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Le monde est si vaste, pourquoi enfilez-vous votre vêtement au son de la cloche ?

Zazen 1

Unmon dit :

Le monde est si vaste, pourquoi enfilez-vous votre vêtement au son de la cloche ?

Il est intéressant d’observer quelle est notre première réaction, immédiate, ce qui surgit dans notre esprit en premier à l’écoute de ce koan d’Unmon. Peut-être un grand doute qui surgit de notre ego : ne serais-je pas semblable à la grenouille qui vit dans son puits et qui croit que l’univers entier ne consiste qu’en l’espace entre ces murs vaguement éclairé par la lueur du soleil provenant du sommet du puits ? Ne serais-je pas comme l’autruche qui croit qu’en étant tranquille dans ce dojo pendant une journée le monde entier est également tranquille ?

La vertu d’un koan est de dévoiler notre ego dans l’instant et de mettre au grand jour ses propres contradictions. Pourquoi ? Parce que l’ego, le Moi, est pris dans le domaine de la dualité qui lui apparaît alors contradictoire. Mais qu’y a-t-il de contradictoire entre le fait que le monde soit si vaste et que nous enfilions notre vêtement au son de la cloche ? Et pourtant dans l’immédiat nous avons peut-être eu la pensée furtive qu’enfiler ce vêtement au son de la cloche était dérisoire dans un monde si vaste. Et ce sentiment de dérisoire par rapport au vaste monde risque de s’infiltrer en nous et de créer un grand doute, un doute existentiel remettant en cause non seulement notre pratique mais tout le sens de notre vie. Là alors cela devient intéressant, il ne s’agit plus simplement de poser ses fesses sur un zafu.

Unmon fut un maître de ce genre de paradoxe entre la dualité et la non-dualité. Par exemple il demanda : « Qu’est-ce qui est au-delà du Bouddha et des Patriarches ? » Comme personne ne lui répondait, il dit : « Une galette. Un petit pain au lait. » Pour un esprit mondain qui croit connaître le zen ou le bouddhisme c’est absurde. Pour un esprit éveillé c’est une expression de la non-dualité de toutes choses, et en plus c’est plein d’humour, et cela chasse les dogmatiques hors du dojo ou du temple. « Attrapez-le vivant ! », disait Lin-chi.

Cette phrase de Unmon nous ramène en fait à notre ego. Bien sûr on peut en dire des tas de choses intelligentes, qui apparaîtront pleine de sagesse et de compréhension, on peut prononcer beaucoup de mots, les aligner les uns après les autres, mais le koan reste, si on est sincère avec soi-même. Le monde est si vaste, à la fois une nature et des personnes merveilleuses, mais aussi tant de phénomènes, tant de difficultés, tant de choses que le Bouddha découvrit lorsqu’il sortit de chez lui, souffrances, maladies, guerres, famine, migrations forcées, morts. Alors quoi faire ? Dans le monde ? Et notre pratique ? Ma pratique dans tout cela, quelle est sa place ? Lorsqu’un tel grand doute apparaît nous nous retrouvons au sommet du mât de cent pieds, comment faire un pas de plus ?

C’est nous-mêmes qui nous trouvons au sommet du mât, ce n’est plus une jolie histoire du disciple qui a peur de sauter, mais nous, comment poursuivre ? Tant que nous naviguons avec notre ego, avec notre Moi, nous restons coincés au sommet du mât sans pouvoir bouger, pris dans des contradictions que nous n’arrivons pas à résoudre. Je saute, je ne saute pas, je vais tomber, je ne tomberai pas ? Le Moi ne mène pas à l’éveil, il nous faut retrouver notre unité avec le monde, retrouver notre unité avec la vacuité de toutes choses et de tous les êtres ainsi peut alors disparaître le néant, le vide, la perte, au-delà du mât. Au-delà du mât se trouve notre véritable nous-mêmes, suspendu comme la goutte d’eau qui pend du bec de l’oiseau aquatique.

Si on lâche le mât, que reste-t-il ? La vie, chaque moment de la vie. Ainsi au son de la cloche nous enfilons notre vêtement au sein du vaste monde, dans une partie infime de ce vaste monde. Si nous nous en séparons, le vaste monde d’un côté, et de l’autre une bande d’individus qui s’habillent, alors évidemment tout devient compliqué. La pratique de l’éveil devient compliquée, le vaste monde devient inaccessible, la vie, celle qui est vivante, stagne. Et on s’agrippe à son mât en oubliant le vaste monde.

Maître Unmon dit en dépassant ces accrocs :

« En réalité, il n’y a pas la moindre chose qui pourrait être la source de compréhension ou de doute pour vous. Plutôt, vous possédez une chose qui importe, chacun de vous ! Sa grande fonction, sa grande action se manifeste sans le moindre effort de votre part ; vous n’êtes nullement différents des bouddhas et des patriarches. »

Ainsi au sein du vaste monde, les bouddhas vivants enfilent leur vêtement et pratiquent l’assise de tous les patriarches.

Lin-chi dit : « Ne soyez pas si préoccupés avec votre vêtement, votre robe de moine en fait, ou votre kesa. Cette robe ne peut se mouvoir par elle-même, la personne est celle qui peut revêtir cette robe. Il y une robe claire et pure, une robe de la non-naissance, une robe de la bodhi, une robe du nirvana, une robe de patriarche, une robe de bouddha. Tous ces sons, ces noms, ces mots, ces phrases ne sont que des changements de robe. Alors nous savons avec certitude que tous ne sont que de simples fantômes. »

Zazen 2

Dans le zen tout est une question d’expérience. C’est par notre expérience que les mots qui ne veulent rien dire en eux-mêmes prennent signification et vie. On ne peut pas discuter du sens de la vie en général, mais c’est ce que nous vivons qui a un sens justement parce que nous le vivons. Si bien qu’il s’agit de donner un sens à ce que nous vivons. Et si ce que nous vivons n’a pas de sens alors il nous faut changer notre vie, que notre vie ait un sens avec le zen, que le zen prenne un sens dans notre vie. C’est à nous à réaliser cela, il n’y a personne d’autre que nous pour le faire. Créer par notre vie un sens qui nous satisfait entièrement.

Suivons un peu pour cela l’enseignement du grand maître du Chan, Lin-chi, Rinzaï, que j’ai traduit pour vous. Il dit :

« Ceux qui étudient la Voie de nos jours ont besoin d’avoir foi en eux-mêmes et ne pas chercher quoi que ce soit à l’extérieur. Sinon ils sont pris dans des milieux sociaux insensés et insignifiants et ne peuvent faire aucune différence entre ce qui est sinueux et ce qui est droit. Il y a des patriarches et il y a des bouddhas, mais ils ne sont que des sujets trouvés dans les enseignements des écritures. N’essayez pas de faire quelque chose de spécial, agissez uniquement naturellement. Ce qui compte est le moment présent, il n’y a rien qui demande beaucoup de temps.

Vous regardez à l’extérieur de vous-mêmes, vous égarant sur des chemins de traverse à la recherche de quelque chose, essayent de mettre la main sur un petit quelque chose. C’est une erreur. Vous continuez à essayer de chercher le Bouddha, mais buddha est seulement un nom, un mot.

Ni dans ce monde, ni dans aucun autre monde il n’y a de Bouddha ni de Dharma. Il n’y a rien qui puisse apparaître devant vous, et rien n’est perdu. Même s’il y avait quelque chose, ce ne serait que des noms, des mots, des phrases, des médicaments à appliquer contre les maladies des petits enfants pour les apaiser, des mots reliés à la surface des choses.

Le Bouddha, c’est la propreté et la pureté de l’esprit. Le Dharma est la lumière brillante de l’esprit. La Voie est l’illumination pure qui n’est jamais aveuglée nulle part. Les trois en fait ne sont qu’un. Tous ne sont que des mots vides et ne possèdent aucune réalité véritable. Il n’y a aucun Bouddha qui puisse être recherché, aucune Voie qui puisse être réalisée et aucun Dharma qui puisse être acquis, ni à l’extérieur, ni à l’intérieur. Le véritable Bouddha est sans forme, la Voie véritable est sans entité, le véritable Dharma est sans caractéristiques.

Vous devez tourner votre lumière et vous éclairer vous-mêmes, sans chercher ailleurs. Alors vous comprendrez que dans votre corps et dans votre esprit vous n’êtes nullement différents des patriarches et des bouddhas, et qu’il n’y a rien à faire de spécial.

Savez-vous ce que vous cherchez dans ce monde qui change tout le temps ? Cela est vivant, vibrant ; et pourtant cela n’a aucune racine, aucune tige. Vous ne pouvez l’attraper, vous ne pouvez le disperser aux quatre vents. Plus vous le recherchez, plus il s’éloigne de vous. Mais ne le cherchez pas et il apparaît juste en face de vos yeux et son son miraculeux est toujours dans vos oreilles. Mais si vous n’avez pas la foi, si vous n’avez pas confiance, vous passerez des centaines d’années d’efforts en vain et un jour vous devrez payer pour toute la nourriture que vous avez gaspillée ! »

Le monde est si vaste, pourquoi enfilez-vous votre vêtement au son de la cloche?

N’essayez pas de faire quelque chose de spécial, agissez uniquement naturellement. Ce qui compte est le moment présent, il n’y a rien qui demande beaucoup de temps. Enfilez votre vêtement, votre robe de moine, votre kesa et gardez votre confiance, votre foi, intacte, et continuez votre marche héroïque dans ce monde si vaste.

« Compagnons de la Voie, si j’y regarde bien, dit Lin-chi, nous ne sommes nullement différents de Shakyamuni. Dans toutes nos activités variées de chaque jour, y a-t-il quoi que ce soit qui nous manque ? Un bouddha n’a besoin de rien pour faire de lui un bouddha. Vous qui êtes là n’êtes pas différents des Bouddhas et des Patriarches.»

Pour cela continuez votre pratique avec confiance, car même si tout est mushotoku et la Voie infinie, cela n’est nullement une excuse pour ne rien faire, car ne rien faire du tout n’est pas non plus la Voie. « La vie sans le Zen n’est pas le Zen », a dit Maître Kosen.

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