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Le sentier transcendant du bodhisattva

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Si l’on remonte au Bouddha, qui est la source du zen que nous pratiquons ici, on se rend compte qu’il n’a professé aucune doctrine, ni même aucune règle de conduite à proprement parler, mais s’est contenté de proposer une voie d’accomplissement de l’être humain, où chacun peut pleinement se réaliser en se libérant des projections et des obsessions de son esprit. Il s’agit donc pour chacun dans le bouddhisme et le zen d’entreprendre lui-même ce pèlerinage, le chemin de toute sa vie qui l’amènera sans nul doute à s’éveiller à la réalité. Ceci est appelé la carrière ou la Voie du bodhisattva.

Il y a deux sortes de pratiquants du zen : les auditeurs et les bodhisattvas. Les auditeurs pensent atteindre la réalisation de l’éveil en écoutant l’enseignement de quelqu’un d’autre. Les bodhisattvas tirent par eux-mêmes les enseignements de leur propre expérience et développent une compréhension intime d’eux-mêmes, de leur pratique spirituelle, et de leurs actions, ceci en suivant les enseignements du Bouddha. Leur motivation est la libération de tous les êtres. Comme ceux-ci sont infinis, aussi bien que les attachements qui les emprisonnent et que les phénomènes auxquels ils sont confrontés, le travail du bodhisattva s’en trouve également infini, il ne s’arrête jamais. A la fois il tend à accomplir toute son humanité, et pour qu’il puisse être entièrement satisfait il désire également que chacun accède comme lui à cette libération de ses souffrances existentielles. C’est ce à quoi il va destiner toute sa détermination. C’est vivre selon les vœux du bodhisattva, et non plus selon des considérations mondaines. En cela il doit s’adresser à lui-même et puiser dans sa foi, dans la confiance absolue qu’il a de son action. Il ne peut le demander à personne d’autre.

Dans l’enseignement de Maître Deshimaru et d’Etienne Mokusho Zeisler, la pratique de zazen est totalement centrale, en particulier la posture du corps et l’attitude de l’esprit. Si l’accent principal est mis sur cette assise, sommes-nous alors éloignés des enseignements originaux du Bouddha ? La pratique de zazen est-elle un élément essentiel dans la vie d’un bodhisattva ? Suffit-elle ? Nous passons au maximum deux heures en zazen par jour en dehors des sesshins, et la majorité de notre temps s’écoule dans les activités de notre vie de tous les jours. La journée d’un bodhisattva couvre naturellement le temps de zazen et en dehors de celui-ci son action, sa pratique, continue selon des modes différents mais sa détermination, son désir, de mûrir lui-même et de faire mûrir tous les êtres vers une humanité de haute éthique, vers un éveil total à la réalité et la vérité, débouchant sur une libération joyeuse, demeure entière et continue. Les deux, zazen et action dans la vie quotidienne sont pour un bodhisattva comme les deux faces d’une feuille de papier. Elles ne peuvent et ne doivent pas être séparées. Pourquoi ?

Nul ne peut s’ouvrir à la réalité de toutes choses, c’est à dire s’ouvrir à l’évidence de l’impermanence et de l’interdépendance de tous les êtres, sans se connaître soi-même. Sans une clarté sur nous-même, sans une transparence illuminée qui éclaire les mirages de notre ego, notre esprit reste obscurci et focalisé sur ses propres projections ce qui nous empêche d’avoir une vue ouverte et panoramique sur le monde. Connaissance de soi, oubli de soi-même et ouverture au monde sont justement les mérites infinis d’une pratique assidue, régulière et joyeuse de zazen. En zazen nous ne nous attachons à rien, nous ne cherchons aucunement à acquérir quoi que ce soit mais sommes entièrement satisfaits d’être là, notre esprit est libéré de ses entraves karmiques, notre corps profite d’une posture noble, en équilibre et notre respiration s’active naturellement ; toutes nos cellules profitent de cet équilibre et de cet oxygène. Nous respirons la vie brute et au fond de nous-mêmes sommes heureux et calmes. Il serait magnifique que chacun puisse profiter d’une telle tranquillité d’esprit et d’une telle paix.

C’est alors à partir de cet esprit et de ce corps, approchés intimement en zazen, que les actions du bodhisattva vont se développer et non pas seulement à partir de son esprit commun qui reste connecté aux mondes de la souffrance. Toutes les actions du bodhisattva en vont être transformées. Ses actions à la place de rester purement individuelles vont prendre une dimension transcendante, c’est à dire au-delà du personnel, au-delà du moi, et seront dirigées dans le but ultime de faire mûrir l’humanité entière.

Alors qu’est-ce qu’un bodhisattva dans le bouddhisme mahayana et quelles sont ses actions transcendantes destinées à éveiller tout le monde ? Il va en cela suivre l’enseignement du Bouddha, le bouddha-dharma.

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Dans le bouddhisme le bodhisattva est la pus haute figure humaine et spirituelle. Il signifie : « Celui qui est assez brave pour marcher sur le chemin de la bodhi, c’est à dire de l’éveil ou de l’état d’éveillé. » Seuls les êtres qui sont entièrement convaincus de la réalité de la nature telle qu’elle est, et qui existe en eux-mêmes, se destinent au sentier du bodhisattva. C’est le sentier du courage, le sentier des êtres éveillés qui font confiance à leur nature de Bouddha, qui se savent non séparés du Bouddha, et qui ne sont pas aveuglés par leurs illusions, leur égoïsme ou dominés par leur karma. Leur détermination et leur confiance, leur foi, sont puissantes, ils sont animés par un but élevé, enthousiastes et acceptent évidemment de changer alors leur vie. Ils ne sont ni parfaits, ni spéciaux, mais sont réellement vivants. « Le zen c’est la vie », disait Etienne.

Tozan arriva chez Nansen au moment où celui-ci s’apprêtait à célébrer un rite funéraire en l’honneur de son défunt maître Baso. Devant l’assemblée Nansen demanda alors : « Demain nous ferons des offrandes à Baso. Je me demande s’il viendra. » Seul Tozan trouva quelque chose à répondre : « Il viendra s’il trouve un compagnon à sa hauteur. » Impressionné, Nansen s’exclama : « Ce jeune homme offre un excellent matériau à sculpter et à polir. » A quoi Tozan répliqua : « Que le grand maître ne confonde pas un homme libre avec un esclave. » Et il s’en alla.

Le zazen est l’assise des Bouddhas et la vie quotidienne est l’activité des bodhisattvas, guidés par leurs vœux. Ceux-ci ne représentent ni des injonctions ni des obligations de résultat, ils sont parties intégrantes d’eux-mêmes, comme leur moelle et leurs amis de bien. Il ne s’agit pas pour les bodhisattvas de se forcer à pratiquer les paramitas, mais celles-ci prennent place spontanément, leur pratique déborde des bodhisattvas, elles sont l’accomplissement des êtres éveillés. Ainsi les moyens habiles, la détermination, le pouvoir de réalisation et la connaissance sont les réflexions spontanées d’un état éveillé. Paramita veut dire « en train d’arriver sur l’autre rive ». Elles sont dites également transcendantes car elles vont au-delà de la notion limitée de l’ego et leur pratique est destinée à faire mûrir tous les êtres, à les aider à réaliser leur véritable nature libre, responsable et ouverte aux autres. En ce sens elles dépassent, transcendent des actions qui seraient purement mondaines, des vertus profanes, mais prennent un sens universel.

Pour les réaliser le bodhisattva demeure dans le monde pour aider les êtres. Pour cela il ne lui suffit pas de connaître uniquement le chemin de la délivrance mais de connaître tous les chemins humains bons ou mauvais que les hommes sont susceptibles d’emprunter. Il doit donc détenir une science double : la science des chemins, des paramitas, des bonnes sagesses, des perfections comme les adeptes de l’hinayana qui désirent devenir des arhats, mais aussi pour éviter les attachements au monde il doit également savoir que tous ces chemins sont sans caractéristiques réelles. En fait il se tient aux perfections sans s’y tenir et donc ne fait aucune différence entre le samsara et le nirvana, aucune différence entre être assis en zazen au sommet de la montagne et se démener dans la vallée des démons. Il ne s’attache ni aux phénomènes du samsara, ni à la visions paradisiaque du nirvana. Il est à l’opposé de tout dogmatisme et fait preuve d’une grande souplesse d’esprit. Donc ne cherchez nullement la perfection, et si jamais vous avez des accès de perfection, si vous vous dirigez dangereusement vers un dogmatisme et une rigidité de pratique, méfiez-vous, il est possible que vous soyez en train de quitter les chemins multiples et caillouteux du bodhisattva et tentez d’emprunter la belle route goudronnée de la perfection où il n’y a personne.

En toutes choses, embrassez les contradictions disait Deshimaru, choisissez la vie. Le grand maître Lin-chi, Rinzaï, criait à ses compagnons : « Attrapez-le vivant !! » Ne vous attachez ni aux phénomènes mondains, ni aux possessions, mais répandez en chaque instant, par chaque action, la paix et le bien autour de vous avec joie. Alors celles-ci se répandront inévitablement au-delà de vous-même comme les vaguelettes créées par l’impact d’un caillou dans un lac finiront toujours par atteindre le rivage. Votre pratique de bodhisattva finira donc bien par atteindre toute l’humanité, un jour. Peut-être qu’avec de telles pratiques transcendantes nous pourrons sauver notre planète. Je ne vois guère d’autre solution que de changer son esprit, adopter une vue panoramique et non égoïste, et vivre selon les vœux du bodhisattva.

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Animé par ses vœux le bodhisattva pratique naturellement les dix paramitas, appelées également activités transcendantes car elles prennent leur source dans l’accomplissement d’un être éveillé et non à partir de considérations mondaines ou de son ego. Les dix paramitas comprennent les six bien connues, et également les quatre paramitas illimitées : la pratique de la compassion illimitée, de la bienveillance illimitée, de l’égalité d’âme illimitée, et de la joie illimitée.

Les six paramitas sont entourées par la première qui est le don ou la générosité, et la sixième la sagesse sans laquelle tout risque de déraper. La générosité, la sagesse et la joie sont primordiales. Les autres sont l’éthique ou les préceptes, la patience, l’effort enthousiaste ou l’énergie, et la concentration ou méditation. Les paramitas représentent l’aspect de la réalisation de l’éveil ; elles sont le reflet de la force active et de la foi du bodhisattva dans le monde, de sa volonté d’éveil et de vérité. Désirer fortement sa propre transformation et celle de tout le monde va ensemble.

Il s’agit de voir tout cela dans sa vie et non comme un sujet d’études théoriques, ni d’accumuler des définitions les unes sur les autres. Il ne s’agit pas non plus de voir les paramitas uniquement selon un mode mondain, d’être un bon élève du bouddhisme, d’être patient dans le sens de ne surtout pas s’énerver, de s’efforcer à être joyeux alors même qu’on a envie de faire la gueule, ou de faire preuve d’une compassion de façade pour apparaître comme un gentil moine. Evidemment faire cela est déjà pas mal pour la plupart des gens mais cela reste loin d’une pratique émanant de la générosité et de la joie d’un être éveillé agissant pour la libération de tous. Aussi la première paramita est le don ou la générosité car elle s’accompagne de l’abandon de son égoïsme. Sans cela toutes ces actions salvifiques resteront vaines et nous ne lâcherons jamais rien.

Dans la pratique des vertus transcendantes, chacun s’adresse à soi-même, est face à lui-même. Il ne s’agit pas bien sûr de négliger les bonnes actions du point de vue mondain, mais de les réaliser d’un point de vue universel. Faire preuve de compassion pour propager en chacun les vertus de coeur et non pour s’attacher aux êtres par exemple. Mais surtout ne jamais diriger vers quelqu’un d’autre nulle critique du genre : «Il manque vraiment de compassion, c’est terrible. Franchement il pourrait faire un effort. » Non, la réalisation de toutes ces vertus appartient à chacun et est sa responsabilité.

La première chose en ce qui concerne le don, la générosité est de s’oublier soi-même. Il s’agit de s’ouvrir simplement sans motifs. La générosité transcendantale consiste à donner tout ce que l’on a, c’est l’action désintéressée du bodhisattva. Ne pas y réfléchir sur le moment, n’être ni sur la défensive, ni sur un sentiment de supériorité mais totalement ouvert dans une communication de cœur.

Il est dit dans le sutra de Vimalakirti : « En ce qui concerne le don, il n’a pas besoin de chercher les richesses pour les donner. Tous les objets précieux se trouvent dans les grandes mers, les palais des dieux et le monde des hommes, il en dispose souverainement. » De facto nous pouvons comprendre que rien ne nous appartient en propre. Nous avons l’illusion de posséder des choses mais en vérité nous n’en avons pas la propriété. Comment pouvoir dire en effet : je possède cette terre ? Certes nous disposons des choses et les partageons, ce qui nous donne l’impression qu’elles sont à nous, et que nous faisons le don de ce qui nous appartient, et donc qui n’appartient pas aux autres, mais en absolu ce n’est pas le cas. Que pourrions-nous réellement posséder alors que tout est impermanent, que tout nous échappe même si on voulait s’accrocher, et que nous partageons ensemble la vie sur cette terre qui ne nous appartient pas. Nous en disposons quelques instants au vu de l’éternité, comme les fourmis et les oiseaux, les poissons et les grenouilles.

Un être non éveillé croit qu’il va donner quelque chose qui lui appartient, faire un cadeau, attendre quelque chose en retour, mais l’éveillé qui connaît la nature de toutes choses, sa propre vacuité, ne pense pas à cela, pour lui c’est un échange, une communication. La notion du donneur, du receveur et du cadeau disparaît au profit d’un échange ouvert et spontané.

Au-delà du don la générosité comme un élan : générosité de cœur, d’écoute, d’empathie, de partage. Vimalakirti le dit à Mahakasyapa en ce qui concerne sa tournée d’aumônes. On peut transposer ce qu’il dit pour la générosité car il en va de même : « C’est pour faire mûrir les hommes et les femmes que tu dois faire preuve de générosité, c’est en pensant faire une offrande à la famille du Bouddha que tu dois être généreux, non pas pour essayer d’attraper quelque chose pour toi-même, c’est en ne prenant rien qu’il faut donner. Révérend Mahakashyapa, si tu peux par le don de cette unique boulette de nourriture rassasier tous les êtres et faire offrande à tous les Bouddhas et tous les saints, alors ensuite, tu pourras manger toi-même. »

Le don, la générosité a le pouvoir magnifique de transcender notre égoïsme et de nous ouvrir à la Voie de tous les Bouddhas.

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Les autres vertus transcendantes ont également le pouvoir d’éteindre notre égoïsme et d’ouvrir chaque être à la dimension des Bouddhas.
En ce qui concerne sila, la discipline, la moralité ou l’éthique il ne s’agit pas de se lier à tout un ensemble de règles ou de lois. Un bodhisattva, totalement désintéressé, suit naturellement le courant et il lui est impossible de briser la moralité, ou de faire du mal à qui que ce soit parce qu’il incarne la générosité. Il ne s’efforce pas d’atteindre un comportement juste, il est en communication directe avec les situations.

Il est dit dans le Vimalakirti : « Il ne s’engage pas à la moralité mais ne s’en écarte pas. Pour discipliner les êtres, il semble s’engager à la moralité, en observer les attitudes, confesser ses manquements, s’il en a, et détester ses péchés (traduction du Révérend Père Jésuite Lamotte), mais intérieurement il est pur. Pour mûrir les êtres, il naît dans le monde du désir, mais est toujours établi en concentration, et de moralité pure. »

En ce qui concerne la patience, c’est assez simple : si vous n’attendez rien, la notion de patience disparaît. « C’est pour détruire la haine et la méchanceté que le bodhisattva fait toujours l’éloge des mérites de la patience, cependant pour lui il n’y a ni méchanceté, ni patience. Alors même qu’il cultive la patience, il n’y a rien qu’il cultive, rien qu’il ne cultive pas » dit Vimalakirti. Il entretient une relation souple avec le monde, ne combat rien, ne se bloque sur rien, tout est fluide, il est dans le courant.

Sans une énergie joyeuse, le chemin du bodhisattva risque de devenir pesant, lourd. Le bodhisattva travaille avec la vie, c’est virya le travail intense dans la joie, dans la création des rythmes de notre vie, avec un intérêt inépuisable. Si nous abandonnons le désir de devenir quelqu’un d’autre, ou même de devenir Bouddha, alors une grande énergie et une liberté intense peuvent se dégager. Le bodhisattva refuse en fait de s’en aller comme un Bouddha tranquille avant que tous les êtres soient libérés, mais comme il vit la vie pleinement, profondément, il atteint l’illumination alors même qu’il continuait à ne pas vouloir l’atteindre. Son énergie, sa joie, jaillissent naturellement, il ne s’ennuie jamais. Alors pourquoi faudrait-il un enseignement sur l’énergie, le ki ?

Il est dit dans le sutra de Vimalakirti : « C’est pour les paresseux qu’il semble exercer l’énergie, mais il ne développe aucune activité. Le bodhisattva sait que tous les phénomènes reposent éternellement sur un élément fondamental, le dharma, sans arrivée, ni départ. Alors il semble activer son énergie mais il ne voit rien à acquérir, il reste sans faire un effort. » On voit bien ici que tout l’enseignement du Bouddha est destiné à faire mûrir les êtres. Aux auditeurs il parlera de l’extinction de la souffrance pour les encourager à persévérer mais aux bodhisattvas il dira que le nirvana se trouve dans chaque situation du samsara. Aux auditeurs il parlera des bienfaits du sentier octuple et de la pratique des paramitas, mais aux bodhisattvas il parlera plutôt de la vacuité de tous les phénomènes et partagera avec eux la souplesse d’esprit et la vie des éveillés. En ce sens il est toujours un peu étonnant d’entendre quelqu’un dire : suivez mon enseignement. Ceci est pour les auditeurs. Les bodhisattvas tirent leur enseignement de leur vie, de leurs erreurs, de leur souffrance et de leurs joies. Ils suivent naturellement le dharma, la réalité des choses et vivent dans la vérité. Le zen est porté par les bodhisattvas, nul ne peut, ni ne doit se contenter du rôle passif d’auditeur.

Ainsi en ce qui concerne la méditation, ou la concentration, Dyana, Vimalakirti dit : « Il se montre lui-même en samadhi pour convertir les gens distraits. Jamais il n’abandonne l’état de concentration. S’il paraît exercer les pratiques profanes, il transcende toutes les pratiques. » Sa méditation, son zazen, ne repose sur rien, elle est totalement libérée. Lorsqu’on parle de concentration, il est bien de considérer trois éléments : la concentration sur ce que l’on fait, sur l’esprit avec lequel on le réalise et sur les alentours, appelée par Trungpa la vision panoramique. Etre en concentration consiste à être conscient de tout l’environnement qui nous entoure. Beaucoup de gens s’attardent sur eux-mêmes au point où ils ne font nulle attention aux autres, ce qui est dramatique. En zazen ils restent bloqués sur eux-mêmes, leur méditation repose sur eux-mêmes alors que celle du bodhisattva, légère et transparente ne repose sur rien, elle est libre et joyeuse.

En quoi que ce soit dans la pratique des paramitas ne soyez jamais dogmatiques, mais prenez-les joyeusement, elles activent vos vœux de bodhisattva et vous rendent vivants.

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La sixième paramita est la connaissance ou la sagesse, la vision transcendante. C’est la sagesse, l’intelligence, qui rend la pratique des paramitas transcendante. La compréhension immédiate de la vacuité permet de voir clairement que les paramitas ne sont pas attachées au monde commun de la possession, des différences et des comparaisons mais sont des vertus qu’il s’agit de propager dans toute l’humanité. Sans elles toutes les autres sont sans direction, comme des troupes sans chef. Il ne s’agit pas de définir la sagesse mais que chacun dans chaque occasion agisse avec discernement, intelligence et sagesse et non de façon inconsidérée.

En effet imaginez-vous pratiquer les paramitas sans sagesse. Cela donnerait lieu à des actions perdues ou contraires à l’élévation de l’éthique des gens.

Avec les paramitas on ne fait pas de la morale générale mais on étudie sa vie, on la crée pour la rendre utile, qu’elle ait un sens. En effet si nous réfléchissons à notre vie à partir uniquement de nous-mêmes, de ce qu’on veut, de ce que nous avons accompli ou non, des traces que nous pourrions laisser, ou à toutes ces choses accessoires auxquelles on ne peut nullement s’attacher et qui ne nous satisfont pas en profondeur, alors au fond de notre esprit tout paraît absurde. On naît, on vit tant bien que mal et on meurt. Circulez il n’y a rien de plus à voir. Si au contraire on mène une vie dirigée vers une haute humanité, une grande ouverture aux autres et au monde, animés du désir profond que chacun puisse atteindre sa liberté, alors là oui on peut imaginer avoir rempli un peu la tâche que nous avons en naissant comme un être humain au sein de l’humanité. Tout cela demande en pratique encore beaucoup d’abandons et d’efforts, mais c’est ce parcours lui-même qui est la réalisation et c’est dans celui-ci jour après jour que le bodhisattva trouve sa joie. La transmettre en fait également partie sans penser nullement à en tirer quoi que ce soit.

Dans tout cela la joie est transformatrice. Elle crée une dynamique très forte et légère. Avec sa joie intérieure le bodhisattva ne se lasse jamais, ne tombe pas dans la routine mais renaît chaque jour à ses actions bénéfiques. Un jour en dokusan une nonne zen vient me dire que continuer la pratique sa vie durant c’est trop dur. Bien sûr sans joie ça l’est et chaque jour qui passe devient de plus en plus pesant. Du coup elle a arrêté. A mon avis ceux qui s’en vont ne sont jamais réellement rentrés dans la vie du bodhisattva ou dans le zen sinon ils ne pourraient pas abandonner l’humanité. Ils ont peut-être vécu l’illusion qu’ils étaient dans le courant et celle-ci est retombée dans les choux, alors ils sont repartis dans une vie mondaine, où la grande foi, la grande confiance, l’esprit fondamentalement religieux n’ont pas de place.

Au contraire le bodhisattva animé de l’épée de la sagesse qui coupe toute dualité, rempli d’une joie indestructible qui l’élève chaque jour, fait profiter tous les êtres de ses actions sans penser à lui-même. Générosité, discipline, patience, énergie joyeuse et concentration, samadhi, lui sont naturelles et débordent de lui sans s’épuiser. C’est comme l’amour, en donner beaucoup ne diminue en rien l’amour que vous portez en vous, au contraire.
Le bodhisattva est juste vivant, et donc tout est vivant. Le temps file comme une flèche, sans viser ne ratez pas la cible, sinon c’est trop tard. Le courage, la sagesse, l’énergie et la joie du bodhisattva ne s’usent que s’il ne s’en sert pas. Alors elles ne s’épuisent jamais et portent leurs bienfaits au-delà de nous-mêmes, pour les générations futures.

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