Aller au contenu
Accueil » La vie ordinaire de l’éveil

La vie ordinaire de l’éveil

Zazen 1

Parmi les disciples d’Unmon, qui interdit aux moines de noter son enseignement, il y eu Ming-Chao. Il se fit un kimono en papier et secrètement nota les paroles d’Unmon. Il délivra aussi un enseignement venu de sa propre expérience. Le chan a toujours à voir avec la vie de l’instant beaucoup plus qu’avec les anciens sutras. En ce sens il reste actuel pour nous qui passons le plus clair de notre temps dans le monde de tout le monde et seulement quelques heures de zazen par jour.

Il dit dans les écrits qui restèrent : « La Voie des sages se trouve dans l’éveil. L’éveil signifie l’illumination ; ne pas être éveillé veut dire ne pas connaître cette illumination. Ne pas être éveillé est ce qui sépare la majorité de la conscience de la sagesse. S’éveiller ne veut pas dire se réveiller de façon graduelle ; cela veut dire être complètement éveillé. L’éveil complet, intégral, est la réalisation authentique de l’action de la sagesse, de la Voie des sages. Etre éveillé est appelé le Bouddha ; ceci est comparable à un véhicule. Par l’éveil on réalise le chemin des sages ; avec ce véhicule on atteint le royaume des sages. Ceci est la vérité de tous les sages, du passé et de l’avenir. »

Mais alors de quel éveil parle-t-il ? Pour les personnes du commun l’éveil représente une sorte de koan. Qu’est-ce que c’est ? Comment le connaitrais-je ? Comment le reconnaitrais-je ? Un peu comme les adolescents. Qu‘est-ce que le véritable amour ? Comment saurais-je si je suis vraiment amoureux ? Quels en sont les signes ? Ne vais-je pas m’illusionner que c’est ça, alors que peut-être cela ne l’est pas ? Un jour ils tombent amoureux et toutes ces questions disparaissent ; leur vie s’illumine dans l’instant, ils sont transportés, ne réfléchissent plus, tout est là, merveilleux, ils tiennent leur vie dans leurs mains et leur cœur, et ne s’en sentent plus séparés du tout de leur existence. Même alors se demander comment cela s’est passé ne représente aucun intérêt. Pourquoi se demander cela ? C’est une question absurde, ce qui compte est cet amour qui m’emporte.

Dans la  vie il y a tellement de choses, des fois si proches de nous que nous ne les remarquons même pas. Et pourtant ouvrir les yeux est aussi ouvrir les yeux sur les merveilles, pas seulement sur les conflits et les désastres du monde. Ouvrir les yeux sur soi-même, sur notre côté aimant, compatissant, joyeux, même espiègle est aussi trouver de l’intérêt, de l’humour et de la joie en nous-même, ceci des fois au milieu des zones d’ombre qui nous habitent. S’éveiller à la réalité que nous sommes vivants au milieu de toutes les existences et non pas isolés au milieu de notre propre enfer. C’est mieux, cela n’enlève rien à qui que ce soit, au contraire cela amène une joie autour de nous.

Alors Ming-Chao continue : «  L’éveil des sages se trouve au sein de la conscience des gens ordinaires, mais les gens ordinaires se réveillent chaque matin sans le réaliser. Alors même qu’ils pensent qu’ils sont réveillés, ils sont toujours en train de rêver ; bien qu’ils soient conscients, ils sont toujours en plein dans la confusion. C’est la raison pourquoi les sages se sont donné la peine de le leur dévoiler, dans l’espoir qu’ils rechercheront l’éveil, les encourageant de se diriger dans cette direction, en espérant de tout leur cœur qu’ils l’atteindront. »

On peut bien sûr rester ignorant, mais si tout le monde reste ignorant, comment alors imagineriez-vous notre monde ? Il contient déjà une multitude d’ignorants, d’où les guerres, les agressions, les mauvaises paroles, l’indifférence à la planète, juste l’appât, posséder, la faim possédante de vouloir plus en croyant échapper aux démons modernes de l’égoïsme forcené, la fuite en avant alors même que l’issue en est connue.

Au milieu de cette ignorance il y a les êtres éveillés. Comme les autres ils portent leur conscience, tout le monde est conscient de ce qui se passe dans sa vie, à moins d’être fou ou complètement bouché. La différence est que les gens ordinaires ne veulent pas le voir, oublient, passent à côté de leur véritable existence. Comment alors pourraient-ils participer à éveiller qui que ce soit s’ils ne peuvent pas faire face et réaliser leur propre existence.

Au milieu des gens ordinaires, il y a les pratiquants sincères d’une voie spirituelle. Chacun bien sûr est respecté, il ne s’agit nullement de penser qu’il y a nous et les cons. Certains vivent encore dans l’ignorance et c’est à nous de les éclairer, surtout nous les moines et les nonnes. Les moines et les nonnes, les sages, ont le rôle d’aider chacun à sortir de son ignorance. C’est le travail des moines éveillés. Un moine non éveillé ? Quel sens cela peut-il avoir ? Aussi devons-nous être conscients, attentifs, piger ce qui se passe et aider chacun à y voir clair dans sa vie. Nous sommes là pour les autres, car nous-même sommes réalisés. J’espère de toutes mes forces que c’est réellement le cas, sinon qui montrera la Voie de l’existence véritable sinon nous.

Zazen 2

Ming-Chao a vécu au 11ème siècle. Il était aussi appelé « le dragon à un œil » car il avait perdu l’œil gauche. Lui aussi était un homme ordinaire, comme Unmon, comme Bouddha, tous sont des hommes ordinaires et nous aussi sommes des hommes ordinaires. Nous ne possédons rien de spécial, de secret ou de magique, en fait nous vivons une vie ordinaire. Une vie ordinaire veut dire la vie que nous avons, avec la pratique régulière de zazen, les activités journalières, s’ouvrir à la compassion, être attentif à chaque instant ; à vrai dire il n’y a là rien de spécial, l’éveil de chaque matin fait simplement partie de notre vie ordinaire. L’éveil de Bouddha sous son figuier sauvage un matin fit également partie de sa vie ordinaire, éclairée, consciente et revigorante. Et chaque jour il s’est donné la peine d’essayer de transmettre cette vérité toute simple : les complications sont dans notre esprit, notre souffrance aussi, il existe une façon plus simple, naturelle, ordinaire de voir les choses.

Comprenons-nous bien : Ming-Chao se place dans une perspective où la pratique de zazen, la Voie spirituelle, l’éveil sont au centre de la vie. Il appelle cela pour lui une vie ordinaire. Une vie ordinaire sans la pratique de zazen, sans Voie spirituelle, sans éveil n’est pas la vie ordinaire du zen, ce n’est pas le zen. En ce sens pour Ming-Chao la vie ordinaire est le zen, il ne s’agit pas pour lui d’une vie spéciale, sortie de l’ordinaire, car il ne sépare pas du tout sa vie de tous les jours et le zen, tout cela fait partie de son ordinaire. C’est comme le plat du jour au restaurant. Beaucoup de gens croient faussement que le zen est caché dans la carte des menus spéciaux. Ne faites aucune différence entre une soupe ordinaire et un mets de choix, dit le Tenzo Kyokun. A ce moment tout peut devenir délicieux et notre vie ordinaire est en elle-même la Voie de tous les Bouddhas. C’est tellement simple à comprendre que les gens n’y croient pas, ils pensent qu’on leur cache quelque chose. Dommage.

Lorsque Maître Deshimaru demanda l’ordination de moine à Kodo Sawaki, celui-ci lui répondit : « Je comprends ta demande. Mais il vaudrait mieux que tu continues une vie active dans le social, tout en poursuivant la pratique de zazen. » A cette époque devenir moine japonais voulait dire avoir un temple. D’ailleurs dans la Sotoshu japonaise tout le monde veut avoir un temple et devenir abbé.

Personnellement je n’ai jamais rien cherché dans le zen, je suis devenu moine tout de suite et après je l’étais, c’est comme ça. J’ai pourtant un grand désir : que chacun de vous devienne maître, c’est-à-dire maître de lui-même, que chacun possède une intimité profonde avec son être, soit joyeux, plein de vie, pratique zazen avec une grande détermination, une foi qui le porte et une énergie indestructible. Notre monde, ici où nous vivons, avec les gens que nous côtoyons en a un besoin réel. Un moine zen est un moine zen, disait Etienne, mon maître bien-aimé. Chacun doit faire ce qu’il dit, ce qu’il promet et vivre à la hauteur des patriarches, même au-delà, au-delà des Bouddhas. Etre moine zen ou nonne zen n’est pas un déguisement, ni une persona d’opérette, ni une position dans laquelle se cacherait un imposteur, c’est réellement le corps actuel des patriarches et des Bouddhas. Chacun doit comprendre profondément cela : les moines et les nonnes sont là pour les êtres, et pour les autres d’abord. Ceci même dans un petit dojo comme le nôtre et ne pas penser uniquement à eux-mêmes, à leur emploi du temps, à ce qu’ils pourraient ou non faire. Décider rapidement, et agir.

Il ne s’agit nullement de voir tout cela comme une obligation, quelque chose en plus, de rajouté, la vie du moine est libre. Pour connaître cette liberté il faut rentrer dedans avec son corps aussi. Les personnes qui font du marathon disent qu’au début c’est difficile mais soudain une deuxième force apparaît, un deuxième souffle et ils continuent joyeux dans leur corps et leur esprit. Chacun court le marathon de sa vie. Il peut le faire contraint ou libre. Le vivre libre est plus satisfaisant. C’est au milieu de toutes les circonstances que nous pouvons trouver la racine réelle de notre existence, celle-ci alors ne vous abandonnera jamais. Des fois réaliser cela est immédiat, des fois cela prend toute une vie, le chemin est lui-même la Voie. Même sous les cendres il reste une braise, la braise de la vie. Avec la pratique de zazen doucement nous soufflons sur cette braise.

« Le zen est ici et maintenant dans la pratique de toutes choses. », dit Dogen. Bien sûr ces « toutes choses » sont différentes aujourd’hui qu’à l’époque de Dogen, mais la vision reste. C’est ainsi que la pratique de toutes choses est intéressante, contient un enseignement qui nous fait progresser vers une plus haute dignité humaine, une plus grande conscience de notre existence et de notre monde. Nous cessons alors d’être des étrangers à nous-mêmes et que les autres soient des étrangers pour nous. Tout cela surgit à chaque instant, surtout ne le ratez pas, plus tard n’existe pas.

Zazen 3

« S’il vous plaît, si vous pratiquez gyoji avec votre corps, vous pourrez devenir la personne de la véritable voie. Ce gyoji est en lui seul suffisant pour chercher la voie. Pour la Voie, il suffit de pratiquer gyoji. Si vous n’acceptez pas cela, vous perdrez alors vraiment votre temps pour l’éternité. ». Ceci fut exprimé par le grand maître Fuyo Dokaï. Gyoji est la pratique. Au temps de Fuyo Dokaï les moines pratiquaient dans un monastère. Leurs journées consistaient donc à pratiquer zazen, trouver leur nourriture, gérer le monastère, les abords, le chauffage, le bois, les toilettes et ne pas se battre entre eux. Tout cela faisait partie de leur gyoji, dont le cœur était la pratique de zazen. Sans zazen, pas de monastère, pas de bouffe, pas de logement, tout ceci, malgré les conditions rudes imposées par Fuyo Dokaï, devait être appréciable dans une Chine où la plupart des gens crevaient de faim.

Aujourd’hui notre gyoji est un peu différent. Adapté à notre époque il reste toujours le gyoji pratiqué par tous les patriarches. Et la pratique de zazen reste le cœur de notre gyoji. La vie de tous les jours, avec zazen, peut également être vue comme gyoji. Sans zazen c’est juste la vie quotidienne, cela n’a pas le parfum de gyoji. Le travail peut être vu comme un samu et non seulement une tâche destinée à gagner du fric, les jours off comme hozan, un jour sans zazen, manger parce qu’on est vivant, simplement, dormir comme la récupération dont nous avons besoin pour notre pratique de gyoji, la vie peut être très différente et contenant une signification spirituelle, au lieu d’une vie sans rien. Pour cela une pratique régulière est fondamentale.

Gyoji signifie le comportement pur et le respect des préceptes. Le bouddhisme est une religion de l’action, une spiritualité concrète. Il n’y a aucune séparation entre la Voie et gyoji, ceci dans un cycle de la vie.

Lorsqu’Eka était assis sous la neige devant la caverne de Bodhidharma, ses larmes gelaient, son corps était pris dans les congères jusqu’au thorax, il ne pouvait ni dormir ni se reposer, ni pisser, il pensa : «  Lorsque les gens du passé recherchaient la vérité, ils cassaient leurs propres os pour en tirer la moelle, ils soutiraient leur propre sang pour sauver les autres de la famine, ils étendaient leurs cheveux sur les flaques de boue pour que le Bouddha puisse marcher dessus, et ils se jetaient des falaises pour nourrir les tigres. Les anciens étaient comme cela, et moi qui suis-je ? » Lorsque ceci est oublié la déprime s’installe dans la vie. Ouais, vous allez me dire : « Mais moi je ne suis pas Eka. » C’est vrai, mais alors qui êtes-vous vraiment ? Quiconque peut-il sincèrement considérer avec satisfaction que pratiquer de temps en temps soit la Voie de tous les patriarches qui l’ont précédé ? Sans tricher ?

Bon donc finalement Bodhidharma eut pitié de cet énergumène gelant dans la neige et lui dit : « Que cherches-tu, debout là dans la neige depuis si longtemps ? » On pourrait comprendre : que cherchons-nous debout dans notre existence depuis si longtemps ? Avec les phénomènes qui nous oppressent jusqu’au thorax. Alors Eka lui dit : « Je vous demande seulement, Maître, que grâce à votre compassion vous ouvriez la porte du breuvage des dieux et sauver tous les êtres, sans distinction. » Alors Bodhidharma l’écouta et lui répondit ceci : « L’état de vérité suprême et magnifique des bouddhas est de préserver pour des kalpas innombrables la possibilité de pratiquer ce qui est difficile de pratiquer, et d’endurer ce qui est au-delà de toute endurance. Comment peut-on espérer chercher le véritable véhicule avec une petite vertu et une petite sagesse, et avec un esprit commun et vaniteux ? Ce serait un travail futile et une grande épreuve. » Là à la place de se dire merde j’abandonne, Eka ressentit un grand courage l’envahir. Il saisit son sabre hyper tranchant et se coupa le bras, et le déposa devant Bodhidharma. Là celui-ci vit vraiment la détermination invincible d’Eka. La détermination c’est essentiel, sinon Eka serait resté à mendier quelque chose dans la neige pendant des kalpas, comme une personne mendiant la voie spirituelle mais ne voulant rien abandonner pour cela. Il y a beaucoup de gens comme ça ils rêvent de la voie spirituelle, la veulent mais en même temps ne veulent rien donner pour cela, ne veulent rien abandonner, ils veulent juste la voie spirituelle comme un bonus en plus dans leur vie, comme des petits autocollants donné dans les supermarchés pour peut-être gagner une voiture ou des caramels. Un jour peut-être même ils se retrouvent moines mais ne savent alors pas quoi en faire, comme une poule qui a trouvé un couteau. Mais alors qu’est-ce qu’ils font là ? Est-ce que cela leur permet juste de penser à eux comme moines ? Pour un moine c’est le moine qui pense à l’être humain et non pas l’homme ordinaire qui pense au moine.

Donc Eka lui trancha la situation et laissa le dharma entrer en lui. Bodhidharma lui dit alors : « Lorsqu’au commencement les Bouddhas ont cherché la vérité, ils ont oublié leur propre corps pour l’amour du dharma. Maintenant tu as coupé ton bras devant moi. Dans ta quête aussi il y a quelque chose de bien. » Eka maintint donc la pratique de zazen. Si le second patriarche avait laissé tomber la pratique spirituelle, il ne pourrait y avoir aujourd’hui aucune satisfaction dans l’étude et la pratique de la grande affaire de notre vie. Mais ne pensez pas à Eka comme à quelqu’un d’autre, demandez-vous : qui suis-je ?

Zazen 4

Au septième siècle l’empereur Taiso qui admirait de loin le goût de la vérité du quatrième patriarche chinois, Doshin, et désireux de le voir en chair et en os publia un édit impérial qui ordonnait à Doshin de venir à la capitale. Par trois fois le patriarche offrit à l’empereur des lettres d’humbles excuses, allant même jusqu’à lui dire qu’il était trop malade pour voyager. La quatrième fois l’empereur donna l’ordre à son messager : « Si à la fin il ne vient pas, alors apporte-moi sa tête. » Le messager se rendit dans la montagne de Doshin et l’avertit de l’ordre impérial. Le maître étira alors sa nuque dans la direction du sabre, sans aucune crainte ni indécision. Le messager fut tout étonné et retourna raconter ce qui s’était passé à l’empereur. Du coup l’admiration de l’empereur grandit encore plus. Il accorda à Doshin une pièce de soie précieuse en cadeau, et le laissa faire à sa manière.

Même dans cette circonstance vitale on peut dire, menacé dans sa vie, Doshin n’abandonna pas sa pratique et resta assis. A nouveau peut-être allez-vous penser : « Ouais d’accord mais c’était Doshin le quatrième patriarche. » Comme si c’était plus facile pour Doshin que pour nous. Comme si c’était plus facile pour Eka, Doshin, Eno, Fuyo Dokai, Deshimaru et tous les autres, que pour nous. Si vous pensez vraiment cela, alors vous êtes en dehors de toute compréhension et faites simplement partie des six mondes du désir. Si vous ne le pensez pas et réfléchissez profondément à la fois sur la détermination des patriarches en même temps que sur la vôtre, qu’en déduisez-vous ? Lors de cette réflexion la détermination d’Eka fut totalement renforcée, il agit sans peur. Les patriarches sont aussi des gens ordinaires comme nous, alors pourquoi auriez-vous peur d’être attrapé par le dharma ? La vraie solution à ce koan est de gérer à la fois ses occupations, sa vie quotidienne et la pratique de zazen, la réalisation du dharma. Chacun a l’énergie de le faire, gérer sa vie dans la vision la plus haute, au-delà même des patriarches. Il suffit de décider, et de faire ce qu’on a décidé.

Dans notre vie quotidienne bien sûr nous ne sommes pas soudainement appelés par l’empereur de Chine. Mais symboliquement nous sommes soumis à de multiples requêtes similaires que nous prenons des fois comme venant de l’empereur, alors du coup la pratique de zazen passe derrière. Si c’est la pratique de zazen qui lâche, c’est parce que pour vous c’est le maillon faible. Un manque de détermination fait de zazen le maillon faible, le maillon de la chaine de la vie qui lâchera en premier. C’est comme ça si on voit zazen juste comme un maillon, qu’on peut remplacer s’il pète. Comme la transmission du zen est la ligne du sang de tous les patriarches, la pratique de zazen est en elle-même le lien de toute notre vie, la chaîne entière.

J’ai eu la chance de rencontrer zazen il y a presque trente ans, il fait partie de ma vie, il en est la colonne vertébrale, mais toujours pensant à Eka, Doshin et tous les autres, je me demande : qui suis-je ? Bien sûr je sais qui je suis, mais qui suis-je ? Même Bodhidharma répondit à l’empereur : je ne sais pas. Le dharma. Si vous n’êtes pas le dharma et le dharma n’est pas vous-mêmes alors vous pouvez répondre : je m’appelle Dupond, je sors du boulot et je rentre chez moi, je sais qui je suis, j’ai mes deux bras, mon chef m’appelle j’y vais, je touche mon blé à la fin du mois et je vous emmerde. Mais savoir qui on est, quelle est sa vie véritable, ultime, le point où tout notre être se résout, quel est-il, est un grand koan. A ce koan-là Eka s’est tranché le bras, Doshin ne s’est pas levé, Fuyo Dokai est parti dans les montagnes et Deshimaru a pris le transsibérien. Pour moi seule la pratique spirituelle continue peut résoudre ces koans de notre vie. Pour nous qui le pratiquons, libre à chacun de pratiquer ce qu’il veut bien entendu, mais je dis pour nous qui pratiquons zazen, seul cette pratique de zazen, ce gyoji de chaque jour peut répondre à ce genre de questions existentielles. Tous les patriarches ont eu leur propre réponse, chacun de nous doit également trouver la sienne sincère, réelle et véritable.

Je sais par expérience que lorsqu’ils entendent cela beaucoup de gens pensent : je dois, il faut que je, etc. Alors ils fuient, ils ont peur de perdre leur vie tranquille. Il ne s’agit pas de cela, il ne s’agit pas de promouvoir une lourdeur obligatoire de la pratique, bien au contraire. Il s’agit d’avoir confiance et d’agir. Si jamais vous avez peur de la pratique vous risquez d’avoir peur de tout, si vous vous échappez de la pratique en fuyant, vous risquez de fuir toute votre vie, si vous ne comprenez pas l’inconcevable, le mystère du corps-esprit, comment comprenez-vous votre vie, sur quoi est-elle véritablement fondée, quel en est l’élément qui ne peut être ni brûlé par le feu, ni trempé par l’eau ? Juste s’asseoir. A la fin il ne reste rien d’autre.

Zazen 5

Quel est le plus important au départ, avant que la pratique ait pénétré notre corps, avant qu’elle devienne une composante irréductible de notre vie. Tendo Nyojo l’exprime ainsi : « Dans la pratique de zazen et se rapprocher de la vérité, la chose la plus importante est de posséder la volonté de la vérité ; ceci est le point de départ de l’apprentissage de la vérité. » C’est effectivement important car pour que notre calendrier de vie contienne comme valeur première notre voie spirituelle, cela peut prendre des efforts, de la pratique régulière et beaucoup de gens se découragent. Ils en attendent quelque chose et leur vie ne change pas. Aussi dans ces circonstances la volonté de la vérité est essentielle. En fait toujours la volonté de la vérité est un soutien magnifique.

Chacun possède cette volonté-là, de vivre dans la vérité et non dans des mensonges illusoires. Au moins chacun désire posséder cette vérité, ce qui veut dire en fait qu’il la possède déjà. Réaliser cette vérité demande un pas de plus, un pas en avant. Rester sur ce désir ronge, il vaut mieux comme on dit s’en sortir par le satori et se lancer dans la réalisation de notre vérité.  A ce moment on devient un être véritable, on peut construire à l’intérieur de nous-mêmes un monde vrai, et être à notre vraie place. Qui ne désirerait pas cela. Il faut agir, c’est aussi pour cela que le bouddhisme est une spiritualité d’action. Venir pratiquer zazen est une action qui actualise notre désir de vérité, de nous retrouver nous-mêmes, et d’avoir utilisé notre corps pour manifester cette envie d’absolu. Le tout c’est d’y aller.

Pratiquer ensemble encourage. Se retrouver, partager, être seul et ensemble est plus facile. L’idée de la communauté, de la sangha, est une grande force, comme se retrouver ensemble aujourd’hui. Les lumières de Noël battent déjà leur plein, les serveurs des cartes de crédit vont ramer, tout le monde pense aux fêtes de fin d’année, il y a beaucoup de joie. En même temps nous nous retrouvons assis face au mur, sans but, sans rien en fait. Qu’est-ce qui nous satisfait le plus ? Tout, car la saveur en est donnée par ce silence, ce retour à rien, cet abandon du plein. Nous ne restons pas là-dessus non plus, nous repartirons mais maintenant nous pouvons goûter à cette vacuité où rien d’autre n’est important. Nous en apprécions l’atmosphère de calme et de vérité simple. Nous pouvons mener notre vie ainsi, recueillis et ouverts sur le monde, ne pas oublier notre centre, voir quand nous risquons de nous diluer dans les phénomènes et revenir à la vérité. Ici nous revenons à notre vérité, brute, sans objet, sans avidité, le zen est aussi simple que cela.

Alors avec la pratique régulière, qui bien entendu comme nous le savons tous demande aussi des efforts, nous pouvons vivre ainsi, retrouver quotidiennement notre centre. Alors à partir de lui il est possible d’agir en sachant ce que l’on fait, il est possible de gérer sa vie de façon positive sans se foutre dedans tout le temps. Tout cela part de notre centre, de notre silence, de notre intimité avec notre vérité. Le mensonge disparaît, la vie s’éclaire.

Tout cela nous le pratiquons ensemble. Je vous souhaite à tous, comme à moi encore, de trouver cet équilibre entre la vie religieuse qui est notre véritable nourriture et les phénomènes dans lesquels nous nous lançons de façon incessante. Je crois que cela est le gyoji de notre époque, l’alliance intérieure de la pratique de zazen et les activités que nous avons, les deux intimement mélangées. L’un nourrit l’autre, ainsi aucun aspect de la vie universelle ne nous sera plus inconnu. Nous vivrons dans un monde dans lequel nous pouvons à la fois agir et retrouver notre point d’immobilité.

Réalisez donc chaque jour la chance que vous avez de connaître zazen, de connaître le monde de l’esprit qui vous permet d’agir de façon transparente. La péroraison de l’Hannya Shingyo dit : « Allons, allons tous ensemble au-delà du par-delà. » Tous ensemble.

Personnellement, je pense que comme chacun de vous, je vous remercie d’être venu et d’avoir créé ces instants de pratique religieuse en commun. Continuons ensemble au-delà du par-delà.

Laisser un commentaire