme Vajrayana.

« Le Bouddha a quitté sa maison parce qu’il a fait l’expérience que la vie n’est pas toujours ce qu’elle apparaît être. Le Bouddha est parti d’où nous sommes. Son premier discours ne fut pas à propos de la joie et du bonheur, mais de la souffrance, où nous sommes. Il a parlé de la nature de l’insatisfaction existentielle et donc a commencé où nous sommes nous-mêmes.

Après son éveil le Bouddha a dit : « La vie que nous menons n’est pas satisfaisante. Il y a quelque chose qui manque à l’intérieur, un vide interne, un sentiment intérieur d’absurde que nous ne pouvons pas remplir avec des choses ou avec des gens. Quelle est la cause de cette inquiétude interne, ce sentiment d’insatisfaction qui nous mange ? » Le désir d’attachement qui provient de notre ignorance. Ignorance de l’impermanence.

Nous sommes attachés à tellement de choses, aux gens aussi. Nous croyons que nous tenir à ces choses et à ces gens nous donnera de la sécurité et que la sécurité nous donnera le bonheur. C’est une illusion fondamentale.

Personne ne nous attache à cette chaîne d’insatisfaction nous le faisons nous-mêmes. Nous croyons que si nos désirs sont satisfaits, alors nous serons heureux. Mais le fait est que ce que nous voulons ne peut jamais être atteint. Le monde ne pourra jamais remplir toutes nos expectations ni nos rêves irréalistes.

Nous avons le potentiel humain d’aller au-delà vers quelque chose de beaucoup plus profond qui nous donnera un véritable calme intérieur, pas seulement du plaisir superficiel, mais vrai, profond, un bonheur qui dure. C’est à l’intérieur de nous, ce n’est pas quelque part là-bas. Un esprit plus tranquille, plus centré, qui est capable de tenir les choses légèrement, un esprit qui ne veut pas toujours attraper. La réponse est à l’intérieur de nous.

Le bonheur naturel vient du cœur. Il vient d’un esprit qui est devenu plus stable, plus clair, plus présent dans l’instant ; un esprit qui est ouvert et qui prend soin du bonheur des autres. C’est un esprit qui possède une sécurité intérieure, une conscience que ce qui arrive peut être géré. C’est un esprit qui ne s’accroche plus si fort, un esprit qui tient les choses légèrement. Cette sorte d’esprit est un esprit heureux.

Tant que nous sommes fixés sur nous-mêmes, sur comment nous pourrions être heureux, nous ne le serons jamais. Ce n’est que quand nous ouvrons nos cœurs pour inclure tous les êtres que nous découvrons soudainement qu’il y a de la joie en nous.

Ces qualités deviendront de plus en plus fortes une fois que nous pratiquons. Tant que nous comptons sur les choses ou sur d’autres gens pour notre bonheur, nous ne serons jamais réellement satisfaits, parce que toutes choses sont impermanentes. Elles sont transitoires, sans aucune sécurité.

La seule véritable joie, le bonheur, se trouve en nous-mêmes. C’est là qu’elle est. »