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Les cinq énergies de Bouddha

Introduction

Avant son éveil Siddharta Gautama Shakyamuni était un homme comme tout le monde. Il l’est resté évidemment et finalement est mort empoisonné par des champignons.

Par sa propre expérience il fut le premier à parvenir à l’éveil insurpassable. Et nous tous faisons partie de la lignée de transmission qui nous relie de façon vivante à son enseignement. Qu’a-t-il vécu ? La réalité directe, l’expérience intérieure de découvrir la nature essentielle de l’esprit, la vacuité, la non-séparation et l’impermanence de toutes les existences. Parvenu à l’éveil il devint le Bouddha, un titre qui signifie l’éveillé. Donc Shakyamuni est son nom, Bouddha est un titre. Un peu comme Jésus et Le Christ.

A partir de là l’individu Shakyamuni a transcendé le simple être humain et ne peut plus être distingué de son enseignement de Bouddha, le Dharma. Tous ses actes manifestent le Dharma, la réalité. On dit qu’il a un corps de Dharma, qui est appelé le Dharmakaya, le corps de réalité. Il a grandi dans le monde mais est au-delà de celui-ci comme le lotus qui pousse dans l’eau boueuse mais fleurit au-dessus. Le Bouddha est devenu le Dharma.

Tout le monde possède en lui la présence du Dharmakaya. Mais ce corps de lumière, non matériel, sans forme ne peut pas apparaître. Pour cela il faut que le Dharmakaya se manifeste d’abord sous la forme d’un Bouddha dans les terres pures des Bouddhas qui contiennent l’enseignement qui permettra aux bodhisattvas d’atteindre l’éveil complet. C’est le corps de parfaite plénitude, le Sambogakaya. Il faut finalement atteindre le monde humain. C’est pour cela qu’il génère finalement un corps d’apparition dans le monde des formes. Celui-ci est le Nirmanakaya ; c’est là que nous trouvons l’homme terrestre, vivant : Shakyamuni.

Dans la Voie des Bouddhas ces trois corps n’en sont qu’un seul. Shakyamuni est vu comme le Bouddha, c’est à dire l’émanation terrestre du corps de Dharma. Cette lignée, ces trois corps, nous ramène nous aussi à notre nature de base. Pour se relier entièrement à cette vacuité lumineuse, notre véritable nature, les différentes lignées bouddhistes ont des pratiques diverses pour réaliser l’éveil complet. Pour cela il faut s’affranchir des forces du karma qui densifient notre vie, retrouver une clairvoyance, et nous libérer de nos conditionnements.

Comment se libérer des sensations, des voiles passionnels, des opinions partiales, ne pas être dominé par ses émotions et réaliser notre vœu de devenir bouddha, c’est à dire un être complètement éveillé ?

Les pratiques : dans le bouddhisme la pratique des paramita, le don, la patience, la sagesse, etc. Dans le zen c’est principalement la pratique journalière de zazen. D’autres pratiques font partie du bouddhisme ésotérique qui regroupe entre autres le bouddhisme Shingon, le Tendai et le bouddhisme Vajrayana auquel appartient le bouddhisme tibétain.

Celui-ci a créé des figures symboliques, masculines et féminines, qui représentent le plus haut niveau d’expérience spirituelle, le niveau de l’éveil complet, de l’amour ou de la compassion, et de la sagesse. Ces qualités sont représentées par des figures masculines pour l’amour et par des figures féminines pour la sagesse. Elles sont toutes une expression symbolique de la vérité spirituelle profonde.

C’est de ces figures-là, qui sont symboliques de notre esprit, que je voudrais vous parler pour vous rendre attentifs aux différents aspects de notre esprit, aspects paisibles ou courroucés.

Le mandala

En ce qui concerne le Dharmakaya, bien que dénué de toute forme, il est néanmoins figuré comme un Bouddha nu, bleu, le Bouddha primordial, Samantabhadra, souvent en union avec sa compagne féminine, sa Dakini. Dans d’autres écoles ésotériques ce Bouddha primordial est Vairocana.

Comme nous l’avons vu, pour que le Dharmakaya puisse devenir une émanation dans les êtres humains, il doit générer un corps de parfaite plénitude, un corps d’enseignement, le Sambogakaya. C’est un peu comme un pont reliant le Dharma au terrestre. C’est là que nous allons trouver les cinq familles ou cinq énergies de Bouddha. Ces familles, avec leurs formes symbolique masculines et féminines, amour et sagesse, sont à la fois des déités sans existence réelle mais possédant une forme purement symbolique, et sont aussi des états de notre esprit.

Ces cinq familles constituent un modèle de représentation de tous les phénomènes existant, ceci dans leur pure nature. Elles sont regroupées et ordonnées selon une représentation qui constitue la base du mandala. Ce ne sont pas des figures historiques, mais des représentations des principes d’éveil qui sont présents en chacun de nous. Les pratiques sont dirigées vers le transfert des mérites symbolisés par les cinq familles dans le pratiquant. C’est la tâche de transformation du Vajrayana. Celle-ci comporte par exemple la méditation sur le mandala des cinq familles (Figure 1).

Chaque famille symbolise un type d’énergie qui possède un pôle sain, appelé « Les Paisibles dans le Cœur » et un pôle névrotique appelé « Les Courroucés dans le Cerveau ». Le pôle sain mène à l’éveil, au-delà du moi, et le pôle névrotique enfonce la personne dans le monde du moi, dans les six mondes du samsara et de la solidification de l’esprit, contraire à son ouverture.

Cette classification en familles n’est pas fait pour enfermer qui que ce soit dans une catégorie, tous nous possédons en nous toutes ces familles. Nous pouvons néanmoins discerner en nous les dominantes, ce qui nous aide à comprendre notre esprit, ses projections, ses sensations et nos sentiments et ainsi transformer notre vision karmique en vision éveillée.

Les cinq familles ou énergies de Bouddha

Les cinq familles sont représentées sous la forme d’un mandala. Un mandala pour les Paisibles du Cœur et un mandala pour les Courroucés du Cerveau. Cette représentation est selon les points cardinaux et à chaque famille est associé un vainqueur, figure centrale, accompagné de son épouse, l’élément féminin, la Dakini. Il est entouré de bodhisattvas et devas diverses. Pour chaque famille, sont associés :

  • Un nom de famille : Vajra, Karma, Padma, Ratna et Bouddha
  • Un animal, une couleur
  • Un état d’esprit positif (mandala des Paisibles) – Figure 2
  • Un état d’esprit négatif (mandala des Courroucés) – Figure 3
  • Un skandha
  • Un mudra
  • Un élément
  • Un état d’être correspondant à la catégorisation des six mondes du samsara

Les pratiques consistent donc à passer des états courroucés aux états paisibles. Elles s’adressent également à comment traiter les émotions. Si les déités paisibles se transforment elles deviennent alors les courroucées, les mouvements schizoïdes de notre cerveau, à la place des états de calmes qu’elles représentent. Ces deux mandalas incluent tous les phénomènes purs et impurs.

Le point clé le plus important est que sous quelque forme que se manifeste notre propre karma, il faut y reconnaître ses propres manifestations, son propre esprit. Dans le Livre des Morts tibétains il est dit : « Toutes ces choses ne sont que des apparences nées de mon esprit. Désormais elles sont pour moi semblables à un rêve, à une illusion magique, un mirage, un écho, un reflet, celui sans substance de la lune dans l’eau. »

Par la pratique des mantras, des mudras, de la visualisation des mandalas, il s’agit de se libérer des imprégnations karmiques et de passer

de :

« Les êtres qui comme moi sont affligés par leur karma

Sont sous l’influence immémoriale de leurs constructions imaginaires

Et demeurent dans le cycle des existences des trois mondes sans espoir de délivrance »

à :

« La nature de l’esprit est le vaste ciel de l’espace de la réalité

Où les choses sont la claire lumière originelle parfaitement pure. »

La famille du Tathagata, famille Bouddha

Voir la Figure 4.

Du côté courroucé c’est :

  • L’ignorance (l’un des 3 poisons), la stupidité
  • L’inertie, l’immobilisme, l’indécision
  • Un certain orgueil de son pseudo-éveil

Du côté paisible :

  • La sagesse, le domaine du Dharma, la vacuité
  • La concentration
  • La contemplation, la méditation

Ces deux côtés sont comme l’endroit et l’envers, comme la lumière et l’ombre. La caractéristique d’un Bouddha réalisé est d’enseigner, son mudra est donc le mudra de l’enseignement.

L’animal est le lion, car un Bouddha proclame sans peur, la Vérité ou la Réalité, comme le rugissement du lion.

Le nom de son épouse, sa Dakini veut dire « La dame souveraine de la sphère de l’infini. » Si on se souvient que Vairocana est le soleil (l’amour), elle représente l’espace infini à travers lequel passent les rayons du soleil. Ils représentent la totalité du monde phénoménal.

Quelques exemples :

« Je cherche pas à comprendre, mon zazen me suffit. Il ne faut rien me demander de plus » A la place de faire preuve d’une concentration et d’une réflexion profonde propice à l’ouverture de la sagesse et à la réalisation de l’éveil. On entend des fois se dévoiler une telle attitude dans la pratique du zen, immobilisme, inertie, en fait protection de son propre cocon tout en déclarant de façon hypocrite que pour soi seul zazen est important. Au contraire il faut profiter de tout pour développer sa sagesse et sa compassion.

« Je suis un ancien moine, je n’ai rien à apprendre de qui que ce soit. » Ca c’est terrible ! Au contraire l’humilité d’esprit est propice à l’ouverture. Reconnaître que notre bol est en essence entièrement vide permet d’y accueillir tout enseignement, toute joie, toute nourriture avec gratitude. Il est alors possible de ressentir l’immensité de la générosité d’un Bouddha.

La famille du Lotus, famille Padma.

Les Courroucées :

  • Le désir de possession
  • L’avidité (l’un des 3 poisons)
  • La volonté d’être un avec quelque chose. C’est vouloir posséder les choses ou les êtres pour y être uni

Et les Paisibles :

  • La sagesse du discernement pour ne pas être complètement enveloppé par le désir qui provoque une sorte de stupidité et d’ignorance
  • La sagesse de la conscience discriminante

On en trouve un exemple particulier en ce qui concerne la communication ou les relations humaines. Padma a beaucoup à voir avec les relations. Dans le pire des Courroucés de la famille Lotus, on trouve certainement la violence conjugale, ou toute personne qui se conduit comme un tyran mais qui en même temps désire se faire aimer. Le désir possessif ne respecte nullement l’existence de l’autre personne, c’est l’envers infernal de la médaille.

Les pratiques consistent à transformer le désir en sagesse et à se relier aux autres à travers une bonne communication, en respectant chacun.

Un exemple :

Une femme (ou un homme) se prépare pour sortir un soir. Elle met sa plus belle robe, des bijoux discrets mais d’une grande élégance, se maquille avec soin, se parfume légèrement et quand elle est toute prête elle s’assied sur son canapé à côté du téléphone. Et elle attend. Mais le téléphone ne sonne jamais.

Tout au contraire il s’agit de comprendre avec sagesse les relations humaines, en avoir une conscience discriminante, choisir ses amis en toute liberté et soutenir des échanges adultes, francs et ouverts sans essayer de s’approprier quoi que ce soit. Que ce soit les êtres, les choses, la pratique de zazen, ou sa propre image.

La famille du Diamant, famille Vajra

Cette famille est un peu comme l’éclair, la foudre. Le côté courroucé réside essentiellement dans la haine, la colère (l’un des trois poisons), comme les personnes qui sont toujours à cran, défensives et désagréables ou arrogantes. La colère peut être chaude ou froide comme la haine et précipite l’esprit dans la confusion. La haine sous-jacente remonte au karma et transforme le monde entier, notre monde, en monde de haine.

Il est à remarquer que dans cette famille il y a plus de devas courroucées que dans les autres familles.

Au contraire les Paisibles sont :

  • La sagesse semblable au miroir, qui reflète tout sans parti pris
  • L’intelligence
  • La décision
  • Etre comme l’eau qui recouvre tout mais reste transparente

L’animal est l’éléphant, et le mudra le toucher de la terre. Du côté Paisible, c’est la décision, la décision rapide également, la clairvoyance, la transparence de l’être, la clarté d’esprit, comme le gros œil magique et éveillé de l’éléphant qui marche sans crainte dans la savane.

Par exemple, on dit souvent : « Il ou elle m’a vraiment mis en colère », ou « Ca franchement je ne supporte pas. » Il est évident que rien en lui-même ne nous met en colère, seuls nous-mêmes le faisons. Quoi qu’il reflète, un miroir ne juge pas du reflet.

La famille du Joyau, la famille Ratna

Du domaine des Courroucés :

  • L’orgueil
  • La territorialité stupide
  • La cupidité
  • Une fierté exacerbée, névrotique liée à la peur de se laisser aller
  • La peur de l’échec ou de la défaite, ainsi bâtir une forteresse intérieure dont on ne sort plus

Au contraire les Paisibles.

  • La richesse
  • La sérénité, l’équanimité
  • La satisfaction
  • Contempler la victoire et la défaite

Le mudra est celui du don, de la générosité. A l’envers il peut se retourner en don possessif, on donne pour posséder. Par exemple :

Vous êtes invités chez un ami pour manger, ce qui est très sympa. Il vous sert une entrée qui déjà vous suffirait en temps normal, mais comme vous êtes invités vous acceptez aussi le mets principal. « Je l’ai fait exclusivement pour vous, je sais que vous adorez ça, reprenez-en donc. » Et ensuite du fromage et un dessert. « Allons vous n’allez pas me refuser mon dessert, il est léger comme un nuage. » Vous vous trouvez forcés à aimer, soumis à un désir de possession de la part de votre hôte, à une avidité de reconnaissance face à une personne qui désire vous engluer dans son propre moi.

La famille du joyau est la sagesse de l’équanimité, ne se sentir ni menacé, ni vaincu, et n’avoir pas peur de perdre quoi que ce soit.

La famille de l’action, famille Karma.

Le Bouddha de cette famille est Amoghasiddhi, c’est vraiment la famille de l’action :

  • Du succès infaillible
  • De l’accomplissement sans entraves
  • La sagesse de l’action accomplissant tout
  • La précision dans l’action
  • Et l’action appropriée

Du côté Courroucés on trouve :

  • La jalousie, l’envie, ne pas supporter de voir les autres nous dépasser, ou être irrité par les réalisations d’autrui
  • La peur d’être en arrière ou laissé pour compte
  • L’absence de confiance en soi
  • La paranoïa provenant de ne pas atteindre pas son but

Lorsque cette énergie de Bouddha est positive elle conduit à des actions bénéfiques, à un élan dans les projets nourri de la confiance de réussir. Au contraire si ces bienfaits de l’action s’évanouissent, c’est l’errance, tourner en rond. « Qu’est-ce que je peux faire, je sais pas quoi faire. », comme Pierrot-le-Fou. Ou alors la surcharge, le burnout.

Je me souviens une fois au CERN j’ai entendu dans un meeting de management : « On réussira parce qu’on doit réussir ! » Ou bien : « On peut y arriver à la fin de la journée en travaillant dur. » Au contraire mon ami, un physicien senior d’une humanité merveilleuse et lauréat du prix Sakharov me disait : « Il ne faut jamais travailler plus dur, il faut travailler plus intelligemment. »

Du côté courroucé un mauvais manager, du côté paisible un bon leader.

Conclusion

Chaque école dispose de moyens habiles pour permettre au pratiquant de voir la vraie nature de son esprit, et de réaliser une vision de sa vie à partir d’un point de vue éveillé et non plus dominé par les forces opérantes du karma.

Ainsi peut-il pour le bénéfice et le bonheur de tous pratiquer la sagesse innée et la compassion sans aucun attachement.

Par cela chacun peut découvrir le véritable sens de sa vie, accepter le fait inéluctable de voir sa forme humaine disparaître et de n’avoir peur ni de la vie, ni de la mort.

FIGURE 1 :

 

Mandala des cinq familles de Bouddha

 

 

 

 

FIGURE 2:

 

Mandala des cinq familles des Paisibles du Coeur

 

Tiré du livre:

“Padmasambhava: Le livre des morts tibétains”, de Philippe Cornu. Editions Pocket, ISBN-13 : 978-2266205269

 

 

FIGURE 3 :

 

Mandala des cinq familles des Courroucés du cerveau

 

Tiré du livre:

“Padmasambhava: Le livre des morts tibétains”, de Philippe Cornu. Editions Pocket, ISBN-13 : 978-2266205269

 

 

FIGURE 4 :

 

Les cinq familles des Paisibles du Cœur avec les Vainqueurs et leur Dakini.

 

Bibliographie :

  • “Padmasambhava: Le livre des morts tibétains”, de Philippe Cornu. Editions Pocket, ISBN-13 : 978-2266205269
  • « Manuel de bouddhisme Tome III : Le bouddhisme Vajrayana », de Philippe Cornu. Editions Rangdröl, ISBN 978-0-244-17036-3.
  • « Pratique de la voie tibétaine », de Chögyam Trungpa. Editions Du Seuil, Points Sagesses, ISBN 978-2-7578-3987-4

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