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Sesshin 9-11 décembre 2022

Zazen 1

En ces jours de l’anniversaire de l’éveil du Bouddha, il est bon de se souvenir de l’enseignement du Bouddha. Une fois le Bouddha demeurait à Sravasti, dans le nord de l’Inde, une contrée dans la région du Gange, où il résida pendant sa vie. A cette occasion il dit : « Il y a quelque chose qu’il vous faut pratiquer, qu’il vous faut répandre. Grâce à lui, on réalise les pouvoirs transcendants, on élimine quantité de pensées désordonnées, on cueille les fruits de la vie religieuse et l’on parvient à la libération. C’est le souvenir du Bouddha. C’est pourquoi, il vous faut le pratiquer, il vous faut le répandre. Alors les moines, ayant entendu ce que le Bouddha avait enseigné, le reçurent avec joie et le mirent en pratique. »

Et justement pour cette sesshin, nous avons la joie immense de rassembler notre sangha Ryu Kai, du Dojo de Genève et du temple Hoshin-ji d’Artemisa à Cuba, avec Ryushin sensei et ses compagnons de la Voie, du temple Kannon-ji en Colombie également dans notre cœur, avec Shogetsu sensei, ainsi que d’Argentine. C’est un événement car venir de Cuba est déjà une expédition, et surtout nous sommes tous réunis au-delà de nos pays si différents, au-delà de notre monde particulier, unis dans la pratique du Bouddha-Dharma et dans la sangha. Aussi réjouissons-nous et remercions le Dharma pour cette rencontre, pour cette grâce qui nous est donnée de pratiquer ensemble le zazen transmis par tant de patriarches, comme une pépite d’or qui rayonne dans un monde si incertain.

A Sravasti, le Bouddha s’exprima ainsi concernant la sangha :

«  Souviens-toi des qualités de la sangha. Ils sont bien orientés, orientés selon la vérité ; ils pratiquent comme il convient : ceux qui aspirent à entrer dans le courant et ceux qui ont obtenu d’entrer dans le courant ; ceux qui aspirent ou qui ont obtenu de ne revenir qu’une fois ; ceux qui aspirent ou qui ont obtenu de n’avoir plus à revenir ; ceux qui aspirent ou qui ont obtenu d’être des éveillés, soit les huit Nobles Etres. Voilà ce qu’on appelle la Communauté des Disciples de l’Honoré du Monde, la sangha : elle est ornée de la moralité, du recueillement, de la sagesse, de la délivrance, de la connaissance de la délivrance, digne d’être honorée par des offrandes, objet de grande vénération et suprême champ de mérite pour le monde. » Dans la traduction du Révérend Jean Eracle.

Shakyamuni fut un homme ordinaire. Son éveil est l’annonce que chacun de nous qui possédons depuis toujours la nature de Bouddha pouvons tout comme lui nous éveiller complètement à notre nature originelle, celle de toutes choses en harmonie, en unité, et trouver notre libération, liberté et ouverture d’esprit, conscience de la vie qui nous habite, dans le respect de tous et avec une compassion pour tous nos frères et sœurs humains sur notre Mère Terre.

Bon anniversaire Bouddha, longue vie à notre sangha, à tous et à toutes, au-delà du par-delà, réunis dans un éveil universel. Et bonne sesshin anniversaire du Dojo Zen de Genève créé par Maître Deshimaru en 1972. Tout cela est un vrai bonheur, une véritable lumière dans notre époque, qu’elle l’éclaire dans la sagesse d’agir bien, conformément à la Loi, le Dharma.

Zazen 2

Que veut dire « entrer dans le courant » ? Le Bouddha dit : « Sous le ciel, le cœur de l’homme ressemble à une rivière. Au milieu, il y a des herbes et des bouts de bois qui s’en vont tous sur le courant sans se gêner mutuellement : ceux qui vont en avant ne gênent pas ceux qui vont en arrière et ceux qui vont en arrière ne gênent pas ceux qui vont en avant. Les herbes et les bouts de bois s’avancent sur le courant parce que tous s’en vont avec lui. Sous le ciel, il n’y a rien qui soit stable, rien qui dure à jamais. Entre le ciel et la terre, il n’y a qu’une demeure temporaire.»

Chacun connaît l’image de la rivière : l’eau est toujours là, elle nous paraît être la même mais nous savons bien qu’elle change tout le temps, qu’aucune de ses gouttes ne reste en place. C’est ce que nous observons du bord de la rivière, si nous restons sur la berge. Certains même observent leur vie comme une période qui va durer et ne plongent pas dans le courant de la vie, où tout change d’un instant à l’autre. Quand on est jeune on se croit immortel, on pense avoir du temps pour tout, le présent contient tout notre avenir, nos projets, nos espoirs.

Il en va de même pour notre pratique. Dire : je pratiquerai la Voie du Bouddha-Dharma toute ma vie est d’une grande détermination, à l’instant où on le dit. Comme dire : je t’aimerai toujours. Mais tout change, le démon de mujo, l’impermanence, est toujours actif. Il s’agit alors de renouveler sa détermination chaque jour, être vraiment vivant chaque jour, avoir la conscience de la vie qui nous habite chaque jour. C’est ainsi que l’on peut accepter d’entrer dans le courant, le courant de la pratique chaque jour, accepter que le courant de la pratique et de la vie nous emmène, sans pouvoir le contrôler totalement, ni désirer le faire. S’abandonner au rythme de la rivière. Pour cela il est nécessaire de quitter le refuge provisoire que nous offrait la berge familière où nous étions avant de plonger dans l’eau vive. Et cette rivière certainement nous amène vers l’océan, là où aucune des gouttes n’est séparée de l’étendue vaste de la mer, de la vaste étendue du Dharma.

Un proverbe tibétain dit : « Comment éviter qu’une goutte d’eau ne s’évapore au soleil et disparaisse. Versez-la dans l’océan. » Comment éviter que notre vie se passe sans qu’on s’en rende compte, comment éviter que tout nous paraisse finalement absurde, naître, passer sa vie en rêvant et mourir ? S’éveiller, s’éveiller du rêve, comme le Bouddha le fit en étant assis sous son arbre et en découvrant l’unité de toutes choses et de tout être, sa nature profonde et la réalité, directement, face à face. Alors la vérité, y compris la nôtre, peut apparaître comme un éclair dans un ciel d’été ou s’insinuer petit à petit dans notre être tout entier.

Le Bouddha dit alors aux moines, à cette époque le Bouddha était entouré de moines : « Voici un homme qui apparaît dans le monde pour le bénéfice de beaucoup d’êtres, pour l’apaisement de beaucoup d’êtres, par compassion pour les multitudes qui sont dans le monde, en vue de faire obtenir aux dieux et aux hommes bonheur et soutien. Qui est cet homme ? C’est un réalisé, un éveillé, un tout-illuminé. » En fait un homme à part entière. Chacun d’entre nous a le pouvoir de s’éveiller, c’est à dire le pouvoir de créer les bonnes conditions qui lui révèleront qu’il est éveillé. Alors comprendra-t-il qu’il l’était de tout temps déjà.

Comment alors créer ces bonnes conditions, comment savoir si nous sommes entrés dans le courant ? Il est arrivé en mondo que quelqu’un me demande comment il pouvait savoir s’il pratiquait de façon vraiment sincère, au-delà de son Moi ou s’il n’était pas en train de s’illusionner et que tout cela ne provienne que de désirs alimentés par son ego ? Il voulait savoir s’il était entré dans le courant, vraiment.

Justement ces questions ont été posées au Bouddha lorsqu’il enseigna après son éveil.

Zazen 3

« Une fois le Bouddha demeurait à Sravasti. Alors il y eut un fils de dieu – dans le bouddhisme les dieux font partie des mondes humains du samsara – qui interrogea le Bouddha ?

Comment traverser les courants passionnés ?

Comment franchir l’océan ?

Comment être capable d’abandonner la souffrance

Et comment obtenir la pureté ?

 

Alors l’Honoré du Monde récita une stance :

C’est par la foi que l’on peut traverser les courants.

C’est en faisant diligence que l’on franchit l’océan.

C’est par l’énergie que l’on peut rejeter la souffrance.

Et c’est par la sagesse que l’on obtient la pureté. »

Bien que nous possédions tous la nature de Bouddha, celle-ci n’apparaît qu’à la condition de pratiquer. La nature de Bouddha n’est pas quelque chose qui existe de façon permanente quelque part et qui pourrait nous imprégner, non, elle ne se montre, elle n’apparaît que quand nous menons une activité selon la Loi du Bouddha-Dharma. Pour cela il nous faut alimenter une confiance sans doute dans notre pratique, une discipline sans recul, une énergie renouvelée, et faire preuve de sagesse en toutes choses.

Nous qui pratiquons aujourd’hui, dans plusieurs pays, 2500 ans après le Bouddha, nous avons besoin d’avoir confiance en nous-mêmes et de ne pas chercher quelque chose à l’extérieur de nous-mêmes. En pratiquant zazen, l’assise des Bouddhas et des Patriarches, nous ne sommes nullement différents des Bouddhas et des Patriarches. C’est avec cette confiance, cette foi, que nous pouvons continuer, à la fin sans effort, la discipline de la pratique fait alors partie intégrante de notre vie, notre énergie ne s’épuise pas mais se renouvelle, et notre sagesse, aussi ignorants soyons-nous en fait de la pure réalité, s’affinera avec bonheur.  Ainsi nous continuons encore et encore notre pratique sans fin.

J’aime bien dire « une pratique sans fin », car ainsi nous nous libérons d’attendre quoi que ce soit et pouvons continuer cette pratique tranquilles et en paix. Il n’y a aucune obligation de résultats, juste continuer avec confiance, don de soi, compassion, et ne pas s’opposer au courant de la rivière.

Il y a quelques semaines Shogetsu et moi sommes allés en montagne. Trois heures de grimpée, nous ne nous sommes pas arrêtés au sommet car le temps menaçait et sommes redescendus directement, trois heures de descente. Je pensais pendant la descente, les jambes et les genoux se transformant de plus en plus en coton à cette histoire d’un maître et son élève en route dans la montagne pour un monastère lointain, à pied.

Le maître marchait devant, en silence, et le temps s’allongeait. Alors l’élève lui demande : « Maître est-ce encore loin ? ». Le maître lui dit : « Nous y sommes, nous y sommes. » Ouf, se dit l’élève on va bientôt arriver. Mais la marche continuait et le soir commençait à tomber, et la température à s’abaisser si bien qu’une heure plus tard l’élève se lance à lui reposer la question : « Maître est-ce encore assez loin le monastère ? ». Le maître à nouveau lui répondit : « Nous y sommes, nous y sommes. » Tant mieux pensa l’élève et il continua à marcher avec un courage renouvelé. De plus il commençait à pleuvoir, d’abord une petite pluie fine et froide, qui allait en augmentant, le vent aussi forçait, et l’élève commençait à avoir vraiment froid et à perdre courage. Aussi demanda-t-il à nouveau pour la troisième fois : « Maître, allons-nous finalement bientôt arriver au monastère ? » Et le maître de répondre à nouveau : « Nous y sommes, nous y sommes. » L’élève alors comprit que toute sa vie était simplement dans cet instant présent et cessa de penser au but ; l’arrivée avait disparu de son esprit, il ne restait que le moment présent, chaque moment de ce voyage, un moment après un autre. Il continua donc sans y penser, marchant libre, léger et joyeux.

Ayez confiance en vous-mêmes, à chaque instant « nous y sommes, nous y sommes ».

Zazen 4

Le Bouddha dit aux moines : « Si on réalise quatre qualités on sait qu’on est « entré dans le courant ». Quelles sont ces quatre ?  La foi inébranlable dans le Bouddha, la foi inébranlable dans la Loi, le Dharma, la foi inébranlable dans la communauté, la sangha, et l’accomplissement des saints préceptes. Si on réalise ces quatre qualités, on sait qu’on est « entré dans le courant ». Quand le Bouddha eut fini d’exposer ce soutra, les moines ayant entendu ce que le Bouddha avait enseigné, le reçurent avec joie et le mirent en pratique. »

Faire tourner la roue du Dharma, n’est pas uniquement enseigner, ou écouter mais consiste à mettre en pratique.

Mettre en pratique la confiance inébranlable que nous avons dans le Bouddha, c’est à dire en notre être éveillé, en la clarté et la pureté de notre esprit originel, dans le Dharma, la lumière resplendissante de notre esprit qui n’est obstruée nulle part comme la lune d’automne lorsqu’elle atteint sa plénitude, aucune poussière ni aucun brin d’herbe qui ne soit éclairé par elle, dans la sangha qui sont nos amis de bien et qui nous donnent courage et détermination en nous soutenant les uns et les autres, et le respect des préceptes qui nous donne notre ligne de conduite pour une vie de haute éthique et de satisfaction sans nuages noirs.

Tout cela n’est ni facile, ni difficile, il s’agit simplement d’une vie de pratique spirituelle, dans un monde qui en a tellement besoin. Et de faire rayonner autour de nous les bienfaits d’une telle pratique, également dans notre vie de tous les jours. L’énergie d’un bodhisattva ne s’use que s’il ne s’en sert pas. S’il s’en sert elle devient sans fin, elle déborde de lui sans efforts comme la source d’une rivière qui ne s’épuise jamais. Si ce n’est ni pour nous-mêmes, ni pour les « autres », que ce soit alors pour les générations futures, pour la Terre qui nous a donné tout. Rendons-lui le meilleur que nous pouvons faire, et aussi au-delà, au-delà !

Courage à tous, continuez zazen, continuez l’assise merveilleuse des Bouddhas avec confiance ! Merci à tous d’avoir fait le don de votre temps, de votre énergie, don de votre corps-esprit pendant cette sesshin en l’honneur de l’éveil de Bouddha et du nôtre, ainsi que de celui de tous les êtres, ce qui est notre vœu de coeur.