Zazen 1
Ce camp d’été est béni par tous les Bouddhas, par les Patriarches qui nous ont pris par la main, comme le fut la sesshin de Cuba qui vit la renaissance d’un sangha sous la conduite d’un maître cubain, Ryushin, courageux dans ses opinions, décidé dans ses actions et transparent dans son esprit. Dès aujourd’hui dans ces Préalpes fribourgeoises le même esprit du Dharma libre, ouvert, et indépendant, se transmettra à Ken San et Shin Ryu, et ainsi résidera aussi au cœur d’une ville internationale. Par-delà l’océan Atlantique les deux communautés d’éveil seront réunies, pratiquant comme des sœurs, tout en restant des frères, l’enseignement du Bouddha-Dharma universel. Universels, ou tout au moins venant de partout, nous le sommes : cubains résidents à Cuba ou ailleurs, français, espagnols, colombiens, argentins, canadiens et quelques suisses également, ici ou à l’étranger, minoritaires et qui fournissent des efforts pour apprendre l’espagnol.
Dans l’ancien temps dans le Pays de Vaud, il y avait au sommet des côtes des bornes en pierre appelées bornes à sabots. Pas les sabots des chevaux mais les sabots en bois serrant les roues pour freiner à la descente. Les bornes servaient donc à avertir les conducteurs des chars ou des diligences de façon que personne ne soit en danger. Ces deux transmissions à Cuba et en Suisse jouent un peu le même rôle : cette diligence-là et ses chevaux est arrivée au point où la descente s’amorce, il faut ralentir et laisser passer devant celles qui sont emmenées par des forces plus jeunes.
Ceci est exactement l’enseignement de mon maître bien-aimé Etienne Mokusho Zeisler dont l’esprit, presque l’âme pourrais-je dire, m’a accompagné pendant déjà 38 ans. Il a dit et je crois il fut le seul à le dire : « S’il-vous-plait passez devant, enseignez, devenez maîtres. » Ces jours c’est à moi de le dire : « Devenez maîtres. » De vous-mêmes, de vos illusions, de votre esprit, de vos actions, de votre réalité. Soyez sincères en tout, ne fuyez rien, ne cherchez plus rien, c’est à vous à donner tout, c’est votre réjouissance.
Un bodhisattva, un maître zen, donne tout ce qu’il a, tout ce qu’il a dans le cœur, transmet tout ce qu’il découvre, à table il est servi en dernier car c’est à lui à servir les autres. Ne cherchez plus un refuge pour vous-même, mais soyez vous-même un refuge pour les êtres, ne cherchez pas la lumière mais soyez confiants dans la vôtre et éclairez la partie du monde dans laquelle vous vivez. Passez devant, devant vous il n’y a personne à qui vous puissiez vous accrocher, personne à qui vous pourriez demander quoi faire, vous devez faire face aux loups, vous êtes les bergers. Cette phrase biblique : « Je suis le bon berger » c’est vous, il n’y a personne d’autre. Le sangha c’est vous, intégrer le zen en vous est votre quotidien, découvrez que c’est aussi votre énergie et votre joie.
Mais comme disait Lin-Chi : « La vie d’un maître zen n’est qu’une longue suite d’erreurs. » Car vous les verrez, toutes. Continuez, toujours et encore continuez, laissez vos doutes ou vos inquiétudes sur le chemin et reprenez votre bâton de pèlerin et vos forces en vous dirigeant héroïquement vers l’horizon, vers l’éveil. Emmenez tous ceux qui pratiquent avec vous, mais laissez-les libres d’avancer selon leur rythme.
La vie d’un moine ou d’un maitre zen est aussi une suite de découvertes. Gardez l’esprit et le cœur ouverts pour qu’elles puissent vous toucher et vous apporter de la joie.
A part ça, débrouillez-vous comme tous les Patriarches l’ont fait avant vous.
Intermède :
Pendant cette sesshin je voudrais intercaler des périodes d’enseignement et des périodes de zazen en silence. Les enseignements sont utiles s’ils dépassent le niveau des oreilles. Ils sont semblables à des bulles qui éclatent à la surface de l’eau. A vous de trouver la matière vivante qui les a libérées. L’enseignement ne se limite pas du tout aux paroles prononcées, mais ne peut être un outil de transformation que par une réflexion profonde de votre part à partir de lui, qu’il soit merveilleux ou banal ; il n’est que la boue de l’étang, un terreau possible. L’important est ce que vous en faites, à vous d’en faire pousser des fleurs de lotus qui enchanteront tout le monde.
Zazen 2
Lingyuan Weiqing, XII-XIIIème siècles en Chine (Reigen Isei en japonais, 9ème successeur de la branche Rinzai après Lin-Ji lui-même) dit :
Un ancien maître dit, « En étudiant la Voie, réaliser est difficile ; lorsque vous l’avez réalisée, la préserver est difficile. Lorsque vous pouvez la préserver, la mettre en pratique est difficile. » Lorsque vous intégrerez entièrement la Voie en vous-même, ceci sera encore plus difficile que la réaliser et la préserver.
Généralement parlant, la réalisation et la préservation sont une question d’effort continu et de persévérance affermie, luttant seul de votre côté ; mais la pratique demande un esprit égal et un engagement de toute la vie pour vous oublier vous-même et aider les autres.
Si l’esprit n’est pas égal et l’engagement n’est pas ferme, alors la perte et le bénéfice seront à l’envers, et vous dégénérerez en un moine mondain commun – c’est quelque chose à laquelle il faut faire attention.
« En étudiant la Voie, réaliser est difficile. »
Tous nous sommes des étudiants du Bouddha-Dharma, de la Loi, qui pourrait prétendre en être le professeur ? Même si nous lisions tous les sutras, tous les textes du vinaya, tous les écrits fondamentaux ou même toutes les idioties parues sur le bouddhisme et le zen, aurions-nous seulement par cela réalisé quoi que ce soit. Réaliser quoi en fait ? Oui, définir ce que nous pourrions ou ce que nous avons réalisé n’est pas si clair à exprimer bien que cela nous apparaisse clairement. Ne pouvant l’exprimer totalement, il nous est donc difficile de le réaliser c’est-à-dire d’en prendre conscience, alors même qu’à l’intérieur de notre esprit se réalise l’action de notre pratique.
Réalisons-nous que nous sommes vivants ? Oui. C’est simple. Je suis conscient que je suis vivant. Dogen dit que les montagnes, les rivières, les forêts, les océans, la pluie et le soleil réalisent d’eux-mêmes le Dharma. Pourquoi serions-nous si différents ? Nous ne le sommes guère, issus d’une vacuité qui nous dépasse, mais nous inventons une infinité de raisons pour nous persuader que nous sommes très différents, et les seuls de notre espèce, dans un monde à notre disposition. Réalisons donc d’abord notre véritable nature, d’être vivant comme toutes choses. Sinon nous allons continuer à imaginer que nous devons réaliser quelque chose de spécial, qui nous serait caché, inconnu, ou réservé à des mages, des chamans, ou des illuminés, en fait essayer de trouver ce que notre ego devrait atteindre pour que nous soyons vraiment persuadés d’être quelqu’un. C’est l’illusion du Moi.
Bouddha sous son figuier sauvage réalisa qu’il était vivant, là sous son arbre, avec tous les êtres, vivants aussi, et que ceci était la réalité. Que la réalité ne résidait pas dans ses multiples pensées, ses désirs impossibles, ses rancœurs, la peur de perdre tellement de choses, y compris la vie, et que tout cela le faisait souffrir alors que la simple sincérité et la vérité évidente procurait un monde de paix, sans souffrance. Pour aider chacun il édita une liste de bonnes actions pour permettre à chacun d’atteindre ce but. Ce fut le Chemin Octuple.
Souvenez-vous Gautama Sakyamuni était quelqu’un comme tout le monde. Il n’était certainement pas un prince, mais disposait semble-t-il d’un train de vie convenable, un peu comme un Suisse de l’imagerie populaire. Donc après une errance de plusieurs années – qui n’a pas eu de périodes de vie errante soit en réalité soit dans son esprit égaré – il a réalisé dans son esprit et aussi dans le calme de son corps que le monde auquel il croyait n’était pas celui qu’il désirait : celui de la réalité de toutes choses unies entre elles et vivant séparément chacune de leur côté. Un peu comme réaliser la banalité, arrêter de se croire spécial. Réaliser cela est difficile pour tous ceux qui sont habitués à se croire uniques. Abandonnez cet esprit et réalisez que vous êtes comme tout le monde. Quand c’est fait cela parait mieux que facile : c’est évident. Alors on peut passer à l’étape suivante : préserver cette découverte.
Zazen 3
« Lorsque vous l’avez réalisée, la Voie donc, la préserver est difficile. »
Pourquoi ? Notre ego utilise tout pour survivre, même la religion, le bouddhisme ou le zen. Les pensées : c’est Moi, je suis comme ça et je le resterai. Ou ceci est à Moi, j’en suis le propriétaire. Toutes ces pensées resurgissent et la Voie de la grande sagesse et de la compassion disparaît, nous sommes repartis dans l’espoir enfantin de préserver notre monde, notre Moi, sans lequel nous craignons de n’être rien. C’est la solution de la moindre pente, choisir l’immobilisme. Ce qui évidemment ne fonctionne pas à la longue car notre vie est dépendante de tellement de conditions qui toutes changent continuellement, que tout finalement n’est qu’impermanence.
Alors comment préserver en nous une vision plus éveillée, pacifiée de notre vie ? Pour cela je suis intimement persuadé qu’une pratique est nécessaire. Avoir de bonnes résolutions, faire en sorte d’avoir des pensées positives et naturelles, ne peut suffire car nul ne peut changer son esprit par son esprit lui-même, l’esprit étant le sujet et non un objet modifiable. Il s’agit de lui-même, pas d’un objet d’études. Raison pour laquelle une pratique non seulement du corps, mais une pratique où le corps est directement lié à l’esprit et où l’esprit n’est nullement séparé du corps, apporte une grande ouverture.
Et là on trouve la pratique de shinjin-datsuraku : abandonner le corps et l’esprit. Cette expression vient de Nyojo, le maître chan chinois que Dogen rencontra dans ses pérégrinations en Chine et avec lequel il vécut quelques années.
Abandonner l’esprit veut dire arrêter qu’il ne tourne en rond, pris dans un imaginaire sans réalité, mais reste dans un état de tranquillité, de calme, sans s’attacher à aucune pensée. Un contre-exemple : l’angoisse. On imagine des tas de désastres mais qui n’ont rien de réel et en plus on en souffre. C’est idiot mais ça arrive parfois. Confrontés à la réalité, tous ces fantasmes sont irréels, non-existants. Et c’est là qu’intervient le corps. Si le corps, immobile, dans une posture noble qui satisfait entièrement l’esprit, se calme vraiment et ne crée aucun dérangement, il disparaît, c’est abandonner le corps.
L’influence sur l’esprit se fait sentir peu à peu et il se calme, à condition que vous arrêtiez de vouloir constamment y toucher. L’esprit calme ne s’accroche à rien, ne s’attache à rien, son attachement au Moi s’évanouit, il devient simplement disponible, ouvert, une tranquillité dans une simple présence : c’est abandonner l’esprit. Tout ce que nous croyions être de spécial disparaît, et nous sommes alors dans un état normal, comme la nature, sans les distractions que nous créons tout le temps pour nous persuader que nous sommes uniques.
Soyons receptifs comme un bol vide. Alors la Voie des Bouddhas, la façon de voir et de gérer notre vie avec une totale sincérité peut y prendre place et la vérité s’y installer. Tant que notre bol est plein, ne serait-ce qu’avec une goutte de notre Moi, ça ne marche pas.
En pratique, dans la vie, on va à la fois remplir son bol, le vider, et recommencer inlassablement. Continuellement on va retourner à préserver la Voie, celle-ci n’est jamais acquise. C’est une pratique, et pour nous la pratique de zazen. Mais comment la mettre réellement en pratique, c’est-à-dire dans notre vie de façon intégrée, vivante ?
Zazen 4
« Lorsque vous pouvez la préserver, la mettre en pratique est difficile »
La question alors se pose : comment mettre en pratique, réellement la Voie des Bouddhas, le chemin de l’éveil, dans sa vie tous les jours ? Comment vivre selon la Voie du bouddhisme ou du zen, avec sincérité, pendant toute sa vie ? Sans tricher, sans reculer, sans négligence, avec énergie et détermination, sagesse et compassion pour les êtres. Comment vivre en actualisant tout cela ? Cela paraît impossible. Oui les vœux d’un bodhisattva sont si élevés que jamais il n’arrivera à vivre totalement en accord avec eux. Mais il fait de son mieux, consciemment.
Mais d’abord avant de tout comprendre il est bon de simplement mettre en pratique tout cela dans notre comportement. Maître Etienne Mokusho Zeisler disait : « La question dans le zen c’est : quoi faire, comment faire ? » Et donc le comportement est important. Surtout à notre époque et dans les sociétés occidentales où la culture, le comportement social et l’altruisme sont en déclin. Incivilités et agressions, montée du populisme et des partis doctrinaires semblent devenir normales. Nous devons être des exemples de vie.
De quoi tenir compte est connu : dans le bouddhisme il y a les six paramitas, les actions transcendantes c’est-à-dire non destinées à son propre profit, mais au bien de tous. Et dans le zen soto l’expérience renouvelée d’une posture du corps propice à une élévation de notre éthique de comportement : noblesse, modestie, patience, paix, engagement et décision. De plus cette pratique mushotoku, c’est-à-dire sans intention d’acquérir quoi que ce soit pour soi-même, ne peut pas être suivie par quelqu’un d’égoïste.
En zazen les paramitas sont naturellement satisfaites, dans le calme du corps-esprit, de l’attention vide, et de la posture pleine de tonus.
- Le don, l’esprit et le cœur ouvert
- L’éthique, honnêteté, intégrité
- Patience
- Energie, effort, courage
- Méditation, vigilance
- Sagesse, discernement
Les paramitas sont encadrées en premier lieu par le don, la générosité, ce qui marque son importance. Un esprit généreux peut tout comprendre, prendre les gens tels qu’ils sont, les aider sans réticence interne, être entièrement ouvert, disponible. Cet esprit-là est au cœur de notre pratique, s’il disparaît il laisse la place à notre Moi, limité, sans grandeur d’âme et sans véritable joie.
Toutes les paramitas doivent être pratiquées avec sagesse. Qu’est-ce-que cela veut dire ? Avec discernement, sans vaine dispersion inutile, avec la conscience de la direction de l’éveil, de notre propre transformation. Verser à boire à un alcoolique est sans sagesse, dire à un dépressif : secoue-toi, ne l’est pas non plus. Chacun doit trouver lui-même dans l’instant l’action faite avec sagesse, il n’y a pas de manuel.
Il ne s’agit pas de se forcer : « Il faudrait que je… Bon je vais faire un effort pour cette fois …Je le fais mais je trouve que les autres pourraient aussi … J’ai amené de l’apéro mais maintenant j’attends de voir si les autres aussi … » Tout cela doit déborder de nous-mêmes car nous en sommes remplis, d’énergie, de générosité, de patience, de toutes ces vertus que nous avons la chance de posséder et de pouvoir partager sans avoir le sentiment de nous dépouiller, bien au contraire.
Le plus simple avec les paramitas, si vous vous demandez ce qu’elles signifient, si vous avez des doutes sur le fait que vous les possédiez, est de les pratiquer. Les pratiquer chaque jour est certainement un enseignement profond. De cette pratique naîtra alors en vous un comportement de vie naturel en phase totale avec la Voie, une libération de vos inhibitions, de vos peurs. Vous passerez de l’hésitation qui vous fait tourner en rond et être mal à l’aise, isolé, au sentiment de vivre en héros de l’éveil, ce qui est un bonheur intérieur inégalable.
C’est ce qu’on peut appeler s’ancrer dans la Voie, l’intégrer naturellement, et de façon spontanée en soi-même.
Zazen 5
« Lorsque vous intégrerez la Voie en vous-même, ceci sera encore plus difficile que la réaliser et la préserver. »
Comment comprendre cette phrase alors qu’on vient de dire que cela est un bonheur inégalable ? Si on réfléchit à partir de notre ego, difficile de comprendre alors. C’est un bonheur inégalable, mais personne n’a dit que c’était facile, le bonheur n’est pas toujours facile et la vie n’est pas un long fleuve tranquille, des fois oui, des fois non.
Intégrer la Voie en soi-même veut dire quoi ? Ceci est proche de ce que disait Etienne Mokusho Zeisler : « Dans le zen chacun s’adresse à soi-même, l’enseignement de soi-même à soi-même. » Cesser d’être un pratiquant auditeur mais prendre la maitrise de sa vie en accord avec le Bouddha-Dharma. C’est à la fois un bonheur et à la fois ce n’est pas si facile d’être confronté à l’enseignement de Bouddha en toutes choses, le reconnaître et y faire face sans louvoyer dans chacune de nos pensées et de nos actions, tout en discernant notre ignorance, notre manque de détermination parfois.
Lingyuan dit : « Généralement parlant, la réalisation et la préservation sont une question d’effort continu et de persévérance affermie, luttant seul de votre côté. » C’est comme grimper en haut d’un mât de cent pieds, et là faire un pas de plus, lâcher le mât. Pour cela il faut ouvrir les mains et laisser libre tout ce qu’on croyait pouvoir tenir et garder pour nous-mêmes, la vie également. Sauter non pas dans l’abime, mais sauter sans pouvoir contrôler ce qui va se passer. Comme ouvrir la cage d’un oiseau et le voir s’envoler. Qui ne préférerait pas s’envoler à la place de rester dans sa cage ? Oui mais dans la cage on est nourri, une petite écuelle d’eau, la cage est propre, s’envoler est synonyme de trouver tout ça soi-même. Il est arrivé que des prisonniers après de longues peines préfèrent en fait rester dans leur monde pour ne pas à avoir à affronter la liberté.
J’ai toujours respecté les gens capables d’assumer leur vision de vie et qui sont allés au bout de leurs forces pour les réaliser, artistes, mystiques, acteurs humanitaires. Intégrer la Voie est se trouver en face de son destin, savoir qui on est véritablement. Pas toujours facile.
Intégrer la Voie en soi est affronter sa liberté, être responsable soi-même de sa pratique, cheminer sur des sentiers qui ne sont pas sur les cartes, avoir confiance dans sa boussole : le chemin du bodhisattva, nos vœux, la Voie du Bouddha. Et ceci pendant toute sa vie. C’est l’ego ? Peut-être, alors utilisez-le pour le Bouddha-Dharma, au moins pour une fois il servira à quelque chose.
Pendant des années comme pratiquant débutant j’ai entendu : « Il faut suivre, il faut suivre. » Oui mais quoi ? Avec l’enseignement du Bouddha-Dharma, il faut avoir confiance en soi et continuer avec persévérance, sans répéter ses erreurs. Et sans aucun doute, à la fin chacun s’ouvrira à un bonheur où tout effort volontaire sera remplacé par une conduite juste et éveillée, naturellement. Ceci profitera alors à tous.
Zazen 6
« Si l’esprit n’est pas égal et l’engagement n’est pas ferme, alors la perte et le bénéfice seront à l’envers, et vous dégénérerez en un moine mondain commun – c’est quelque chose à laquelle il faut faire attention. »
Pour nous tous et toutes qui vivons la plupart du temps dans le monde, ce conseil prend tout son sens. Nous devons harmoniser les deux sans tomber dans le mondain, c’est-à-dire ne pas se concentrer uniquement sur les actions du matériel quotidien. Comme disait Jésus : « Je suis dans ce monde mais je ne suis pas de ce monde. » Il ne s’agit donc pas de ne pas participer aux activités du monde, comme un bodhisattva compassionné, mais ne pas tomber dedans, ne pas être dominé par les activités mondaines.
Quand tout roule il est plus facile d’avoir une grande détermination. En périodes de turbulence il est beaucoup plus difficile de ne pas se laisser emmener par les phénomènes. Tous nous devons prêter attention à garder le cap dans notre pratique.
Dans le texte “Le sens de la pratique-réalisation (Shu shô gi) par Dôgen Zenji il est dit:
“Il est difficile de naître en tant qu’être humain ; il est rare de trouver le Bouddha-Dharma. Aujourd’hui, grâce à vos bonnes actions passées, vous êtes non seulement né en tant qu’être humain, mais vous avez également trouvé le Bouddha-Dharma. Dans le monde de la naissance et de la mort, cette naissance salutaire est la meilleure ; ne gaspillez pas votre précieuse vie humaine ; ne vous abandonnez pas de manière irresponsable aux vents de l’impermanence.
Le temps passe plus vite qu’une flèche et la vie est plus éphémère que la rosée. Par quel moyen ou ressource habile pourriez-vous récupérer ne serait-ce qu’une journée écoulée ? Cent ans vécus sans but sont des jours et des mois qui méritent d’être regrettés. Ce n’est que la vie d’un pitoyable sac d’os. Même si vous vivez dans l’abandon, comme un esclave des sens pendant cent ans, si vous continuez la pratique pendant un seul jour à partir de là, ce ne sera pas seulement la pratique continue de cette vie de cent ans, mais aussi la libération dans les cent ans de la prochaine vie. Appréciez la vie de ce jour et honorez ce sac d’os. Aimez et respectez le corps et l’esprit avec lesquels vous entreprenez cette pratique continue. En fonction de votre pratique continue, la pratique continue des bouddhas se manifeste, et la Grande Voie des bouddhas s’interpénètre partout. Par conséquent, la pratique continue d’un seul jour est la graine des Bouddhas, la pratique continue des Bouddhas. “
Zazen 7
Le Maître Chan Yuanwu, commentateur des koans du Recueil de la Falaise verte donc moine de l’école Rinzaï du XI-XIIème siècles dit :
« L’étude de la Voie se trouve dans la vérité, et la base de la vérité est dans la sincérité. C’est seulement après que vous maintenez une sincérité intérieure en vous-même, que vous pouvez libérer les gens de la confusion ; en maintenant la vérité en vous-même, vous pouvez apprendre aux gens à se dépouiller de leurs illusions. Seules la vérité et la sincérité sont utiles et sans inconvénients.
Ainsi savons-nous que si la sincérité n’est pas complète, l’esprit ne peut être ni protégé ni digne de confiance. Si la vérité n’est pas complète, les mots ne peuvent pas être mis en pratique. Un ancien a dit, « La nourriture et les habits peuvent vous délaisser, mais la vérité ne doit pas être perdue. »
Bien sûr chacun a sa propre vérité mais si elle est accompagnée d’une sincérité transparente, suivant le Bouddha-Dharma, elle est alors proche d’une vérité plus universelle et ne peut se limiter à nos propres conceptions. La vérité est une exigence à laquelle il faut faire face et ne pas s’échapper. Chacun doit concevoir cela. Une sincérité bien présente dans notre pratique est alors la porte ouverte à notre transformation. Si nous restons figés sur nos propres idées concernant la Voie des bodhisattvas, nous ne ferons que nous rassurer sur ce que nous sommes. Il faut avoir le courage de se remettre en question chaque jour pour trouver comment agir dans les circonstances. Et avoir la foi c’est-à-dire la confiance dans l’enseignement que nous avons reçu et travaillé à l’intérieur de nous-mêmes de façon qu’il soit digéré.
Je pense avec amusement à un lapin qui mange des carottes. Les carottes ne restent pas étrangères à son organisme, elles font du lapin. De même les enseignements du Bouddha et des Patriarches font à l’intérieur de nous des Bouddhas, si nous les digérons. Prendre alors tout ce qui nous arrive comme un enseignement même si on n’aime pas. Petit à petit nous sommes plus proches d’une vérité hautement humaine de notre existence. A partir de là tous nos actes s’en ressentiront, notre esprit pourra changer et notre insatisfaction existentielle pourra diminuer. Tout cela est un chemin sans fin, nous pouvons le parcourir en tranquillité.
Il est dit : « La nourriture et les habits peuvent vous délaisser, mais la vérité ne doit pas être perdue. » Tous les attributs matériels sont impermanents et peuvent vous laisser tomber, c’est dur, mais ne perdez pas de vue la vérité. En fait celle-ci est inexprimable mais chacun de nous peut la percevoir clairement dans son esprit. A condition de ne pas tricher. Elle est là dans notre silence intérieur, à condition de ne pas remplir ce silence par un empilement de désirs et de confusion.
Qu’apporte à vrai dire une voie purement mondaine ? A un moment donné ou à un autre de notre vie, nous ressentirons ce vide d’existence, pouvons-nous vraiment le combler pour être satisfait ? Nous cherchons alors une vérité, un refuge qui nous apparaisse comme réel, sur lequel nous pouvons nous appuyer. Toutes les choses matérielles vont et viennent comme le sable dans le vent du désert. Rien ne reste dans nos mains. La vérité et la sincérité sont la base de la foi, de la confiance. Nul ne peut vivre heureux sans une foi, en fait une foi qui ne peut jamais être possédée, accrochée totalement, car elle est une force dynamique. Comme la force des marées, des mouvements des plaques terrestres, à l’intérieur, de la Madre Tierra qui fait pousser tous les arbres, les fleurs, déplace les montagnes. Si nous réalisons que nous n’en sommes pas séparés, la vérité peut alors se dévoiler, notre propre nature non séparée de toute nature. Bouddha l’a dit : « Avec, avec tous les êtres ». Avec la nature, les montagnes, les rivières, nous pouvons voir notre vérité et nous serons touchés par notre sincérité, libres, souriants.
Zazen 8
Le Livre des Changements, le Yi-King, dit :
« Seulement lorsqu’une sincérité ultime prévaut dans le monde, la nature peut être satisfaite. » La capacité de satisfaire la nature veut dire d’être capable de satisfaire la nature humaine. Si l’on ne peut satisfaire soi-même et pourtant que l’on espère la satisfaction des autres, les gens seront certainement déçus et ne collaboreront pas. Si quelqu’un n’est pas d’abord sincère et parle ensuite de sincérité, les gens douteront certainement et ne n’auront pas confiance. Ceci est la signification de dire, « Lorsque vous vous rasez la tête, vous devez aller jusqu’à la peau ; lorsque vous vous coupez les ongles, vous devez les couper jusqu’à la chair. »
Notre pratique est à l’envers des pratiques mondaines. Elle est donc intéressante, nouvelle. Elle n’a plus grand-chose du mondain : les longues chevelures bouclées, objets de séduction si on aime ça, comme dans les films d’Hollywood, les ongles immensément longs aux motifs colorés, élaborés, qui signent les personnes qui ne travaillent pas de leurs mains. Couper l’apparence mondaine, c’est-à-dire la mode, le regard des autres influencé par les magazines, le sexe idéalisé dans les films. Je me souviens d’un slogan publicitaire ou dans un film, je me souviens plus : « Un homme se reconnait à ses chaussures. » Évidemment pas à ses sandales de paille, ni à sa tête rasée, ni à ses ongles non manucurés.
« Certainement si la sincérité n’est pas complète, les gens ne sont pas touchés par elle. La sincérité et la vérité ne peuvent être oubliées ne serait-ce qu’un instant. »
Sans une connaissance approfondie de soi-même il ne peut y avoir une sincérité de soi-même. Que les autres croient ou non à votre sincérité est une autre question, d’abord croyez fermement à la vôtre. Sinon comment allez-vous pratiquer avec bonheur ? Et comment qui que ce soit pourrait avoir confiance dans ce que vous dites ?
La vérité et la sincérité ne peuvent être oubliées ne serait-ce qu’un instant. Pour être crédibles elles doivent être entières. A 100%. Dans notre pratique, s’y lancer à 10%, 25%, 50% est relativement facile. On se comporte alors comme on veut le reste du temps. Une bière éventée à 50% n’est pas la même satisfaction, non ? Dans une balade un petit caillou dans la chaussure finit par être insupportable. Seule une sincérité entière, ne pas mentir, ni se mentir, peut nous accorder un monde de vie clair, transparent et libre. Seule la vérité, et non des errements irréels, peut nous apporter une fondation solide de vie sur lesquels les autres peuvent venir se reposer.
La pratique du bouddhisme, du zen, avant que tout cela ne devienne naturel, automatique, léger et transparent, demande du travail. Travailler avec un enseignement, avec ses propres phénomènes, joies et déboires, profiter de tout enseignement, garder un esprit souple et humble, éclaircir l’obscurité de nos pensées, clarifier notre générosité. Tout cela est l’œuvre de toute une vie, ça commence ou ça continue aujourd’hui.
Les bodhisattvas sont appelés les héros de l’éveil. Alors « en avant la musique, en arrière les petits enfants », comme disait mon oncle.
Zazen 9
Maître Yuan a dit à Wuzu :
« L’esprit est le maître du corps, la base de myriades d’activités ; si l’esprit n’est pas complètement éveillé, alors les illusions naissent naturellement.
Lorsque les illusions sont nées, la perception de la vérité n’est pas claire. Lorsque la perception de la vérité n’est pas claire, le juste et le faux sont dans la confusion.
Lorsqu’il est éveillé, l’esprit est harmonieux, la respiration est tranquille, l’expression est digne et le corps est solide. Les conceptions errantes et les pensées émotionnelles sont toutes fondues dans l’esprit réel. Lorsque vous gouvernez votre esprit de cette façon, celui-ci sera naturellement lumineux et immaculé.
Après cela, si vous guidez des gens qui sont perdus et confus, qui ne suivrait pas cet enseignement ? »
Toujours nos illusions renaîtront, c’est un phénomène naturel, ne vous faites pas d’illusions à ce sujet. Toujours nous devons revenir à la réalité.
En zazen justement, la respiration est tranquille, le corps est solide, la posture noble, tout est harmonieux et propice à l’éveil du corps-esprit. Pour cela au début du zazen il nous faut fournir un effort pour juguler notre esprit, être attentif à ce qu’il ne vagabonde pas. Une attention renouvelée sur sa posture et sa respiration est la chose la plus bénéfique et la plus efficace.
La pratique de zazen ne peut tout transformer en quelques fois, c’est une longue répétition. Comme des gouttes d’eau qui tombent sur une pierre, cela met longtemps avant que la pierre ne soit trouée. Petit à petit cette pratique s’imprime en nous. Déjà au milieu de notre vie agitée, nous protégeons du temps, de l’énergie pour nous asseoir en silence entièrement conscients de nous-mêmes. C’est abandonner les préoccupations de notre ego et nous diriger vers une dimension plus épanouie de nous-mêmes. N’ayez aucun doute que cette pratique spirituelle influence toute votre vie, pas seulement le temps de l’assise silencieuse.
Après nous pouvons aider les gens qui sont dans la confusion, car nous exprimons une plus grande vérité dans nos paroles et nos actes. Notre dimension réellement humaine apparaît au grand jour, et illumine le monde autour de nous. Nous trouvons les paroles et les actes appropriés à chacun pour les aider à découvrir aussi une satisfaction profonde dans leur vie et sortir de leur souffrance existentielle.
Pour cela toujours et encore, éveillons-nous !! Soyons lumineux et compatissants. Alors qui ne suivrait pas l’enseignement du Bouddha-Dharma et des patriarches du zen si sa pratique et son action bénéfique apparaissent évidentes dans notre comportement.
« La réalisation et la préservation sont une question d’effort continu et de persévérance affermie, luttant seul de votre côté ; mais la pratique demande un esprit égal et un engagement de toute la vie pour vous oublier vous-même et aider les autres. »
« Le bonheur appartient à celui qui en donne aux autres. »
A la fin
Lorsque Dayu se retira de la direction du monastère de Yunju, Maître Yuanwu a voulu réparer l’ermitage du Dragon Couché que Foyan avait construit, pour en faire un endroit de repos pour Dayu, un EMS si vous préférez.
Dayu dit, « Si un homme de la forêt profite des délices de la vérité, le corps physique peut être ignoré. J’ai septante ans et quelques, et je suis maintenant semblable à l’étoile du matin ou à la lune de l’aube – de combien de temps je dispose ? Dans les collines Lu des montagnes de l’ouest, à l’endroit où les arbres de la montagne et les sources rocheuses se rencontrent, il y a toute la place qui me convient pour me retirer dans mon grand âge- pourquoi aurais-je donc besoin de ma propre place avant que je puisse en jouir ? »
Avant peu il prit son bâton et s’en alla sur la montagne sacrée Tiantai, et mourut par la suite là-bas sur le Pic des Fleurs.
Allez-y sans peur, successeurs dans la Dharma et vous tous et toutes, continuez encore et encore, soyez vous-mêmes tels que vous êtes réellement, confiants, bienveillants, partagez votre enseignement, aidez chacun comme une source intarissable, et ainsi la petite fleur que le Bouddha a tenu dans ses doigts ne se flétrira jamais et continuera à adoucir et illuminer le monde.