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Les sept qualités de l’Eveil (kakushi)

Zazen 1

Il y a un chapitre du Shobogenzo de Dogen, le Sanjushichi-bodaibunpo, qui traite des trente-sept Voies vers le satori, la sagesse de Bouddha, la sagesse la plus élevée, infinie, illimitée. Ce chapitre a été longuement commenté par Maître Etienne Mokusho Zeisler qu’il a commencé lors d’une sesshin du Dojo de Genève. J’ai eu la chance qu’il me demande par la suite de transcrire les notes de toutes ses sesshins sur mon ordinateur, un tout premier Mac au CERN, en forme de boîte. Il fallait charger le système à partir d’une diskette. Vous n’avez pas connu ces antiquités.

Etienne dit : « Pour obtenir la sagesse, trente-sept conditions c’est pas beaucoup. Sanjushichi est un nombre infini, comme bodai, comme zazen, comme notre esprit originel. C’est l’éveil complet. Absolu, la sagesse absolue. Ce qui est absolu on ne peut pas le comprendre, comme les trente-sept conditions pour le satori. Qu’est-ce qu’une de ces conditions ? On ne peut pas le saisir non plus. Ce sont les sutras, la parole de Bouddha. Les vrais sutras on ne peut pas les lire. Bodaibunpo : la vraie condition, c’est apparaître dans le monde sans écriture, sans sutra, sans Bible, sans Coran. C’est shikantaza : zazen. »

Sanjushichi-bon veut dire trente-sept, bodai en sanskrit c’est bodhi, qui veut dire la vérité. Bunpo signifie les éléments ou les méthodes. Il s‘agit de l’enseignement fondamental du Bouddha. Parmi cette œuvre qui a alimenté l’enseignement d’Etienne aux sesshins du Dojo de Genève à Arzier, du Dojo de La Chaux-de-Fonds aux Emibois, au Dojo de Paris et à la Gendronnière, il y a les sept qualités amenant à la décision juste, les sept qualités de l’éveil, les sept kakushi.

Pendant cette sesshin d’été nous allons aborder ensemble ces sept qualités de l’éveil. En tout cas nous allons essayer en suivant l’enseignement d’Etienne. Vous pouvez étudier vous-mêmes les trente autres dans son livre, « Le chant de l’illumination silencieuse » qui en terme d’écrit rassemble son enseignement principal, si fondateur de notre lignée spirituelle.

Dans quoi pouvons nous avoir confiance avant d’avoir finalement confiance en nous-mêmes ? Dans notre lignée spirituelle. S’abandonner dans sa lignée spirituelle, y prendre refuge, c’est abandonner son Moi, abandonner avec bonheur les efforts vains, abandonner la soif de posséder, de désirer tenir la Voie des Bouddhas dans nos mains, abandonner de vouloir tout comprendre à travers notre Moi, et rejoindre les eaux tranquilles qui pacifient entièrement notre esprit. « L’être humain devient l’être humain, la montagne devient la montagne, toute chose pratique continuellement et aucun mal ne peut apparaître. »

Bien sûr à la fin l’éveil n’a ni caractéristiques, ni qualités, la vacuité non plus. Nous vivons dans un monde relatif avec au fond de nous cet appel d’un absolu, d’une vérité absolue que nous entrevoyons quelquefois au contact de zazen, de la nature, au sein même de nos tribulations, de notre voyage vers notre libération complète, notre voyage vers la liberté de notre esprit sans attaches. C’est pour cela que ce chapitre traite des sept Voies vers l’Eveil, l’éveil lui-même est au-delà de tout mot, bien au-delà de tout Moi. En ce sens nous devons utiliser ce que nous sommes, notre corps transitoire, notre esprit souvent futile et qui fabrique constamment des illusions, et cela au sein même de notre vie de tous les jours, pour créer les conditions qui permettront l’apparition de notre véritable nature, éveillée. Celle-ci, notre nature de Bouddha, est en chacun de nous, il ne faut nullement en douter sinon nous tombons dans un doute éternel. Dogen dit : « Et vous serez incapables de comprendre ce qu’est dukkha, l’insatisfaction, la souffrance. » Il nous faut voir ce qu’est le vrai Dharma, devenir, être le corps et l’esprit de Bouddha.

Alors là, oui, on comprend que la Voie n’a pas de fin, que la pratique des sept kakushi n’a pas de fin, on comprend même que nous sommes amenés à pratiquer cela au-delà de notre vie afin que les mérites profitent à tous ceux et celles qui continueront le cycle de la vie, nos enfants, les générations futures. Au-delà, au-delà du par delà dit l’Hannya Shingyo. Les kakushi doivent être vus comme infinis, bénéfiques à tous. Qui d’autre les pratiquera sinon nous-mêmes ? « Il faut remonter ses manches à soi, et non celles des autres. » disait Etienne.

Alors donc pendant cette sesshin un petit rappel de remontage de manches pour chacun de nous. La Voie des Bouddhas en pratique, pas dans les idées aussi flamboyantes soient-elles.

Zazen 2

Le premier kakushi est : chercher la Voie.

« Comment chercher cette Voie ? Connaître ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas. Distinguer les voies infernales, le naraka, les gakis, les animaux et la Voie de Bouddha. Bien voir la voie humaine et la Voie de Bouddha. », dit Etienne Mokusho Zeisler.

En pratique chercher la Voie c’est dans une journée se lever le matin pour venir pratiquer zazen. La Voie humaine c’est de rester au lit. Ensuite la posture de zazen, la posture de Bouddha, ne pas laisser sa tête partir en avant, garder le dos droit, ne laisser aucune différence entre moi et la Voie. « S’il existe seulement un millième ou un centième d’intervalle, la séparation est aussi grande que celle qui sépare la terre du ciel. » dit le Shinjinmei de Sosan. Par conséquence ajoute Dogen, « atteindre la vérité n’est ni difficile, ni facile : tout ce qui est nécessaire est de décider pour soi-même ».

Il ne s’agit donc nullement de se réconforter en pensant qu’on connaît la Voie de Bouddha mais d’agir dans le sens de chercher, toujours chercher, et de bien distinguer où se trouve la Voie de Bouddha dans notre vie, et cela de façon décidée. En effet, il s’agit d’une décision. Oui je sais comme vous qu’il y a les circonstances, les possibilités, l’énergie qu’on a, mais il faut décider de la suivre. Rapidement et sans choisir. Des fois on n’y arrive pas, mais il faut continuer. Cette quête est continuelle, un peu comme les alchimistes, toujours remettre au feu de façon renouvelée. Continuer à métamorphoser le corps et l’esprit pour créer les conditions où notre nature éveillée se révélera, comme la pierre philosophale. La quête est sans fin, elle est donc sans but non plus, tout réside dans le processus.

Le message du Bouddha reste révolutionnaire. Ce n’est pas un message mondain mais bien toujours une révolution intérieure. Chercher la Voie à la place de chercher le confort, se diriger vers une vie spirituelle où les valeurs, la vision de l’existence ne consiste plus à accumuler des distractions mais à se concentrer sur des valeurs humanistes, à viser une haute dimension de l’être humain. Pourquoi ? Nous sommes nés humains, nos différences de couleur, de statut, de famille, sur le plan mondain nous séparent alors que nous pouvons réaliser que nous ne sommes en rien différents de qui que ce soit au regard de Bouddha, au regard d’un être éveillé. Nous devons nous en souvenir. Et notre pratique témoigne de cette compassion que nous avons pour tous.

Elle a l’air difficile, se lever, arranger les horaires de sa vie en fonction de cette pratique, négocier avec les moldus, mais au-delà chercher la Voie. Le problème de la vie et de la mort est le plus important ; nous sommes dedans et non en dehors. Continuons avec la force spirituelle que nous avons, décidons que nous avons de la force spirituelle, décidons que nous sommes les successeurs de l’Eveillé et ne laissons pas les démons sociaux qui nous habitent aussi gagner cette bataille pour le vivant, pour la vérité, pour la Bouddha. Continuer est le véritable satori, c’est par là que nous pourrons être vraiment satisfaits de notre vie.

Zazen 3

Le deuxième kakushi est : l’effort, la détermination, continuer zazen.

Etienne dit : « L’homme ordinaire, lorsqu’il rencontre les phénomènes, les découvre bons, mauvais ou neutres. Mais l’homme qui s’applique à l’effort diligent, le bodhisattva cherchant le dharma du Bouddha, ne trouve rien du tout, ne découvre pas d’effort, de durée, de pratique. Il ne trouve rien, n’achète rien, ne vent rien. Il continue éternellement. C’est important de ne pas utiliser son propre esprit, sa volonté, son pouvoir personnel. Seulement continuer, se concentrer sur la posture, laisser passer les pensées. »

Si nous voyons et comprenons intimement notre vie et notre mort à partir du Bouddha-dharma, tout effort volontaire disparaît. Effort, non-effort sont des notions auxquelles nous n’attachons plus d’importance. Mais bien sûr si nous commençons uniquement par le non-effort, rien ne se passe, il faut pratiquer l’effort à partir du non-effort. Dès qu’un instant finit, un autre apparaît immédiatement. Agir dans l’instant et laisser passer, sinon tous les efforts s’accumulent, les phénomènes s’empilent et notre esprit s’embrouille. Chaque instant résout toutes choses.

Tous dans notre enfance ou notre adolescence avons entendu ces phrases : « Mais fais donc un effort ! Remue-toi un peu ! » Et nous sommes pris alors dans cette dualité : faire des efforts ou ne rien faire. Faire des efforts devient un effort en lui-même, le cycle continue et on finit par s’épuiser. La pratique qui dure éternellement risque de devenir juste un effort de plus et nous oublions très vite hishiryo, nous oublions la chance que nous avons d’être ouverts au Dharma, nous oublions notre existence légère, libre, nous perdons contact avec le fond de notre esprit, notre esprit originel.

Et un jour nous découvrons réellement le monde des bodhisattvas, l’effort pur, limpide que nous pouvons utiliser comme bon nous semble, celui qui ne coûte rien, nous nous éveillons de notre rêve et faisons face à la réalité telle qu’elle est, aux autres tels qu’ils sont, ainsi peut apparaître la vraie compassion. Notre vie se résout à l’essentiel.

Il est dit dans le Mokushoka, le Chant de l’illumination silencieuse, de Maitre Wanshi qui vécut au XIIème siècle :

Dans cette lumière,

Tout effort est oublié,

Quel est le lieu de cette splendeur

Où lumière et clarté chassent toute confusion ?

L’essence d’un atome

Pénètre l’infinitésimal,

C’est la navette d’or sur le métier de jade.

La détermination, c’est de continuer zazen, hishiryo, éternellement. Dukkha disparaît et à chaque instant sukkha apparaît.

Zazen 4

            Le troisième kakushi est la joie, l’enchantement, le bonheur.

« La vraie joie est à l’intérieur de notre esprit, et Kannon transforme chacun des mondes en paradis. Chaque être, à chaque moment, est immédiatement sauvé. »

On croit que notre joie dépend entièrement des phénomènes, si tout va bien alors je suis heureux, si ça coince alors je suis malheureux. Alors on court après des conditions, des causes, celles que nous préférons. Mais elles sont éphémères et notre esprit change aussi à chaque instant, et nous nous retrouvons comme la souris prisonnière qui galope à l’intérieur d’une roue en pensant arriver quelque part alors que tout ce que nous désirons est être un écureuil libre sautant dans les branches sans s’accrocher à aucune. Comment alors pourrions-nous être satisfaits, vraiment ? Comment pourrions-nous dire : je suis vraiment heureux ?

Retrouvons notre condition normale, notre nature originelle, dépouillée des fardeaux inutiles que nous avons nous-mêmes accumulés. Le Bouddha raconte cette parabole : il s’agit d’un homme qui se trouve face à un fleuve et il doit le traverser pour continuer sa route. Il construit avec des branches et quelques troncs d’arbre un radeau et deux pagaies. Malgré le courant fort de la rivière il parvient à la traverser sans se noyer. Que fait-il alors ? Part-il avec son lourd radeau sur le dos ? Ou abandonne-t-il le radeau dont il n’a plus besoin sur la rive ? A chaque instant nous pouvons repartir libres sur la Voie de l’éveil complet, libres, heureux et enchantés de continuer notre voyage.

« L’esprit intérieur est toujours libre et heureux. C’est pourquoi il est dit que le bodhisattva Kannon, qui a mille mains et mille yeux, ne ressent pas de souffrance même s’il vit dans le froid glacial. Le vrai bonheur est la révolution intérieure de notre esprit » dit Etienne.

Une fois lors d’une sesshin avec Etienne à Arzier, j’étais tenzo, totalement inexpérimenté j’avais fait une montagne de grosses nouilles vu qu’elles n’étaient pas chères vous imaginez. Etienne a mangé comme d’habitude, la bouche d’un moine est comme un four. A la fin de la sesshin Barbara lui demande s’il allait remercier les gens qui avaient travaillé à la sesshin. « Non » dit-il. Même pas le tenzo ? ajoute Barbara. « Le tenzo ? Surtout pas ! » La joie, le bonheur est d’agir spontanément pour les autres, comme le tenzo qui accepte d’abandonner sa pratique de zazen pour nourrir la sangha. La pratique du tenzo est l’une des plus hautes. Tous les grands maîtres ont été tenzo. Cet enseignement les a tous marqué pour la vie.

La joie véritable, le bonheur inconditionnel est dans notre esprit, toujours libre.

Zazen 5

Le quatrième kakushi est l’extinction, l’arrêt ou la paix spirituelle de notre esprit.

Pour cela il s’agit de saisir son véritable soi-même. « C’est l’enseignement subjectif de soi-même à soi-même. Créer votre propre vie qui est unique.» dit Etienne. Je me souviens que lorsque j’ai entendu cette phrase, ce fut comme si j’avais découvert quelqu’un à qui je pouvais m’adresser sans passer par les autres, je pouvais trouver mon propre enseignement dans ma propre vie. Heureusement car Etienne est mort en fait peu de temps après mais j’avais la certification que je pouvais approfondir la Voie de Bouddha en grande partie seul et continuer avec lui alors subjectivement. Ce que je crois avoir fait.

Par la suite en 2006 au monastère bénédictin de Pannonhalma en Hongrie où nous étions allés avec Yvon discuter avec des moines qui pratiquaient zazen, je rencontrai un frère cistercien de La Trappe à qui je disais qu’enfant j’aimais beaucoup à l’église protestante le moment de la bénédiction et que cela me manquait dans le zen. Il me répondit : « Ne t’inquiète pas, de toutes façons la bénédiction viendra, cela prend du temps. » En partant le frère Gergely me dit : « Avant de partir je te donne le baiser de paix. »

Trouver soi-même la paix spirituelle, inconditionnelle, n’est pas si facile. D’où pourrait-elle venir ? D’ailleurs, de l’extérieur, des autres ? Nous devons trouver notre propre paix spirituelle nous-mêmes, aussi difficile cela soit-il. « Abandonner le corps, abandonner l’esprit, abandonner moi, abandonner les autres. S’il vous plaît, comprenez vous vous-même. Tournez votre regard vers l’intérieur. L’objet de notre vie, ce n’est pas seulement les mots, les paroles, la voie des autres, la voie imitée mais créer votre vie qui est unique. La Voie, Bouddha, est votre propre esprit. Seul le je, le moi transparent, certifié par l’univers entier, peut comprendre.», dit Etienne.

On ne peut pas demander la paix spirituelle à quelqu’un d’autre. La paix spirituelle se crée en nous-mêmes, si nous favorisons les bonnes conditions. De même la liberté ne se mendie pas, mais se prend.

Se raser le crâne, revêtir son kolomo et son kesa, et partir chercher la Voie, sans demeure, la seule demeure est celle de notre esprit originel. Ainsi Ejo partit rejoindre Dogen, Eka trouva Bodhidharma dans sa caverne, Dogen finit par atteindre la montagne où résidait Nyojo, et Mahakashyapa sourit au Bouddha. Dogen, Bodhidharma, Nyojo et le Bouddha, tous finirent par disparaître. Tous continuèrent cet esprit originel qu’ils portaient en eux et que leurs maîtres les avaient aidé à découvrir. I shin den shin est l’enseignement subjectif de soi-même à soi-même, apportant la véritable paix spirituelle.

Lorsque la lumière silencieuse

Touche le point ultime

Je perpétue la tradition originelle de mon école.

(Mokushoka)

Zazen 6

Le cinquième kakushi est l’équanimité, l’égalité, l’esprit toujours identique.

« Peu importe ce que les autres disent, ce que les disciples idiots pensent. Nous devons décider au fond de notre esprit, tout seul. Toucher son véritable esprit, toucher également son véritable corps, revenir dans sa vraie demeure, comme à la maison. Dogen dit : C’est comme allumer un bâton d’encens dans le temple ; et comme un lion rugissant dans sa tanière. » dit Etienne.

Dans une sesshin nous pouvons retrouver notre égalité d’esprit, pareil au grand océan. Si nous ne bougeons pas, alors l’esprit non plus ne bouge pas.

Chaque fois que je prends l’avion avec un bagage dans la soute et une escale, à l’arrivée c’est le même cirque. Il vient ou non ce bagage ? Je suis sûr qu’ils l’ont paumé à l’escale. Finalement il sort du tapis roulant. Je retrouve un peu de paix, du soulagement en tout cas. Et pourtant ce n’est qu’un gros sac, avec des choses dedans, pas de raison de penser que tout le système des aéroports se lie contre moi. Garder son égalité d’esprit. Mais pourquoi c’est une composante de l’éveil ?

Il s’agit de ne pas laisser son esprit suivre les phénomènes comme un petit chien attaché à une laisse : la voiture ne démarre pas, j’ai perdu ma carte d’identité, j’ai peur de n’avoir plus rien, je déprime, etc., etc. Les phénomènes sont innombrables et si nous les suivons nous n’allons nulle part à tout le temps changer de route. L’éveil est notre esprit, notre esprit lui-même est Bouddha, notre esprit originel. Si nous le laissons balloter au gré de ce que nous acceptons ou refusons, il perd toute liberté comme le chien avec sa laisse. Si nous suivons tout le temps ce que disent les autres, comment alors pourrons-nous maitriser notre vie, comment pourrons-nous être libres de créer notre existence aussi bien terrestre que spirituelle ? Et nous ne serons jamais vraiment en paix, l’esprit tranquille, et nous ne serons jamais satisfaits. C’est à nouveau dukkha.

Si nous perdons notre tranquillité originelle d’esprit c’est dukkha, et tout devient dukkha. Justement l’éveil n’est pas dukkha, l’esprit égal et calme n’est pas dukkha. Voir les gens avec un esprit d’équanimité, les prendre tels qu’ils sont, revenir à sa propre maison est bienfaisant.

Dogen dit : « Moucher son propre nez, attraper notre propre corde et nous diriger nous-mêmes. »

Il faut donc constamment revenir à son véritable soi-même, ramener son esprit à la réalité des choses, retrouver son esprit éveillé, revenir à Bouddha.

Cet esprit merveilleux brille

De pureté et de rareté.

Comme l’aspect de la lune, comme une rivière d’étoiles,

Comme les pins vêtus de neige

Et les nuages enveloppant les cimes.

(Mokushoka)

Zazen 7

Le sixième des chemins vers l’éveil est la méditation, la concentration, le samadhi. Tout devient paisible.

Dans ses commentaires des sept kakushi Etienne revient toujours à zazen, à la posture de zazen, la posture de Bouddha, celle d’un être éveillé, bien droite, belle, noble. Cette posture n’attend rien, mushotoku, elle n’anticipe rien, ne désire rien, ne mendie rien auprès de qui que ce soit. Les kusens d’Etienne sont directs, évidents et percutants, simples aussi, pas comme Nagarjuna, Dogen, le yogacara et l’Abhidharma, simplement toujours revenir à zazen, le moyen le plus direct pour toucher son véritable esprit, pour entrevoir sa nature originelle.

Vous la connaissez mais peut-être pas tout le monde. Un jour un voleur est poursuivi par des soldats qui veulent l’attraper. Il se réfugie dans un monastère et le moine lui permet de s’y cacher. Les soldats arrivent en trombe, voient le moine assis sur son zafu, tranquille et lui demandent : « Où est le voleur, dis-nous où est le voleur ! » Le moine ne répond rien. Alors les soldats le menacent : « Si tu ne nous dis pas où est caché le voleur, alors nous te couperons la tête. » Ca ne plaisantait pas à cette époque. Le moine dit : « Ok d’accord coupez-moi la tête mais avant je voudrais vous faire une dernière requête. Donnez moi un grand verre de saké et après coupez-moi le cou. » Les soldats acquiescent et le moine boit tranquillement, bien tranquillement son dernier verre de saké, le dégustant les yeux fermés assis en posture de zazen. Quand il a fini il ouvre alors les yeux, lève les yeux vers les soldats la tête inclinée pour recevoir le coup de sabre, mais les soldats ont disparu. Le samadhi.

Pendant zazen il y a à la fois concentration et observation. Concentrez-vous sur votre belle posture et observez votre respiration. Tout le reste suivra, votre esprit ne divaguera plus et l’unité du corps-esprit apparaîtra inconsciemment, naturellement, automatiquement. Vous observez le corps, il disparaît et l’esprit apparaît. Vous observez votre esprit et le corps apparaît. Les deux sont intimement liés dans ce samadhi qui vous laisse paisibles et satisfaits, comme un poisson dans l’eau infinie d’un océan, comme un oiseau volant dans le ciel sans limites. Chacun retrouve le vrai bonheur.

Et voilà, ne compliquez pas la Voie, retrouvez un état dans lequel votre existence n’est pas compliquée, retrouvez un esprit libre des phénomènes, à chaque respiration.

Maître Deshimaru a dit : « Bouddha signifie la vraie liberté. Zazen est cette vraie liberté. C’est du vrai gâteau, la liberté véritable. »

Zazen 8

Le dernier des composants de l’éveil est l’attention.

Il s’agit de pratiquer trois attentions simultanément : attention sur ce que l’on fait et non sur le moi qui l’exécute, attention sur son esprit abandonné au fur et à mesure de l’action, et attention sur le mode extérieur, la vue panoramique. Donc il faut porter son attention sur tout en même temps. « L’attention, c’est embrasser l’univers entier, saisir d’un regard toutes les perspectives. Si on ne regarde qu’une chose, on est attaché, ficelé, on ne peut plus bouger. Un érudit sera ficelé par son savoir, un religieux par sa religion, le politicien par la politique. » dit Etienne.

Par exemple faire des courses au supermarché est un exercice de patience et de compassion. Laisser passer l’énervement contre les gens qui bloquent sans rien voir le passage avec leur caddie, qui se posent au milieu du chemin ou discutent avec la caissière alors que la file d’attente s’allonge. Au musée aussi, se poser le nez sur un tableau sans avoir la moindre conscience que les autres voudraient aussi pouvoir le voir. L’attention est un élément essentiel de l’éveil, l’ignorance du monde extérieur et se croire seul au monde ne l’est certainement pas. Ne pas juger est une bonne loi.

En zazen avec l’attention, vous pouvez toucher le cœur le plus profond de zazen et être naturellement en harmonie avec Bouddha, avec l’être éveillé. Attention sur la posture, attention sur l’esprit, attention à s’harmoniser avec les autres, ne pas bouger. Et en même temps observation. Ce ne sont que deux mots différents, en pratique attention et observation sont un même processus d’éveil. Il est si facile de se laisser divaguer dans notre cinéma intérieur, chacun peut s’en rendre compte. A ce moment la décision rapide : revenir à l’attention, à la respiration, au calme de l’esprit. Ce processus est à renouveler à chaque respiration, rien n’est acquis de façon permanente ou même prolongée, il faut renaître à chaque instant.

Etienne dit dans son livre : « Ni juste ni faux, ni bien ni mal, ni pureté ni souillure, ni pensée ni non-pensée, zazen, c’est rencontrer cela dans notre vie. Un jour, on a offert à Maître Takuan un dessin d’une prostituée. Il a écrit dessus :

Le Bouddha vend le Dharma, vend la doctrine.

Les patriarches vendent Bouddha.

Les Maîtres vendent les patriarches,

Elle, elle vend son corps pour apaiser les passions humaines.

Bonno soku bodai. Les passions sont le nirvana. »

Zazen, ne rien acheter, ne rien vendre, c’est comme aller à la banque avec un billet de 100 francs et dire : je voudrais acheter un billet de 100 francs. Juste l’attention en zazen et dans la vie quotidienne, l’attention sur tout, l’éveil de toutes choses et de tout être.

Zazen 9

Voilà, nous avons effleuré les sept kakushi en suivant les commentaires d’Etienne. A la fin quel enseignement suivre ? L’enseignement originel du Bouddha, le bouddhisme ancien, compassion et sagesse, l’enseignement universel du mahayana, la vacuité de Nagarjuna, le yogacara sur la création de nos illusions et de notre Moi, le Chan et la vivacité de l’esprit dans l’instant, Dogen, Deshimaru, Etienne Mokusho, celui d’un maître vivant ?

Soyons reconnaissants pour tous ces enseignements et n’en négligeons aucun, sans nous y attacher de façon doctrinale et fondamentaliste. Tous ces enseignements sont des moyens habiles pour nous aider à voir notre propre réalité, notre vérité, nous éveiller et finalement nous rendre compte que nous possédons tous la nature de Bouddha et que nous sommes originellement libres. A vrai dire on ne trouve rien, on ne fait que découvrir, enlever notre couette et sortir du lit, ouvrir les fenêtres, respirer à l’air libre et marcher avec bonheur sur la terre en faisant tout ce que nous pouvons pour que ce bonheur s’étende à tous les êtres. A ce moment nous découvrons aussi pourquoi nous sommes vivants, pourquoi nous sommes nés humains, nous découvrons qu’il ne s’agit pas que de nous-mêmes.

« Se détacher de son moi, c’est se jeter corps et esprit dans le grand océan de la Loi du Bouddha, et pratiquer en accord avec elle, quelles que soient les épreuves et les peines. » dit Dogen.

Au milieu de notre période Covid qui nous a tous plombé, le désir de voir l’océan ou les montagnes, de voir la nature qui est là malgré tout est grand. Tout cela est semblable à notre nature originelle. Nous retournons alors au premier kakushi, le désir de l’éveil complet, c’est l’anneau de la Voie sans commencement ni fin.

Zazen 10

J’aime beaucoup Ryokan, le vieux moine errant qui aux confins de sa vie solitaire découvrit l’amour d’une jeune nonne. Sans que nous le sachions peut-être cela s’est-il passé aussi une fois entre une vieille nonne errante et un tout jeune homme. Qu’importe les autres, quoi que vous fassiez ou dites il se trouvera toujours quelqu’un pour ne pas être d’accord avec vous et vous critiquez. Laissez passer.

Dans ce dojo transitoire de quelques jours apparu à partir d’une pièce vide qui retournera vers son usage mondain, des vers de Ryokan dont le cœur rejoignant le notre se trouve entre les lignes et au-delà des mots.

Voilà

pour toi j’ai cueilli

pendant l’éclaircie

dans un champ entre les gouttes de pluie

ces céleris sauvages

 

Ce soir ensemble

demain par un sentier de montagne

séparés

à nouveau seul à me prélasser

dans ma vieille hutte

 

La vie en ce monde

à quoi la comparer ?

à un écho

qui se propage

et se perd dans le vide

 

Ce que le vénérable Bouddha

enseigna

dans les temps anciens

transmis jusqu’à aujourd’hui

m’emplit de gratitude.

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