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Ordination et bodhisattva

Zazen 1

Pendant cette sesshin nous célébrerons des ordinations de bodhisattva. Celles-ci sont aussi appelées jukai ou prises des préceptes. Je préfère utiliser le terme d’ordination de bodhisattva car ces deux mots sont importants : ordination et bodhisattva.

Le bouddhisme est constitué de nombreuses lignées remontant au Bouddha, symboliquement pour la période indienne. Il est donc naturel de considérer les ordinations comme provenant spirituellement directement du Bouddha, à travers les nombreux patriarches qui se sont succédé en respectant son enseignement, et ceci jusqu’à aujourd’hui dans le Zen et dans notre sangha. Un maître zen, certifié par la lignée à laquelle il appartient, agit donc lors de l’ordination qu’il donne comme le représentant de Bouddha et non comme une personne particulière. Néanmoins il doit être conscient qu’il se porte garant de la sincérité de la pratique du futur ordonné. Sa responsabilité est donc engagée lorsqu’il prend une telle décision.

Maître Deshimaru parle de l’ordination :

“C’est devenir enfant de Bouddha! Si vous voulez devenir enfant de Bouddha, vous demandez l’ordination. Si vous voulez étudier et comprendre l’esprit du Bouddha, si vous voulez vous approcher plus, il faut faire zazen et si vous recevez l’ordination, vous pourrez comprendre plus profondément la tradition du bouddhisme.” Ce n’est nullement une obligation pour continuer à pratiquer mais si l’on ressent cet élan, ce désir d’approfondissement intérieur, l’ordination donne alors une impulsion renouvelée.

Etienne Mokusho Zeisler a dit, avant mon ordination: “Si quelqu’un demande l’ordination il n’y a pas de questions à poser. La première ordination est de soi-même à soi-même.

Il s’agit donc à la fois de faire et de continuer zazen et d’avoir foi dans son ordination, foi dans le Dharma, le Bouddha, c’est à dire devenir soi-même un être éveillé et aider également tous ceux que nous rencontrons à s’éveiller, à se libérer intérieurement, et avoir foi dans la sangha, nos amis de bien sur la Voie spirituelle du bouddhisme, qu’on rejoint entièrement à travers ce rite d’ordination. Etre éveillé veut dire voir la réalité des choses et non les voir à travers nos projections et nos opinions. Se libérer signifie ne plus être limité, contraint, ne plus être bouché, constipé par nos jugements, nos préjugés, ni congelés dans nos certitudes. Au contraire que notre esprit soit aussi fluide et transparent que le torrent de la montagne. Il est dit aussi: “ouvrir sans clé une porte sans serrure.

Je me trouvais une fois dans le temps dans un avion quittant Pékin lorsque l’intégralité de son système électrique collapsa, l’intérieur de l’avion sans lumière. Plus d’instruments, seules les commandes manuelles étaient encore opérationnelles. Impossible de rejoindre Zürich car le temps y était bouché et que la seule possibilité était d’aterrir en visuel. Nous sommes retourné à Pékin après avoir vidé les réservoirs de carburant dans l’air et là le pilote nous annonce qu’il allait atterrir en manuel et espérait que tout allait bien se passer. Je me suis dit: je suis un enfant de Bouddha. J’ai chanté en silence l’Hannya Shingyo pour moi et tous les passagers, et attendu les évènements avec confiance. Nous avons atteri sans heurts. Bien sûr ce n’est pas de la magie, juste de la confiance et un peu de patience aussi.

L’ordination de bodhisattva est le départ de ce qu’on appelle la carrière du bodhisattva. Cela n’a rien à voir avec une carrière sociale, ni surtout pas avec être carrièriste. C’est l’apprentissage de notre transformation spirituelle, éthique, de la vision que nous portons sur notre vie et de notre empathie et compassion pour les humains, les animaux, la nature, la Terre avec ses rivières, ses champs et ses montagnes, ses océans et ses lacs. Développer une empathie, une union avec tout notre monde, et agir en ce sens. Pour cela le bodhisattva suit son voeu d’abandonner tous ses attachements personnels, son esprit illusoire de possession, de permanence de son Moi, et d’englober toutes les contradictions de son existence dans un esprit souple et ouvert.

Ce programme, le long chemin du bodhisattva vers un éveil complet, devient alors l’histoire de sa vie. Son ordination de bodhisattva va l’aider à sauter librement dans les phénomènes avec le sentiment d’être réellement vivant, et à aider sans retenue dans l’instant qui se présente toute personne sans penser à son propre lui-même. On dit: “Le bodhisattva donne tout ce qu’il a.”

Zazen 2

Parmi les quatre voeux du bodhisattva il y a celui qui l’incite et le stimule à abandonner les attachements qu’il a développés et qui l’empêchent d’être libre et disponible d’esprit. Nous avons une tendance régulière à nous attacher aux choses, aux gens. S’en libérer fait partie du cheminement du bodhisattva. D’où cela peut-il venir? Et pourquoi cela peut-il devenir une souffrance?

L’attachement au Moi, penser: je suis comme je suis, c’est mon Moi et je ne vais pas changer, ou dire ceci est à moi, cela m’apppartient. Une grande source d’attachement est reliée à la croyance que nous pouvons posséder les choses, et de croire que nous les posséderons pour toujours. Mais ce n’est jamais le cas, même la vie nous échappera. Poutant c’est un sentiment hyper répandu dans le monde et la source de grands conflits et de grandes souffrances.

Par exemple, un homme creuse un puits dans le désert et déclare par la suite: c’est mon eau, elle m’appartient, cette région aussi est à moi, c’est moi qui l’arrose. Un noble terrien disait au moyen-âge: c’est ma terre, elle m’appartient, nul ne peut y pénétrer, c’est ma rivière, mon gibier, nul ne peut le chasser, et vous vous êtes mes gens. Un jour il la perd, criblé de dettes. Le noble terrien n’a plus de terres, plus de position, il ne comprend pas: tout cela était à moi, c’est à moi, pense-t-il toujours! C’est le grand problème, l’humanité pense que la Terre lui appartient, qu’elle possède ses ressources et qu’elles sont à son entière disposition.

Nous ne possédons en fait rien, nous ne pouvons pas posséder la Terre, les montagnes, les océans, mais avec respect nous pouvons jouir de l’usufruit de toutes choses, en profiter comme un don qui nous est fait, mais les posséder n’a aucun sens. Proud’hon, l’anarchiste a dit: “La propriété c’est le vol.” Le bodhisattva dit: “La propriété, ça n’existe pas, c’est une illusion de notre esprit.” Nous nous sommes habitués à croire que nous possédions les choses que nous cotoyons, si bien que finalement nous nous en sommes persuadés: ceci m’appartient, alors que nous ne faisons qu’échanger les biens de la Terre. Nous pouvons les effleurer, sans nous les approprier.

Alors le bodhisattva donne tout ce qu’il a parce qu’en vérité il sait bien qu’il ne possède rien en propre. Ne possédant rien en propre il n’est pas attaché à des propriétés, il ne craint pas de perdre des choses et il est libre, d’un esprit ouvert au don, au don de soi aussi. Cela ne l’empêche pas de jouir légèrement de la vie, de la nature, de ses amis, d’être heureux et de répandre du bonheur autour de lui.

En ce qui concerne les proches, la famille, les amis, les compagnes et compagnons qui partagent notre vie, les enfants, il faut discerner entre l’attachement à toutes ces personnes et l’amour que nous avons pour elles. Les gens confondent l’attachement aux êtres avec l’amour et cela les enferme dans un sénario qui tourne en rond : “Sans toi je peux pas vivre, si tu veux me quitter je te tape dessus, au pire je te tue, que serais-je sans toi? Aime-moi!” Ne confondez pas l’attachement avec l’amour, l’un emprisonne, l’autre illumine et libère. L’un demande, l’autre donne. Nous sommes habités par la vie, nous ne la possédons pas, c’est facile à comprendre, non? Tel est l’esprit du bodhisattva.

Dans la sagesse indigène, l’amour émerge comme une force d’intégration de la vie imprégnée dans la nature originelle de l’être humain. Être en union avec cette force de vie et d’amour de la nature génère un calme physique et un mouvement spirituel de l’âme et du cœur. Le voyage commence à travers lequel se révélera au bodhisattva la vérité qui l’attend à l’intérieur de lui. Il devient attentif à la conversation qui va s’engager avec lui-même et la nature de toutes choses, sentir l’eau, le vent, le feu et la terre et, à travers eux, à travers la conscience de cette force naturelle et la sensibilité d’une écoute intime intérieure, il trouvera les leçons d’amour que l’ego a enfouies et bloquées. Libre et léger, il continuera sans effort son cheminement dans la pratique de l’éveil.

L’énergie d’un bodhisattva alors ne s’use que s’il ne l’utilise pas. Nous l’avons, mettons-la en œuvre pour le bien.