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Ne pas compliquer la Voie

Une fois, dans le temps, l’abbé d’un monastère zen qui aimait bien s’amuser avec ses disciples, leur dit de le suivre à la vieille tour du monastère dont les escaliers étaient en ruines et à laquelle on n’accédait plus que par une échelle. L’abbé enleva l’échelle et dit aux moines :

  • Alors maintenant qui peut m’expliquer comment monter dans la tour.

Les moines se regardèrent l’air perplexe. A la fin l’un d’eux se risqua à dire :

    • Il faudrait s’accrocher aux pierres qui dépassent un peu et ainsi on pourrait escalader la tour.

  • Trop compliqué et surtout trop risqué, dit l’abbé. Je te signale que certains d’entre nous sont déjà âgés et ne pourraient y arriver, or nous sommes bien d’accord que tout le monde doit pouvoir monter au sommet de la tour, non ?

 

  • Bon alors, dit un autre moine, on pourrait lancer une corde qui s’accrocherait au sommet et ainsi tirer chacun au moyen de cette corde. Je suis sûr qu’on pourrait y arriver, ajouta-t-il tout fier de sa proposition.

 

  • Nous n’avons pas de corde assez solide, dit l’abbé. D’autre part dans ce monastère nous devons compter sur nous-mêmes et non dans des artifices compliqués.

 

Un troisième proposa alors d’utiliser la méthode égyptienne, c’est-à-dire d’aller chercher des pierres à la rivière et de la boue pour construire un pont incliné qui mènerait jusqu’au sommet de la tour, ainsi chacun pourrait simplement marcher sur ce pont et tout le monde aurait les forces de grimper.

  • Oui c’est une possibilité, dit l’abbé. Ta solution risque de prendre des éons et franchement entre le zazen, les repas, la vaisselle et le travail nécessaire, sans compter nos études des textes anciens et nos traductions, nous n’avons franchement pas le temps de nous lancer dans une telle entreprise.
  • J’ai compris dit un quatrième, en fait il n’y a pas de solution, on oublie simplement de grimper sur cette tour et puis voilà.

 

L’abbé sourit mais ne dit rien. C’est seulement à ce moment qu’un autre moine, qui n’avait pas bougé jusqu’à maintenant et n’avait rien dit se leva en silence et alla chercher l’échelle.

Ne compliquez surtout pas la Voie.

L’étude du bouddhisme, entre le bouddhisme ancien, le Mahayana, la vacuité de Nagarjuna, le yogacara qui s’intéresse à l’esprit et la conscience, la non-naissance, l’impermanence et l’interdépendance, la réalité de l’instant et l’essence des choses, peut devenir très compliquée. Des écoles différentes se sont développées, et beaucoup de mots, d’enseignements, ont essayé de cerner les côtés particuliers et universels de notre existence. Tout cela avec le but que nous renoncions à nos attachements, surtout l’attachement à notre moi. Sans une telle réalisation, s’oublier soi-même, ne pas toujours voir le monde à travers notre karma, à travers nous-mêmes qui sommes incorrigibles dans nos convictions, impossible de réaliser l’éveil complet.

Lorsque Shakyamuni fit l’expérience de l’éveil et obtint l’appellation d’Eveillé, le Bouddha, il n’a pas décrit son illumination, ce qu’il a ressenti, alors des fois on se demande si elle était extraordinaire ou si ce fut simplement la révélation de sa propre réalité avec le monde. Il est dit qu’il perçut la réalité directement mais il n’en parle pas. Pourquoi ? Ce ne peut être exprimé par des mots ; ceux-ci reflètent ce que nous vivons, en parlant nous donnons existence à des magies et en faisons des objets de pensée. Les pratiquants pourraient alors se fixer sur ces mots en pensant que leur propre expérience ne vaut pas grand chose. Et leur foi s’en irait. Aussi le Bouddha n’a-t-il pas enseigné l’éveil, qui n’a rien à voir avec l’enseignement. Il a simplement exprimé les bons moyens salvifiques pour créer les conditions opportunes à son apparition soudaine.

Alors inutile d’imaginer l’expérience qu’il fit. Son enseignement sauveur dans notre vie nous permet de nous replacer dans des conditions d’esprit, de pratique, de connaissance et même de sagesse, favorables à ce que nous nous éveillons. Alors nous réalisons que depuis toujours, mais au fond de nous, nous possédions ce diamant, pas le caillou mais sa lumière, sa transparence et toutes ses couleurs, qui nous paraissent d’une évidence. Mais nous ne pouvons vraiment l’exprimer.

D’où vient alors le courage, la foi si nous ne réalisons pas tout à fait consciemment ce qu’est l’éveil ? C’est assez simple, l’éveil n’est pas séparé de nos journées. Chaque jour peut être l’éveil, peut-être pas l’éveil complet, allez savoir, mais la joie, le bonheur, le vœu que tout le monde puisse le vivre peut nous montrer que le chemin du bodhisattva est notre grand voyage dans l’humanité. Il suffit de prendre l’échelle, de la mettre en place et de suivre les échelons au lieu de ruminer sur ce qu’est véritablement le bouddhisme ou le zen. Etienne disait : « c’est la vie ». Deshimaru : « c’est la Bouddha. » Soyons donc vivants, ouverts, souples d’esprit, pratiquons avec joie et oublions toutes complications. L’éveil apparaîtra de lui-même, comme la lune sur l’eau du lac quand les nuages se sont envolés.

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