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Menzan Zuihô Oshô et le Jijuyû-Zanmai

Sources et bibliographie :

Traduction française par Pascal Normandin du Jijuyu zanmai de Menzan.  Traduction originelle du japonais à l’anglais par Shohaku Okumura:

https://www.sanshinji.org/uploads/8/8/4/5/88451174/menzan_zuiho_la_meditation_du_bouddha.pdf

The Zen of Books and Practice: The Life of Menzan Zuihō and His Reformation of Sōtō Zen

 https://www.researchgate.net/publication/289871628_The_Zen_of_Books_and_Practice

Ce teisho ne peut être qu’une très modeste introduction sur certains aspects de l’œuvre et de l’importance que revêt Menzan. Mon but est simplement de vous faire un peu connaître l’enseignement et l’esprit de Menzan, à partir de la traduction de Shohaku Okumura Roshi et de Pascal Normandin.

Avec Dogen et Keizan, Menzan est l’une des figures les plus centrales du bouddhisme zen soto. Si l’on parle aujourd’hui du « zen de Dogen », le travail de Menzan n’y est certainement pas étranger, grâce à son étude approfondie et ses commentaires de l’œuvre de Dogen. Son crédit doit être universellement reconnu dans l’avancement du zen soto et son ouvrage le Jijuyû Zanmai est lumineux.

Menzan naquit en 1683 au Japon durant la période Tokugawa, le premier shogun. Il vécut très vieux pour l’époque et mourut à l’âge 86 ans. Dogen Zenji vécut lui entre 1200 et 1253. La première chose à remarquer est qu’il y a environ 500 ans d’écart entre eux. Pour notre époque l’équivalent serait de se pencher sur les œuvres de Rabelais, écrites en vieux français. Il serait naïf de croire que les écrits de Dogen furent reconnus pendant ces 500 ans comme les fondements du zen soto. Ils étaient traités comme un trésor secret, faisant la gloire du monastère les possédant. Aucune version du Shobogenzo n’était communément acceptée et aucun commentaire n’en avait été écrit entre 1300 et le 17ème siècle.  Ce n’est d’ailleurs qu’au 17ème siècle que le Shobogenzo et les écrits de Dogen furent publiés. Il apparut alors clairement qu’il y avait un profond désaccord entre ce que disaient le Shobogenzo et les coutumes médiévales du zen soto de l’époque. Celles-ci n’étaient plus en unité avec les textes de Dogen, ceci malgré la réforme de Manzan Dohaku sur la transmission du Dharma. Que s’était-il donc passé ?

Pendant ces siècles, bien que les moines traçaient leur pratique soto au sein de la lignée de Dogen, la doctrine était déterminée par ce qui était transmis de maître à disciple. A l’époque médiévale du Japon, l’autorité religieuse, tout comme toute autre forme d’autorité, était celle du rapport entre le maître et l’élève. La possession de textes comme telle était utilisée pour certifier cette transmission d’autorité. Ainsi les textes de Dogen étaient utilisés pour authentifier les pratiques religieuses et l’enseignement de leur possesseur, plutôt que d’être traités comme sujets d’étude et de compréhension.

Menzan retourna donc aux textes originaux de Dogen pour promouvoir leur valeur pour son époque, tout en écartant des siècles de pratique médiévale. Il insista que les anciens textes devaient être lus directement en évitant les vues et les commentaires de ses contemporains, et en les purgeant des impuretés introduites par des siècles de pratique dégénérée. Lui-même préconisait une attitude plus humaine que celle des  coutumes médiévales, et critiquait tout excès de zèle. Il fut un maître populaire parmi les laïcs, hommes et femmes, tout en maintenant des périodes de pratique très strictes pendant des années. Il passa même trois ans seul en méditation. Néanmoins malgré son influence certaines de ses positions modérées ne furent pas observées ni maintenues. Ainsi survécurent des pratiques provenant du pouvoir institutionnel.

Menzan eut 27 successeurs. Son œuvre ne se limita pas à commenter Dogen. Il interpréta et clarifia les textes, résolu des ambiguïtés et remplit des blancs laissés par Dogen. Son travail fut plus révolutionnaire que conservateur. Il poussa à poursuivre le mouvement de réforme commencé par Dohaku. Celui-ci également au cours de sa révolution publia sa propre version du Shobogenzo, mais la hiérarchie soto en interdit la publication. Les recherches de Menzan se situaient donc dans ce climat et devaient tenir compte de cette interdiction. Il étudia donc plusieurs versions des chapitres du Shobogenzo venant de différentes traditions, et les organisa en une seule collection, en tenant compte des textes originaux et non de leur interprétation par les différentes écoles influencées par le bouddhisme chinois contemporain, telle l’école Obaku, qui avait commencé à s’implanter autour de Nagasaki. Sa réforme du zen soto à l’époque d’Edo fut la source d’une nouvelle tradition, en changeant des pratiques coutumières développées pendant des siècles.

Son rôle fut donc très important, et son influence perdurera également à notre époque. Il ne fut pas membre de la structure de pouvoir du soto et sa réforme ne fut implémentée qu’après sa mort et devint officielle en 1804 notamment concernant les règles monastiques. La clé de son succès fut ses textes et non sa personnalité. Il se trouva que le Japon à cette époque inaugura une nouveau type de blocks en bois qui pouvaient être utilisés d’un texte à un autre facilitant grandement les travaux d’imprimerie et donc de diffusion des textes. L’interdiction de publier le Shobogenzo fut finalement levée en 1796, soit 7 ans après la mort de Menzan, ce qui permit à l’œuvre écrite de Menzan d’être finalement reconnue. Lui-même ne sut pas si son influence persisterait ou non. Sans Menzan peut-être nous connaitrions-nous même pas l’importance de Dogen.

De plus Menzan fut également un maître dans d’autres écoles, Rinzai et Shingon. Son héritage livresque ne se limite pas à sa contribution à la renaissance de Dogen.

Menzan entre autres textes écrivit le Jijuyû-Zanmai. Jijuyu veut dire recevoir le mérite de sa pratique et en goûter la joie pour soi-même. Zanmai veut dire samadhi. Donc le titre signifie : « Le samadhi procuré par la lumière de la sagesse du Tathagata qui illumine intérieurement le monde du Dharma conformément à la réalité de la joie pour soi-même. » Il s’agit d’un texte assez long dont je ne puis vous donner qu’un parfum, une envie de plonger plus en avant dans l’enseignement de Menzan.

Pour faciliter sa compréhension, j’essaie de l’aborder en résumé sur trois axes principaux :

  • Le zazen que nous pratiquons est la véritable illumination du Bouddha et ne se limite pas à une méditation
  • La pratique du Jijuyu-Zanmai n’a pas pour but d’atteindre l’éveil grâce à un quelconque pouvoir que nous accumulerions
  • Dans cette pratique ne pas ajouter les discriminations de notre esprit à la réalité, c’est à dire abandonner nos illusions.

Le zazen est la vraie illumination du Bouddha et ne se limite pas à une méditation.

            Que transmit le Bouddha à Mahakashyapa : le trésor de l’œil du vrai Dharma, la vie incomparable dans le nirvana, soit le véritable éveil de tous les Bouddhas. Ce Jijuyu-Zanmai fut par la suite transmis à nouveau pendant cinquante et une générations jusqu’à Bodhidharma en Inde, ensuite en Chine jusqu’à Eihei Dogen au Japon, et parvint également jusqu’à aujourd’hui aux pratiquants occidentaux.

Pourquoi alors parlons-nous de zazen, ne serait-ce qu’une méditation ? Pourquoi en faire un principe fondamental ?

La méditation est l’une des six paramitas, l’une des pratiques du bodhisattva au même titre que les cinq autres. Il n’est donc pas nécessaire d’en faire un cas particulier, ni de la transmettre pendant 2500 ans. Menzan affirme que le mot zazen ou dyana n’est qu’un mot provisoire. Il vient du fait que la posture de Bodhidharma dans sa caverne était identique à celle de la méditation, dyana, pratiquée par les bouddhistes de cette époque. Ils l’appelèrent alors « le brahmane qui pratique zazen », alors qu’il pratiquait l’assise de la merveilleuse lumière de la sagesse, le roi des samadhi, le samadhi de Vairocana, symbole de l’Univers entier, et non une simple méthode de méditation.

Donc le zazen que nous pratiquons est directement l’éveil, l’illumination silencieuse de notre corps-esprit et ne peut être exprimé par des mots. Cet éveil est le même que celui de Bouddha sous l’arbre de la bodhi. Mais Menzan dit à ce propos : « Il est vrai qu’un grand nombre de gens pratiquent zazen, mais la plupart le font à la manière des gens ordinaires. Rares sont ceux qui comprennent le jijuyu-zanmai comme le véritable éveil de tous les bouddhas. »

Considérons les dimensions absolues et relatives du bouddhisme ou du zen. En effet dans le zen existe à la fois la vérité absolue, inexprimable et universelle, et la vérité relative, de chaque jour, humaine, vivante. Si la pratique de zazen reste purement au sein d’une dimension relative, personnelle, sans aucune référence transcendante, elle n’est qu’une technique de bien-être ou de développement personnel, tant à la mode aujourd’hui. Rester dans une position où nous verrions uniquement notre zazen, « Moi », « Moi », nos disponibilités de temps, où nous serions rassurés d’avoir une pratique occasionnelle en pensant que nous menons une vie spirituelle véritable n’est pas pratiquer le vrai zazen, le vrai jijuyu-zanmai transmis par le Bouddha et les Patriarches.

Au contraire voyons clairement que notre pratique relative, utilisant notre corps et notre esprit, est l’occasion de vivre la véritable illumination silencieuse du Tathagata, de permettre l’irruption d’une dimension spirituelle absolue dans notre vie, la dimension universelle de notre vie. Ainsi avec notre corps transitoire, notre esprit toujours affecté par nos projections, nos certitudes erronées, nous pouvons manifester chaque jour la grande sagesse des bouddhas vivants. Réunifiant le relatif et l’absolu notre pratique de zazen devient un grand bonheur, une ouverture d’esprit inexprimable. Soyons heureux de pouvoir faire don de notre temps et de notre énergie pour illuminer le monde. Ceci est le vrai zazen transmis, même au-delà du Bouddha.

La pratique du Jijuyu-Zanmai n’a pas pour but d’atteindre l’éveil

Menzan dit :

« Pourquoi Dôgen s’est-il détourné des principes de ses prédécesseurs, disant que leurs enseignements n’étaient pas justes ? Ces maîtres de la Chine des Song pensaient que nous étions tous dans l’illusion, que nous pourrions atteindre l’éveil grâce au pouvoir accumulé par la pratique de zazen, et qu’une fois l’éveil atteint, la pratique ne serait plus nécessaire, comme un bateau devenu inutile une fois qu’on a atteint l’autre rive. C’est souvent ainsi qu’on pratique zazen de nos jours, à la manière des gens ordinaires, ou des bodhisattvas adeptes du zazen du Mahâyâna provisoire. On aspire à se débarrasser des illusions pour accéder à l’éveil, on veut faire la lumière sur les pensées illusoires et atteindre la vérité, mais on ne fait rien d’autre que créer le karma de l’acceptation et du rejet. Confondre cela avec la pratique transmise par les bouddhas et les patriarches, le zanmai-ô-zanmai du Tathâgata ou l’assise face au mur pendant neuf ans de Bodhidharma, c’est la réduire à une simple méthode pour se débarrasser des illusions afin d’obtenir l’éveil. Que cette façon de voir est misérable ! «

Donc zazen n’est pas une pratique destinée à se débarrasser de nos illusions pour atteindre l’éveil. Cette pratique est une pratique directe d’éveil, elle est en elle-même éveil. Il ne s’agit pas d’attendre quelque chose de particulier de cette pratique mais de rendre vivant dans notre corps-esprit l’éveil silencieux des Bouddhas. Et de le manifester dans notre vie de tous les jours, éveil, sagesse, énergie et joie, bienveillance, pour le bénéfice de tous. Dans le zen on ne cherche pas à acquérir quoi que ce soit mais on fait don de tous nos mérites, de toutes les bonnes choses qui naissent de notre discipline spirituelle. Il est essentiel de bien comprendre cela et de le pratiquer. Il ne s’agit pas de son « Moi » mais de Bouddha, il ne s’agit pas de « mon » zazen mais du Tathagata, il ne s’agit pas d’attraper par malice quoi que ce soit mais de recevoir avec joie et bonheur la petite fleur que tient avec délicatesse le Bouddha et de la protéger pour le monde.

Ne pas ajouter les discriminations de notre esprit à la réalité

Comment peut-on s’appuyer et mettre en œuvre ce samadhi du jijuyu-zanmai ?

Le point essentiel de cette pratique, le chemin pour la Voie du Bouddha est d’abandonner notre esprit illusoire, notre esprit de discrimination et de dualité.

Menzan dit : « C’est l’esprit illusoire qui est la racine de l’illusion : le ferme attachement à un point de vue particulier, issu d’une perception conditionnée par nos expériences personnelles. Aveuglés qu’ils sont par leur esprit illusoire, les gens ne peuvent pas voir clairement et complètement la réalité du corps entier de toutes choses ; c’est pourquoi ils se les représentent selon des catégories. A l’origine, tous les êtres sont en dehors de l’esprit illusoire, et sont au-delà de toute évaluation et de toute différentiation. Prenez-en clairement conscience et n’ayez aucun doute sur ce point. »

C’est notre esprit illusoire qui nous fait distinguer les six mondes du samsara, faire des différences entre les multiples sangha, juger du vrai et du faux, séparer le corps de l’esprit, nous-mêmes du monde qui nous entoure et de la nature, de ceux que nous appelons les autres. Nous sommes tous des êtres ordinaires, soyons clairement conscients de notre humanité, une humanité de bouddhas et non de guerriers.

Il affirme donc : « Par conséquent, rien ne devrait vous occuper que de laisser derrière vous l’esprit illusoire, de couper la racine des illusions, d’émettre la lumière du jijuyu-zanmai et d’ouvrir l’œil de la grande sagesse. Tel est la sagesse du Bouddha et tel est le vrai chemin pour pratiquer la Voie du Bouddha. »

Simplement à l’intérieur de notre propre silence, laissons-nous illuminer sans ne rien vouloir attraper, sans rien toucher, sans rien devant soi , juste une lumière qui brille d’elle-même. Et à partir de là agissons dans le monde sans peur de sauter dans ses phénomènes.

A la fin de son introduction générale, Menzan nous adresse ce message, soyons-en conscients, ne l’oublions jamais nous qui avons la chance d’être touchés par cette illumination intérieure insaisissable :

« Si jamais, au sein des incommensurables périodes cosmiques des transmigrations du cycle de la vie et de la mort, les circonstances vous amènent à faire la rencontre de ce Dharma authentique, un seul jour de votre vie sera plus précieux que des millions d’années sans le vrai Dharma. Alors, dédiez votre vie avec diligence à ce samadhi, en prenant soin de chaque seconde. »