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Les Voeux du Bodhisattva

Tous les matins, comme aujourd’hui, et aussi le soir, après le zazen nous chantons les vœux du bodhisattva. Le vœu principal, le plus grand de toute une vie, est celui de renouveler chaque jour l’espoir et notre détermination de sauver tous les êtres.

Ce vœu est tellement infini pour nous qui vivons si peu de temps, que nous risquons de le prendre avec l’habitude comme un rêve illusoire, un mantra répété dont la substance se serait évaporée alors qu’elle est le véritable guide de chacune de nos actions, alors que dans ce vœu réside notre vie elle-même. Si nous faisons le vœu de devenir Bouddha aussi parfait soit-il c’est pour étendre notre amour et notre compassion à tous les êtres, si nous faisons le vœu de posséder tous les dharmas, tous les phénomènes de la vie c’est pour pouvoir aider chacun par la maturité de notre connaissance intime du monde humain, et si nous faisons le vœu de nous délier de tous nos bonnos, c’est à dire de tous nos attachements, de nos retenues intérieures,de  nos obsessions ou de nos désirs refermés sur nous-mêmes, si nous faisons le vœu de nous libérer de tout cela c’est encore pour être infiniment disponibles à sauver tous les êtres avec nous-mêmes.

Le vœu du bodhisattva bien sûr s’étend à tous, il serait mesquin de penser que seules les personnes ordonnées bodhisattva ou moines doivent réaliser ce vœu. La différence est simplement que les bodhisattvas et les moines ont fait cette promesse lors de leur ordination. L’ordination de bodhisattva ne se limite pas à la couture d’un rakusu, aussi digne soit-elle. Elle est la réalisation immédiate du vœu du bodhisattva. Vous savez, on dit souvent, cela remplit l’univers entier. Oui chacun de vous peut le sentir. Aujourd’hui l’acte d’un être humain qui fait le vœu de sa vie de sauver tous les êtres ne se limite pas à sa propre personne, il le fait pour tous, pour le monde et donc son vœu couvre l’univers entier. C’est ce vœu-là que nous prononçons tous les jours, parce que vu que nous sommes comme des cailloux chaque jour nous devons nous replonger dans cette détermination, dans cette foi et faire ce que nous disons.

La vie du bodhisattva est totale. Elle dépasse bien entendu ces murs, se prolonge bien sûr au-delà d’aujourd’hui et trouve inévitablement ses extensions et ses mérites au-delà de notre simple disparition du monde matériel vivant.

Voilà, je ne peux vous parler aujourd’hui que de ce que crois être l’attitude la plus simple, et donc la plus haute pour nous tous, faire tout ce qu’on peut pendant sa vie pour être un bodhisattva. Bien sûr quoi faire est la question de chacun. Quoi faire ? Comment faire ? Chaque jour, à chaque instant ? Comment maintenir dans nos journées l’attention du bodhisattva et ne pas s’endormir à nouveau dans l’égoïsme, la perte de temps, l’inutilité, les divertissements futiles, comment garder l’air frais de la montagne et ne pas le laisser se transformer en pets, comment vivifier chaque jour l’eau fraîche de la source que nous buvons avec le zazen, la cérémonie, la guen-mai, et le thé et ne pas la laisser devenir croupie, stagnante et pleine de miasmes puants. C’est vraiment ce qu’on peut appeler un projet de vie, ça va changer votre vie, votre façon de voir les choses, ça va changer votre monde.

Si vous voulez faire un voyage, par exemple le voyage de la carrière du bodhisattva, par exemple le voyage du simple moine sincère et courageux, vous allez à la gare au guichet et vous dites : je voudrais un billet. Le monsieur du guichet ou votre Maître bien aimé vous donne un billet, vous le regardez mais il n’indique aucune destination. Avec ce billet vous pouvez aller partout, c’est à vous de savoir où vous voulez, où vous devez aller, mais allez-y, ne restez pas sur le quai en vous demandant si à la fin tout bien compté vous allez partir ou non. Et quand vous êtes partis, ne regardez pas en arrière, n’attendez pas la première gare ou une gare intermédiaire, un ennui du train, le fait que vous ne pouvez pas blairer les autres voyageurs ou que le paysage n’est pas celui auquel vous vous attendiez, ou que vous ne pouvez pas occuper la place à la fenêtre dans le sens du train, la place que vous vouliez et que vous croyiez vous être due, pour sauter hors du train à la première occasion qui vous passe par la tête ou qui vous semble justifiée dans votre esprit. Continuez avec tout le monde, fortifiez les autres voyageurs dans leur détermination, partagez vos sandwiches et votre boisson, aimez-les, soyez joyeux et contents d’être dans ce voyage, celui de votre vie. Il n’y en a pas d’autres. Vous n’avez pas une autre vie, vous avez celle-ci, vous n’avez pas un autre voyage, vous avez celui-ci, c’est à vous d’en faire le voyage du bodhisattva.

Une journée comme celle-ci en fait est une journée tranquille du voyage. Nous sommes ensemble assis, tranquilles, avec notre corps et notre esprit en paix, une journée sympa, une journée dans un monastère tranquille. A l’intérieur le bodhisattva se repose un peu avec ses compagnons de la voie, partage son amour, sourit à sa lumière intérieure et silencieuse. Si vous avez un petit peu mal au genoux, si vous êtes un peu fatigués, tout cela n’est rien comparé au bonheur de pouvoir se reposer un peu dans la voie. Chaque jour le bodhisattva a beaucoup à faire, beaucoup à abandonner, beaucoup à guerroyer intérieurement contre son égoïsme, son avarice de cœur, pour s’ouvrir à l’humanité, pour s’ouvrir plus simplement aux êtres humains qu’il rencontre. La marche du bodhisattva est bien plus longue que le marathon de New-York ou d’ailleurs, c’est la marche continue. Alors aujourd’hui, profitez de vous asseoir vraiment. Respirez calmement, laissez vous posséder par zazen, abandonnez le corps et l’esprit, aujourd’hui vous ne risquez rien, vous n’avez rien à faire, zazen s’occupe de vous, vous fortifie, donne du courage à votre âme. C’est comme un jour de vacances dans la vie du bodhisattva, un dimanche. Nous avons beaucoup de chance de pouvoir pratiquer zazen ensemble aujourd’hui. Le Bouddha aussi s’est assis pour se reposer, mais chaque fois il s’est relevé, il s’est assis et il s’est relevé, encore et encore. Alors nous aussi qui partageons son éveil.

Donc dans la vie, après s’être assis, on se relève. Maître Deshimaru a dit : Plonger dans la souffrance, aider tous les êtres. On peut ajouter aussi : et plonger dans la joie, aider tous les êtres. Voilà c’est ça être un bodhisattva.

Dans le zen, quand vous montez dans le train, le voyage est en lui-même la destination. La vie est ici et maintenant, pas dans une gare lointaine, pas attendre d‘arriver quelque part et de pouvoir finalement descendre. Il y a beaucoup de monde dans le train, nous n’y sommes pas tout seuls, il y a des habitués avec un abonnement à vie, des voyageurs occasionnels aussi, des gens qui vont naître et des gens qui vont mourir, tous semblables à nous-mêmes. Il y a même aussi des gens qui se trompent de train, ou qui croient qu’ils se sont trompés de train. Mais quelle qu’en soit la durée, ce voyage change notre vie, même si sur le moment nous ne nous en rendons pas vraiment compte. L’œuvre de zazen se poursuit tranquillement, naturellement à l’intérieur, il suffit de ne pas résister, il suffit de se laisser manger par la voie.

Un bodhisattva ayant reçu l’ordination de son Maître promet chaque jour de vivre selon les vœux du bodhisattva. Cette promesse peut lui être lourde, il peut être même déboussolé par cette responsabilité, ou elle peut lui être légère, pleine de courage et de joie. C’est à chacun de décider au plus profond de lui-même quel chemin il va prendre dans sa vie. Je crois que c’est mieux de voir cela comme une décision et non comme une sorte de fatalité passive, suivant les vagues des phénomènes qui de toutes façons seront présents au cours des jours. Personne n’échappe aux phénomènes, mais nous pouvons décider comment nous réagissons, avec quel esprit nous les prenons. Le plus grand bonheur est d’abandonner soi-même, de se voir comme un bol vide, libre, dans lequel viendra se poser l’amour de Bouddha et non comme un bol plein de son ego dans lequel rien ne peut se déposer. Alors libre de lui-même, le bodhisattva peut se tourner vers les autres comme il se tourne vers lui-même.

Souvent dans des mondos, des personnes viennent exprimer qu’en zazen tout va bien mais que ça se gâte lorsqu’elles sortent du dojo. Bien sûr si vous voulez garder exactement la même attitude d’hishiryo dans la vie de tous les jours, la première chose qui risque de vous arriver est de vous faire écraser par une voiture si vous ne regardez pas avant de traverser la rue. Mais si d’autre part vous oubliez complètement que vous êtes sur la voie de Bouddha, que vous ne portez votre attention que sur les phénomènes communs, alors ce n’est pas le zen. Chacun doit faire les deux, chacun doit embrasser en lui-même ces contradictions. Maître Deshimaru le disait lui-même. Le véritable koan de la vie d’un bodhisattva est celui de sa vie. Surtout pour nous tous qui, suivant l’enseignement de Maître Deshimaru et de nos Maîtres, vivons non seulement dans un temple, le dojo, mais aussi comme tout le monde dans la vie de tous les jours, avec tout ce que cela comporte, la famille, les responsabilités, le travail, les autres, peut-être la maladie, sûrement la mort. Dans ce voyage il serait illusoire de désirer qu’il ne se passe rien, que l’on pourrait passer à côté, que nous serions épargnés par la vie, au contraire il se passe énormément de choses, c’est un voyage passionnant pour qui veut le vivre entièrement. Vivre à la fois la voie du Boudhha et la vie de tous les jours, c’est justement la voie du bodhisattva pour nous, à notre époque, avec l’enseignement que nous avons reçu. C’est une voie simple et modeste, si vous acceptez de la voir ainsi dans votre esprit : pratiquer zazen avec sincérité, faire le bien tous les jours. Alors le voyage devient léger, on n’attend plus une gare spéciale ni la fin du trajet, simplement pratiquer zazen et faire le bien indéfiniment. C’est la pratique infinie de la vie d’un bodhisattva.

Bien sûr notre vie est courte, car dans notre univers tout ce qui naît finit par mourir, c‘est à dire par disparaître de sa forme actuelle. Néanmoins la pratique d’un bodhisattva, toute sa vie, est également infinie. Qui peut dire quels en seront les mérites à long terme, petit à petit le monde deviendra un  monde de bodhisattvas. Pour notre univers qui date déjà d’environ quatorze milliards d’années, selon notre échelle de temps humaine, le temps n’est pas si essentiel, tout cela ne se réalisera pas tout de suite. Mais nous, nous-même, nous pouvons le réaliser tout de suite dans notre vie. Décider maintenant, décider rapidement, réaliser le bodhisattva dans notre vie, sans attendre, sans dépendre des circonstances, sans remettre ce projet le plus haut à un jour où il fait beau, plus chaud, où on est moins fatigué, ou à un jour où tout va bien, mais maintenant, chaque journée est la journée d’un bodhisattva, c’est ce que je décide maintenant. Chaque jour nous chantons les vœux du bodhisattva, chaque jour il faut se mettre à l’action. Le courage et l’énergie est un peu comme la liberté de la presse, il s’épuise seulement si on ne l’utilise pas.

Voilà vous avez les ingrédients, les légumes, l’eau, le sel, la casserole et le feu, c’est à vous de faire la soupe, personne ne peut vraiment vous la servir. Vous avez le billet, une place dans le train, l’électricité, le charbon ou le diesel est disponible, tout est prêt, c’est à vous de faire le voyage, personne ne peut monter dans le train à votre place. Vous avez les vœux du bodhisattva, la foi, vous pratiquez zazen, vous faites partie d’une sangha avec un Maître bien-aimé, vous avez un dojo et un beau dojo, les sesshins, les camps d’été, d’hiver, de printemps et d’automne, c’est à vous de réaliser le bodhisattva dans votre vie, personne ne peut le réaliser pour vous. Le dharma infini est en vous, c’est à vous de le faire vivre, à vous de le réaliser.

Je ne peux vous dire à vous comme à moi-même que, courage, vous avez tout, tout est là, la voie vous est ouverte, la porte du bonheur le plus haut vous est ouverte, il vous suffit de passer le seuil sans peur. Ouvrez-la pour les autres, montrez leur par votre joie intérieure le bonheur de vivre comme un bodhisattva. Vous avez dans vos mains, dans l’esprit, dans votre esprit, dans votre pratique tout ce qu’il faut pour mener la vie la plus haute et pour y attirer tous les êtres, pour les sauver. Alors allons-y.

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