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La pratique d’un bodhisattva (selon la Vénérable Tenzin Palmo)

Zazen 1: Donner un sens à sa vie

Dans cette sesshin d’été je voudrais revenir avec vous sur la pratique si rare, lumineuse et profitable à tous, du bodhisattva, le grand être du bouddhisme mahayana, l’être éveillé, compatissant et rempli de sagesse, l’être humain accompli dans toute son humanité.

Au XIIIème siècle, Gyalse Thogme Sangpo a dit :

Maintenant que j’ai ce grand bateau

Une précieuse vie humaine

Si difficile à obtenir

Pour cela écouter, réfléchir et méditer

Jour et nuit, sans distraction

Est la pratique d’un bodhisattva.

Le samsara est souvent lié dans les textes à un océan. De la même façon qu’un océan a de grandes et puissantes vagues, et de dangereuses marées, ainsi au sein du samsara nous sommes bousculés de haut en bas sans fin et nous nous battons constamment pour la vie. Mais souvenons-nous que toutes ces vagues sont à la surface et que si nous plongeons dans les profondeurs de l’océan, nous rencontrons des eaux calmes et tranquilles peuplées de poissons magnifiques et d’immenses baleines.

Mais comme nous vivons à la surface, chahutés de toutes parts par nos pensées et nos émotions, de quoi avons-nous besoin ? Nous avons besoin d’un bateau qui nous amènera sur le rivage de la libération, car il est trop loin pour nager jusqu’à lui. Comme dit Shanditeva : « Traverser la mer des émotions sur le bateau de l’existence humaine. » Nous avons le Dharma et notre précieuse vie humaine. Qu’est-ce qui rend une vie humaine si précieuse ? Nous nous intéressons au Dharma, c’est le plus important, et c’est si rare surtout à notre époque de décadence religieuse. Combien de gens désirent l’éveil de tous les êtres sensibles, ou même à l’intérieur du cercle de leurs fréquentations ? Nous essayons de nous reconnecter à notre nature originelle, notre lumière et notre intelligence naturelles. A nous reconnecter à ce que nous sommes réellement. Arrêtons de croire que nous sommes ce que nous pensons, arrêtons de nous identifier avec nos pensées, mais soyons naturels au moins pendant ce camp d’été dans cet endroit que nous affectionnons et qui nous accueille, avec ses montagnes, ses vaches, son bon air et même ses odeurs fribourgeoises. Cette terre est notre amie, englobons-là dans notre pratique, au-delà de notre horizon également et soyons de vrais amis de la grande Voie des bodhisattvas, en lien avec tout.

Il est important de ne pas être distrait par l’extérieur, mais de réaliser que nous avons un corps humain, de se souvenir que nous sommes ici sur cette planète, sur cette Terre et de ne pas passer notre vie en vain sinon nous ne vivons que comme un animal. Il ne nous faut pas manquer cette occasion unique. Si nous ne faisons pas un effort pour créer les conditions et les causes justes dans la durée de notre vie, nous allons perdre cette occasion. Maintenant est le moment, maintenant pendant cette semaine de sesshin d’été, car nous ne savons pas ce que le futur nous réserve. Nous pouvons ici plus facilement oublier notre intérêt particulier, notre Moi, et participer à toutes les activités de cette sesshin en harmonie avec nous tous et toutes. Bien sûr nous louons cet endroit donc notre samu est restreint, il n’y a pas de grands travaux, mais engageons-nous de bon cœur : samu – en fait tout est samu -, couture, nettoyage, cuisine, vaisselle, aider chacun, participer avec joie avec la sangha, c’est le bonheur de cette semaine. Et pratiquer zazen ensemble d’un même cœur, d’un même esprit.

Il n’y a aucun moment de repos si vous êtes un bodhisattva, c’est tous les jours, toutes les heures. Néanmoins durant cette sesshin après le samu du repas de midi il y a une période de repos, elle fait partie du protocole. C’est simple : suivez les horaires, harmonisez-vous naturellement, soyez présents à tout ce que vous faites, faites preuve de patience et de bienveillance si quelque chose ne vous plaît pas, et surtout essayez de trouver un enseignement dans tous les phénomènes qui ne manqueront pas de surgir. Souvenez-vous que le Bouddha prend les gens comme ils sont, avec leur propre samsara.

Je vous souhaite à toutes et à tous un camp d’été intéressant, profitez pleinement de cette période monastique pour vous enseigner vous-mêmes grâce à chaque occasion et tirez-en une vision de votre vie renouvelée. Rétablissons ensemble sukkha et que la roue du Dharma soit bien huilée.

Zazen 2 : Ecouter, réfléchir et méditer

Nous devons écouter, réfléchir, c’est à dire avoir une réflexion profonde, et méditer. Ecouter veut dire étudier le Dharma, écouter les enseignements du Dharma. Traditionnellement au temps du Bouddha, les choses n’étaient pas écrites, aussi parlent-ils toujours dans les sutras d’écouter car ils n’avaient pas de livres. Ecouter inclut la lecture, l’étude ; toute acquisition de connaissances est considérée comme écouter. Dans ce pays nous avons la chance de pouvoir lire des livres et aller dans des dojos zen. Par la lecture nous pouvons également comprendre certains concepts que nous avons lus sans que nous les ayons expérimentés. Nous pouvons comprendre ce que nous lisons.

Nous devons également penser à ce que nous écoutons, à ce que nous lisons, nous devons avoir une réflexion propre à propos de ce que nous écoutons. C’est comme manger quelque chose, encore faut-il la digérer, qu’elle se transforme en notre chair. En plus clair : quand un lapin mange des carottes, cela fait du lapin, pas des carottes ! Donc il ne suffit pas d’écouter, nous devons essayer réellement de comprendre. Il ne s’agit pas de croire aveuglément mais parce que nous comprenons. Il s’agit d’une croyance intelligente, une foi, une confiance dans le Dharma, basée sur notre propre raisonnement. Il faut que cela ait du sens pour nous dans notre existence. A ce moment nous pouvons alors profiter de multiples enseignements. Donc écouter, réfléchir est activité et non passivité.

Un lama disait : « En premier vous entendez et étudiez, ensuite vous y pensez, alors vous devenez cela. » Cela va de la tête au corps, au cœur et ensuite alors ce que nous faisons l’est de façon spontanée et vient naturellement de notre compréhension. Nous devons mettre tout ce que nous étudions et que nous acceptons et digérons en action, en pratique. Sans pratique, pratique de la méditation active, de zazen, et sans compréhension dans notre cœur, l’étude est juste une étude sans fin. Elle doit correspondre à une transformation. Cela ne veut pas dire que nous devions étudier avec excès, il faut écouter, réfléchir suffisamment car si nous n’avons plus d’étude cela ne nous aidera pas.

Donc il est dit : ces trois choses sont vraiment importantes. En premier nous devons étudier pour comprendre ce que nous sommes en train de faire, ensuite y réfléchir profondément de façon à ce que nous le comprenions vraiment, et ensuite l’incorporer dans nos vies et devenir cela. Dilgo Kyentse Rinpoché dit : « Chaque jour, souvenez-vous que si vous n’étudiez pas, ne faites pas preuve de réflexion à propos des enseignements, si vous ne méditez pas, au moment de votre mort vous serez perdus. La mort est certaine. Si vous attendez le moment de votre mort pour pratiquer, cela sera trop tard. »

Je vous donne un ou deux exemples. Dans l’Hannya Shingyo il est dit : « Ô Sariputra, les phénomènes ne sont pas différents de kuKu n’est pas différent des phénomènes. Les phénomènes deviennent kuKu devient phénomène. La forme est le vide, le vide est la forme. » Si nous ne conduisons pas une réflexion profonde sur ces phrases, il est impossible de les comprendre. Pour cela il faut approfondir ce que veut dire la vacuité dans le bouddhisme, qu’entend-on par phénomènes, que veut-on dire avec le mot « forme ». Quel est le rapport avec la matière, le rapport avec nos pensées, le rapport avec zazen ? Quelles conséquences pouvons-nous en tirer sur nos comportements ? Pourquoi continuons-nous à nous attacher à des formes qui sont en elles-mêmes sans réalité existentielle mais qui sont le produit des conditions, le produit de notre esprit, de nos pensées ? Quel est le rapport avec l’impermanence et l’interdépendance de toutes choses ? Et notre vie comment alors la voyons-nous ? Nous avons lu le texte mais sans réflexion profonde, sans méditer, sans être intéressé à voir ce que cela signifie vraiment pour nous, ces mots restent seulement une suite de lettres sans signification.

Le premier vœu d’un bodhisattva est de sauver tous les êtres. Nous le récitons chaque jour, mais le comprenons-nous ? Que veut dire tous les êtres ? Est-ce possible de sauver tous les êtres ? Qu’est-ce que cela veut dire dans notre vie de tous les jours ? Si nous ne le comprenons pas il est possible que nous restions sur l’impression que ce vœu est une impossibilité et donc que nous l’abandonnions.

Dans tout cela le bodhisattva ne se repose jamais. Jusqu’à ce qu’il ait fini d’étudier, alors il continue sa pratique naturellement, spontanément, avec joie et bonheur. Il ne cherche ni à écarter les illusions ni à trouver la vérité dit le Shodoka. Mais d’ici là, continuez à écouter, réfléchir et méditer.

Zazen 3 : abandonner l’attachement et l’aversion

« Abandonner mon pays natal est la pratique d’un bodhisattva. » Dilgo Khyentse Rinpoché explique : « La signification de laisser derrière son pays natal est de laisser derrière les émotions d’attachement, de haine, et de notre ignorance obscure qui s’infiltre dans les deux. Ces poisons, de façon générale, sont les plus actifs dans les relations que nous établissons avec la famille et les amis de notre horizon. »

Notre pays natal signifie nos réponses ordinaires et habituelles, ce sont elles que nous devons laisser en arrière. La première chose est donc de nous en rendre compte. Surtout quand nous interagissons avec des personnes qui nous sont familières. On réagit des fois avec de vieilles habitudes sans y penser réellement. Il nous faut connaître de nouvelles perspectives.

Les vagues de nos espoirs et nos peurs nous baladent en haut, en bas. Tout cela est notre attachement. A ce propos il faut faire une distinction claire entre amour et attachement, car souvent les gens croient qu’ils doivent être attachés par exemple à leur famille sinon ce serait ne pas les aimer, c’est faux de croire que plus on s’attache, plus on aime. Attachement ne veut pas dire amour. L’attachement est la cause de dukkha, l’amour non. L’amour est l’opposition de l’attachement.

L’attachement veut dire : je veux que tu m’aimes, que tu me rendes heureux et que je me sente bien. Au contraire l’amour dit : je veux que tu sois heureux et que je fasse que tu te sentes bien. Avec l’amour nous pouvons tenir aux choses et aux êtres de façon douce et légère, au contraire de l’attachement qui est de saisir fermement. Lorsque nous vivons continuellement dans notre environnement ordinaire, il est facile de cultiver des antipathies et des conflits. Il est difficile de voir les gens que nous connaissons bien comme ils sont réellement et non comme nous les voyons. Nous devons changer de perspective intérieure et regarder les gens sans préjugés, les voir comme la première fois. Pour cela nous pouvons observer la façon dont nous parlons à une personne comparé avec la façon dont nous parlons à une autre et ainsi nous rendre compte de nos projections.

Cela prend beaucoup d’efforts pour nous transformer, abandonner nos réponses habituelles, mentales et émotionnelles. Néanmoins cela est possible avec un effort constant et répété. Cela ne se passe pas du jour au lendemain. Nul autre que nous-mêmes, pas même le Bouddha, peut le faire à notre place. Nous devons comprendre et accepter que nous sommes entièrement responsables de notre propre esprit, notre propre cœur, même si des gens peuvent nous aider.

Reconnaître que l’attachement, la haine et l’ignorance sont la cause des souffrances au sein du samsara. C’est à l’intérieur de nous-mêmes. Ne pensons pas aux obstacles de notre pratique mais plutôt voyons que tout est une aide à notre pratique, si nous adoptons une attitude juste. C’est une question de changer nos réponses. Chacun doit décider quelle est son attitude juste, quelles vieilles habitudes nous devons abandonner, et comment vivre une vie de bodhisattva, une vie qui prend un sens vrai et dans laquelle nous sommes en paix.

Par exemple pour certains c’est une grande difficulté de ne pas être collé tout le temps à leur téléphone portable et de pouvoir ainsi avoir un regard plus ouvert sur son environnement, pour d’autres couper des habitudes, un monde connu, son pays natal, pour prendre quelques risques et vivre plus consciemment, ou laisser la liberté à chacun d’avoir sa vie à soi, que cela incluse nous ou non. Bien sûr nous vivons dans le samsara tant que nous ne sommes pas complètement éveillés, comme un bodhisattva mahasattva, mais cela ne nous empêche pas de faire au mieux de créer des nouveaux chemins dans notre cerveau et ne pas continuer à utiliser nos vieilles routes.

La grande nouvelle du Bouddha est de dire que cela est possible. Un simple être humain, même un « moldu », avec attention, décision, observation, peut engranger une transformation qui lui ouvrira les portes d’un être éveillé, d’un bodhisattva. En fait il faut décider de s’y mettre, de remonter ses manches, ses manches à soi, pas celles des autres, disait Etienne. C’est le mieux qu’on puisse faire, le mieux aussi pour tous et pourtant la plupart des gens n’en veulent pas, c’est un grand koan. Alors nous-mêmes continuons à apprendre, à avoir une réflexion profonde et à pratiquer cette Voie qui sans nul doute nous donnera de grandes satisfactions et nous ouvrira l’esprit.

Zazen 4 : se souvenir de l’impermanence.

Gyalse Thogme Rinpoché :

Les amis proches qui ont été longtemps ensemble se sépareront

La santé et les biens obtenus avec beaucoup d’efforts seront laissés en arrière

La conscience, un hôte, quittera l’hôtel du corps

Abandonner les préoccupations de cette vie est la pratique d’un bodhisattva

Bien sûr ce verset va complètement à l’encontre de la mentalité de notre société moderne, qui est tellement centrée sur sa vie et dont le bonheur dépend de relations proches, de succès, d’argent, de possessions. Plus vous possédez, plus vous existez.

Notre corps n’est là que pour une courte période. Tout est impermanent, ce qui inclut nous-mêmes, il n’y a pas d’exception. Nous devrons laisser derrière nous tout ce que nous avons accumulé et personne ne pourra venir avec nous.

Dilgo Kyentse Rinpoché dit : « Ordinairement les soucis mondains n’amènent que de la souffrance et du désappointement dans cette vie. Les apparences du samsara sont hautement instables, toujours changeantes, et impermanentes, comme un éclair au milieu de la nuit. D’avoir une réflexion sur les phénomènes tourne notre esprit vers le Dharma. » Il nous faut reconnaître ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Une réflexion sur la mort nous rappelle que nous sommes vivants et que nous devons prendre soin de ce que nous faisons dans notre vie parce que nous ne l’aurons pas toujours.

Quand on est jeune la vie paraît éternelle. Comme disait Brassens : « J’ai vingt ans mon vieux Corneille et je t’emmerde en attendant. » Quand on avance en âge, l’impermanence de la vie devient une réalité. Nous pouvons apprécier une chose des fois si nous savons que nous allons la perdre. Si nous pensons que nous la possédons pour toujours, alors nous ne lui accordons aucune valeur. Nous passons la plus grande partie de notre temps à cultiver des relations qui sont précieuses pendant que nous les avons, mais nous devrions les rendre les plus harmonieuses possibles parce qu’elles ne dureront pas toujours. Nous devrons abandonner toutes nos possessions terrestres.

Alors à chaque instant nous créons notre futur, personne d’autre ne peut le faire à notre place. Par conséquent comment nous choisissons de passer notre temps, en pratique ou en frivolités, et avec qui nous choisissons de passer notre temps, est clairement d’une importance capitale. Nous pouvons agir, nous ne sommes nullement les marionnettes d’une quelconque fatalité karmique, nous pouvons nous diriger nous-mêmes et décider de notre futur en tenant compte de ce qui est possible.

Je vais des fois au cimetière de Lausanne, pas souvent je l’avoue, mettre quelques fleurs sur la tombe de mes parents morts il y a quarante et trente-trois ans. Je me trouve à jouer à calculer à quel âge les gens meurent disons « normalement ». Ca varie beaucoup, on ne connaît pas le futur. C’est maintenant qu’il se décide. C’est la même chose pour le réchauffement climatique, les guerres, la mise à disposition de l’eau dans le monde, les enfants, les systèmes politiques, c’est maintenant que cela se décide, pas quand finalement ça vient et c’est trop tard. La pratique aussi, décidez maintenant, plus tard ce sera trop tard.

L’impermanence pour nous reste souvent un concept, nous pensons que tout va durer, nos possessions, nos êtres chers, nous-mêmes et par cela même pour y croire et éliminer de notre esprit que cela n’est qu’une illusion, nous nous attachons aux choses et aux gens. Aimer c’est maintenant, la connaissance et la compassion c’est maintenant, pratiquer c’est maintenant. La seule réponse à la dure loi de mujo, l’impermanence, est de vivre maintenant, d’être conscient d’être vivant maintenant, de trouver du bonheur et de le répandre maintenant. L’existence réelle n’est que maintenant.

Il y a les deux dans la Bible : « Veillez et priez car vous ne connaissez pas le jour de votre mort » et aussi « Mangez et buvez car vous ne savez pas quand vous mourrez. » Pratiquez et vivez, et prenez soin de votre vie maintenant.

Zazen 5 : trouver un refuge.

Gyalse Thogme Rinpoché :

Qui des dieux mondains peuvent-ils protéger alors qu’ils sont eux-mêmes emprisonnés dans le samsara ?

Prendre refuge dans les trois trésors

Qui protègent chacun

Est la pratique d’un bodhisattva.

Dilgo Khyentse Rinpoché explique : « Naturellement les gens cherchent un refuge, quelqu’un ou quelque chose pour se protéger de la tristesse et des tourments. Certains se tournent vers le pouvoir avec l’espoir d’obtenir des richesses, du plaisir et de l’influence. D’autres cherchent protection dans les forces de la nature, comme les étoiles ou les montagnes. D’autres à travers le pouvoir d’esprits. Mais aucun de ces moyens erronés n’est libre d’ignorance, ni de samsara, et donc ne peut procurer aucun refuge ultime. Leur compassion, s’ils en ont une, est postiche et limitée. »

Un refuge ne peut être procuré que par quelque chose qui est en lui-même totalement libre, libre des liens du samsara et libre de la paix limitée du seul nirvana. Seuls les êtres qui sont au-delà du samsara peuvent nous aider à le dépasser nous aussi.

Que signifient les trois trésors, le Bouddha, le Dharma, la Sangha ? A partir d’une perspective bouddhiste, le premier pas est de croire et d’avoir confiance dans le Bouddha, le Dharma et la Sangha. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Les trois refuges protègent notre esprit. Cela signifie que si nous croyons sincèrement dans le Bouddha, le Dharma et la Sangha et que nous pratiquons sincèrement, ces refuges ne nous laisseront pas tomber. Notre pratique fleurira naturellement. Notre aptitude à nous rapprocher de plus en plus d’un esprit libéré grandira. La Dharma lui-même ne peut pas nous laisser tomber mais notre pratique si. Si nous transformons notre esprit de l’intérieur, nous n’aurons plus d’ennemis et en ce sens nous serons protégés.

Traditionnellement le Bouddha est considéré être le médecin suprême, l’ultime docteur, parce que nous sommes tous empoisonnés par nos émotions négatives, spécialement par notre colère et notre attachement, jalousie et gloire, et notre manque de compréhension de notre ignorance. Nous ne reconnaissons pas ce que nous sommes vraiment. La cause sous-jacente est le désir d’attraper, et notre esprit est dominé par notre perception fausse de notre identité, ce qui crée beaucoup de problèmes.

Le Bouddha a dit que la naissance, l’âge, la maladie et la mort, et ne pas obtenir ce que nous voulons ou obtenir ce que nous ne voulons pas, étaient cause de souffrance. Mais il ne nous a pas laissés seulement en disant : « Bon c’est votre problème parce que vous voulez acquérir trop. » Au contraire il a dit : « Bonne nouvelle ! De façon ultime vous êtes profondément en bonne santé, et en plus il existe un traitement. » Le chemin octuple qui contient la totalité de l’enseignement, du Dharma. Le Bouddha est comme un docteur.

La sangha a trois niveaux de signification :

  • Le premier est la sangha des Nobles, qu’ils soient moines ou laïcs, ceux qui ont une perception réelle de la réalité. C’est la sangha dans laquelle nous prenons refuge car ils savent ce qu’ils font par expérience.
  • Le deuxième contient les moines et les nonnes, c’est à dire tous ceux qui sont ordonnés et qui ont reçus leurs vœux.
  • Le troisième niveau est la grande sangha, tous ceux pleinement ordonnés, nonnes, laïcs et laïques.

Donc dans le bouddhisme nous prenons refuge, ce qui nous rappelle de placer le Dharma au centre de notre vie et non à la périphérie. Nous pratiquons le Dharma dans tout ce que nous faisons. Nous pouvons transformer toutes les relations, les problèmes et les challenges qui arrivent dans la vie de tous les jours, et apprendre comment les transformer dans la pratique du Dharma d’une façon intelligente. Nous pouvons transformer notre cœur-esprit. Cela aussi est maintenant.

Zazen 6: reconnaître la vérité des choses. 

Gyalse Thogme Rinpoché :

Semblables à la rosée sur l’herbe

Les délices des trois mondes

De par leur nature véritable

S’évaporent en un instant.

Avoir soif du niveau suprême de libération qui ne change jamais

Est la pratique du bodhisattva.

Dilgo Khyentse Rinpoché explique : « Tous ces buts et ces ambitions illusoires, même si vous arriviez à les réaliser jusqu’au bout et les ameniez à une forme de conclusion, cela conduirait à quel résultat à la fin ? Vous reconnaîtrez qu’il n’y a rien de permanent dans aucun d’eux. Si vous étiez le descendant, héritier d’un trône, il est néanmoins évident qu’aucun roi n’a maintenu son pouvoir indéfiniment, si rien d’autre la mort le coupera de toutes façons. Même si vous êtes le plus formidable général, vous ne soumettrez pas tous vos ennemis du pays, quelles que soient les années que vous combattiez. Vous pouvez avoir un pouvoir fantastique, du renom et des richesses mais tout cela ne signifie rien et est flou. »

Un des problèmes de notre société moderne est l’idée que le bonheur signifie le plaisir. Par conséquent les gens croient qu’une vie vraiment heureuse serait celle d’un plaisir sans fin. Bon mais un plaisir sans fin, à la fin c’est barbant. Est-ce vraiment cela la vie, notre vie ? Alors de plus en plus en Occident, les gens font l’expérience d’un sentiment de désespoir, parce qu’ils ont tout ce que la société leur dit qu’ils ont besoin pour être heureux, pour être satisfaits et comblés, et ils sont misérables. Alors quoi ? C’est tout ce pour quoi il faudrait se battre ? C’est le malaise de notre société moderne où plus rien ne rend les gens heureux.

Ils ne voient plus que l’Univers est une perle brillante. A Genève un traider a acheté une villa au bord du lac pour cinquante-six millions. Combien de pièces doit-elle contenir ? En quoi vraiment cela va-t-il changer sa vie ? Y trouve-t-il sa vérité ? Je sais c’est un exemple extrême. Nous devons voir ce problème en nous-mêmes pas chez les autres. Pourquoi nous battons-nous chaque jour, pourquoi tous ces efforts ? Reconnaissons-nous la vérité des choses ? Quelle est notre vérité ? Voilà un vrai koan, il ne s’agit pas de savoir si oui ou non un clébard a la nature de Bouddha.

Je comprends que beaucoup pensent que dire que l’Univers est une perle brillante aujourd’hui semble irréel avec les guerres, la dégradation du climat qui s’accentue par l’action humaine, les régimes autoritaires ou ultra capitalistes, les espoirs déçus, la raréfaction de l’eau potable, le gap pharamineux entre les sociétés et le quart monde, et la disparition des peuples autochtones. Alors où trouver une lueur d’espoir pour les générations futures ? Nous ne disposons plus de kalpas pour modifier le cours des choses. Nous avons nos veux de bodhisattva, au moins essayons de vivre le mieux selon ces vœux, de faire preuve d’éthique élevée, de compassion, d’amour et non d’attachement, laissons notre Moi dans l’arrière-cour, comme l’ont fait tous les patriarches. Les temps anciens également étaient terribles, peste, massacres, guerres déjà, famines, conquêtes, haines religieuses, malheureusement tout cela ne date pas d’aujourd’hui. Qu’en notre esprit et notre cœur au moins l’Univers soit une perle brillante. Répandons au mieux cette brillance autour de nous, maintenant.

Faisons de notre mieux en suivant nos vœux si grands, si universels, de bodhisattvas pendant que nous sommes vivants. Comment le faire est la responsabilité, la vérité de chacun. Cela est notre perle brillante, alors qu’elle resplendisse dans ce monde en péril.

Zazen 7: pratiquer la bienveillance et la compassion.

Gyalse Thogme Rinpoché :

Toutes les souffrances proviennent sans exception

De désirer le bonheur pour soi-même

Alors que la bouddhéité parfaite est née de l’idée d’en faire bénéficier les autres

Par conséquent, d’échanger notre propre bonheur pour la souffrance des autres

Est la pratique d’un bodhisattva

Ceux qui sont le plus désespérés sont ceux qui ne pensent qu’à leur propre bonheur. Ils ne seront jamais satisfaits, de cette façon nous ne serons jamais satisfaits. Nous imaginons qu’aussi longtemps que nous servons notre propre intérêt et que nous pouvons satisfaire tous nos désirs et avoir tout ce que nous voulons, alors nous serons heureux. Mais cela ne marche pas. Lorsqu’un désir est satisfait, un autre apparaît. C’est sans fin. Nous nous éloignons de plus en plus de notre libération en essayant de saisir plus de satisfactions matérielles et de pouvoir. Des gens mettent tellement d’énergie à être heureux qu’ils ne le seront jamais. C’est un mirage.

Mais si nous arrivons à arrêter de nous faire du souci à propos de notre propre bonheur, alors soudainement nous nous retrouvons heureux. Dans le bouddhisme vajrayana existe la pratique de tonglen : aspirer la souffrance et expirer la compassion pour les êtres, ou simplement pour nous-mêmes. « Que toutes mes bonnes qualités, le potentiel infini de ma nature de Bouddha, avec le bon karma que je peux avoir, que tout cela leur soit donné. Puissent-ils être libres de toute souffrance, je prends leur souffrance en moi. »

Dans le zen depuis Eno et le Chan on parle de la Voie graduelle et de la Voie directe, de la perfection directe de sagesse. Ceux qui pensent que les enseignements sur la compassion, la bienveillance font partie de la Voie graduelle et donc ne sont pas aussi efficaces que la Voie directe, ont une compréhension incomplète. C’est seulement si vous avez développé l’amour et la compassion de la bodhicitta relative que la bodhicitta absolue – la véritable essence de la grande perfection – prendre naissance dans votre être.

Dans le Chan, le zen il y a beaucoup d’enseignements qui paraissent différents les uns des autres, même parfois ils peuvent apparaître contradictoires selon comment on les lit. Pourquoi ? Il y a là un point important sinon nous risquons de croire et d’adapter tous les enseignements sans réfléchir et les transposer littéralement à notre époque et dans notre société, ce qui serait très dogmatique.

Il ne faut donc pas oublier les conditions qui régnaient à l’époque d’un enseignement, ni les personnes auxquelles cet enseignement était destiné. Car tout enseignement est un moyen habile, un moyen salvifique, qui s’adresse à quelqu’un. L’enseignement du Bouddha aux laïcs et aux bodhisattvas était très différent, il ne leur parlait pas la même langue. Dogen a vécu toute sa vie dans des temples, il ne connaissait que très peu la vie mondaine, et ne travaillait pas avec un patron, des collègues, ne vivait pas avec une famille, des enfants. Pour Bouddha et Dogen « quitter la famille » voulait dire effectivement devenir moine, partir au monastère ou sur les routes. Il serait impossible aujourd’hui de dire aux personnes qui demandent l’ordination de moine ou de nonne zen : vous devez quitter votre famille, laissez-les tomber tous. Maître Deshimaru fut à Paris de 1967 à 1982, le temps de Mai 68, il ne s’adressait pas à des colombes. Et bien sûr ce que je dis sincèrement vient de ma vision de la vie et du zen, coloré par toutes les conditions de ces années d’existence, de travail acharné, de famille et des enfants, de mes erreurs aussi, nombreuses. Alors vous devez réfléchir avant de gober un enseignement. Ce n’est ni la Bible, ni le Coran, il faut faire preuve d’intelligence, de discernement, de critique aussi. Et ne pas stagner avec « Dogen dit », « Deshimaru dit », « Maître tel et tel dit », même « Etienne dit », il faut garder l’esprit ouvert, et ne pas oublier que la vérité de quelqu’un d’autre peut nous apprendre des tas de choses bénéfiques mais en même temps cela reste sa vérité à lui.

Nous devons pratiquer notre bienveillance, notre compassion, et notre vérité qui nait à la fois de notre pratique et des événements de notre vie. Et oui, Etienne disait : « Il faut remonter ses manches, ses manches à soi, pas celles des autres. » Ca je j’ai pris de grand cœur, je le prends, c’est également ma vérité. Mais ne soyez pas aveugles. Vous comprenez à la fois l’enseignement des patriarches et votre propre vérité et liberté ? Ecouter, réflexion et méditer. Des bodhisattvas donc, pas juste des auditeurs passifs est l’approche à adopter.

Zazen 8: reconnaître ce qui est vraiment valable, qui a une véritable valeur

Gyalse Thogme Rinpoché :

Alors que je serais fameux, et révéré par beaucoup

Aussi riche que le Dieu des richesses lui-même

Voir que les ressources et la gloire du monde sont sans essence

Et être libre de toute arrogance

Est la pratique du bodhisattva.

Nous devons trouver un équilibre dans nos vies et ne pas pratiquer seulement quand tout va bien ou quand tout va mal. Petit à petit nous apprenons à accepter ce qui arrive et à l’utiliser comme notre chemin. Nous devons développer de l’équanimité de telle façon que quoi qu’il arrive nous puissions maintenir notre tranquillité et être capable de gérer les situations d’une manière appropriée sans être emmenés par l’exaltation ou le besoin de râler.

Dilgo Khyentse Rinpoché commente : « Un bodhisattva voit que la richesse, la beauté, l’influence, la prospérité, la lignée familiale – en fait tout ce qui concerne cette vie – est aussi éphémère qu’un éclair, qu’une goutte d’eau, aussi transparent qu’une bulle, aussi évanescent que la peau d’un serpent. Il n’est jamais fier, quels que soient les résultats et les privilèges qui peuvent venir à lui. » N’attachons pas notre sens de nous-mêmes purement à des valeurs extérieures, sinon nous resterons dénués de sécurité. Si vous pensez que la taille des mannequins dans les magazines, que les ébats sexuels dans les films, que l’amour dans les romans photos sont quelque chose que vous devriez vivre, ou si vous pensez que vous aussi devriez bénéficier de reconnaissance, alors franchement vous êtes mal partis.

Souvent nous imaginons que nos problèmes seraient résolus si seulement nous pouvions éviter ce qui ne nous plaît pas et gagner seulement ce qui nous fait plaisir. Cependant ce sont les deux faces d’une même pièce. Si nous regardons une seule d’entre elles et que nous essayons d’oublier l’autre, alors nous sommes attrapés dans un état mondain qui n’est nul refuge. Jamais nous n’obtiendrons tout ce que nous voulons et nous ne pourrons jamais éviter tout ce que nous ne voulons pas. Le point est de rester ouvert quoi qu’il arrive, quel que soit le côté face ou le côté pile de la pièce qui apparaisse.

Il est dit dans le Tenzo Kyokun de Dogen : « Ne faites aucune différence entre une méchante soupe et un dîner de roi. » « Abandonnez votre manteau de roi, laissez tomber vos guenilles de mendiant », disait Etienne.

Si nous sommes dans un joli restaurant, c’est super ; si nous sommes dans une pauvre chaumière, c’est bien aussi. Qui s’en occupe ? Qu’est-ce que ça peut bien faire ? Quoi qu’il arrive acceptez-le et ayez du plaisir. Pratiquer l’équanimité de l’esprit quoi qu’il arrive est le mieux. Quand les choses roulent bien, c’est bien, c’est sukkha ; quand il commence à y avoir des secousses, c’est ok aussi, c’est dukkha, c’est inévitable dans la vie.

Chacun doit trouver ce qui a une véritable valeur. En même temps je pense que chacun d’entre nous pense que zazen a une véritable valeur sinon nous ne serions pas ici. Mais il est dangereux d’affirmer catégoriquement qu’une seule et unique valeur est véritable. Il ne s’agit pas de cela, mais de reconnaître nous-mêmes ce qui a une véritable valeur. Faisons en cela preuve d’humilité et non d’intégrisme. Le Bouddha prend tous les gens tels qu’ils sont.

A ce propos réfléchissez profondément à ce que disait Maître Deshimaru : seulement zazen. Que voulait-il dire par cela ? Et Eno : la seule chose est de connaître votre véritable nature ? Et bien d’autres citations, quel en est le sens aujourd’hui, quelle vérité pouvons-nous y trouver, quels enseignements ? Trouver la valeur véritable en toutes choses est aussi un travail de bodhisattva, d’éveil.

Zazen 9: embrasser la non-dualité.

Gyalse Thogme Rinpoché :

Tout ce qui apparaît est le travail de mon propre esprit

La nature de l’esprit est primordialement libre de toute conception limitative

Reconnaître cette nature

Et ne pas entretenir des concepts de sujet et d’objet

Est la pratique du bodhisattva.

Lorsque nous mentionnons le terme esprit il faut penser à ses deux aspects : notre esprit conceptuel ordinaire et la nature ultime de l’esprit qui est éveil. Comme tous les êtres humains nous sommes principalement au courant de notre niveau conceptuel de l’esprit : nos pensées et nos émotions, nos mémoires, nos jugements, nos idées et nos croyances. L’expérience de choses plaisantes ou non plaisantes n’est pas due aux objets que nous percevons, elle arrive seulement dans notre esprit.

Notre façon de penser rétrécit tout, range tout dans des boîtes. Mais la nature de l’esprit est bien au-delà, elle ne peut pas être mise en boîte. La nature de l’esprit est libre de toutes limitations conceptuelles, comme l’espace. Il est difficile de penser à quelque chose dont la véritable nature est au-delà de la pensée, comme la Voie, l’espace, le temps, la vacuité, l’éveil, l’illumination, la lumière, l’énergie.

Par exemple ce que nous appelons la nature de Bouddha, elle est vacuité, elle est comme l’espace. Nous ne pouvons pas attraper l’espace, ni le temps. Pourtant si l’espace n’existait pas, rien ne pourrait exister. Si il n’y avait aucun silence entre les notes, il n’y aurait pas de musique, même chose avec la parole, en fait avec tout. Mais on ne peut pas saisir l’espace. A la fois il existe et à la fois il est non-existence. Quand on parle de la nature de Bouddha, cela peut paraître comme si nous parlions d’un petit Bouddha assis à l’intérieur de nous. Ce n’est pas comme ça, personne ne possède son petit bouddha personnel à l’intérieur, ce ne serait qu’une projection égoïste.

D’un point de vue bouddhiste le concept d’un Moi autonome est une illusion fondamentale qui nous emprisonne dans le samsara. Nous pensons qu’à l’âge de deux mois, à vingt, cinquante ou huitante ans c’est toujours Moi. Mais ce qui fait ce Moi sans substance réelle réside seulement dans nos opinions, nos idées, nos croyances. C’est ce que nous essayons de transformer. Dire que le Moi est un concept sans autonomie ne veut pas dire que nous n’existons pas. Bien sûr nous existons et à la fois nous n’existons pas de façon purement individuelle. A la fois existence et non-existence, les deux ne peuvent être séparées. C’est embrasser la non-dualité. La dualité vient des mots, dans la vie, dans nos journées de façon naturelle nous embrassons les contradictions sans que cela nous gêne. Lorsque nous nous en prenons à des concepts les contradictions apparaissent.

Par exemple, avant notre naissance nous n’existions pas. Mais parallèlement nous existions potentiellement dans les gènes de beaucoup de générations, donc nous ne pouvons pas dire que nous n’existions pas du tout, mais dans une sorte de non-existence. Nous naissons, notre forme change et nous prenons forme humaine, nous naissons disons-nous, notre existence commence. Mais celle-ci n’est nullement séparée des générations antérieures, de ce que notre mère a mangé pour qu’on puisse grandir, nous ne naissons ni n’existons par nous-mêmes. Nous sommes une forme générée par de multiples conditions. Et à notre mort nous changeons encore de forme, nous redevenons comme avant notre naissance. Les termes existence et non-existence sont inséparables. Mais le Moi n’existe pas comme entité réelle et séparée, il est une construction factice de notre esprit, le problème réside dans le fait que nous nous y habituions.

Embrasser les contradictions, être capable de discerner dans tout la chose et son contraire simultanément, la joie et la tristesse, la vie et la mort, la victoire et la défaite, l’existence et la non-existence, la parole et le silence, l’action et l’immobilité, aller et venir, embrasser la non-dualité, aller au-delà de tout concept de dualité est essentiel pour comprendre un peu la logique de l’existence vue du zen.

Zazen 10: reconnaître l’illusion.

Gyalse Thogme Rinpoché :

Lorsque nous rencontrons des objets qui nous plaisent

Les voir comme des arcs en ciel en été

Ultimement non réels, mais magnifiques dans leur apparence

Et oubliant tout attachement

Est la pratique du bodhisattva.

Dilgo Khyentse Rinpoché : « Le monde extérieur et tous ses habitants sont tous impermanents. Votre esprit et votre corps sont ensemble pour le moment, mais l’esprit est comme un hôte, et le corps comme un hôtel dans lequel l’hôte ne restera qu’un instant. Lorsque vous comprenez vraiment cela, la réalité illusoire de vos ambitions ordinaires tombera, et vous réaliserez que la chose à faire qui a vraiment du sens, pour le présent et le futur, est de pratiquer le Dharma. »

Il n’y a rien de faux à aimer les choses qui sont magnifiques. Mais n’essayons pas de les attraper et de nous les approprier. Ce n’est pas « mon arc en ciel ». Un arc en ciel est là pour tout le monde et en partie sa beauté se trouve dans sa nature éphémère. Voyons toutes les choses comme des arcs en ciel. Ultimement ils ne sont pas réels. Nous pouvons seulement les apprécier, avec un esprit innocent, sans penser comme pour toutes choses « c’est à moi. » C’est là que le problème commence, nous ne possédons pas réellement les choses.

Nous savons que nous devrions tenir toutes choses de façon légère. Cela ne signifie pas que nous ne puissions rien avoir. Nous apprécions mais nous n’agrippons pas. C’est l’esprit de possession qui cause tant de peine. Seulement tenir les choses légèrement et doucement et les laisser toutes être ce qu’elles sont. C’est pourquoi la générosité est une qualité magnifique. Avec la générosité nous pouvons les laisser aller, nous pouvons nous les passer. Alors tout devient plus léger, notre vie devient plus légère.

Cela va des fois très vite, nous voyons un objet, dans la minute nous l’achetons et il est à nous, notre attitude a complètement changé.

Le monde moderne avec toutes ses incitations à l’achat, ses publicités arrive même à faire que les gens veuillent posséder des choses dont ils n’ont nul besoin, des vêtements à la dernière mode, ils se ruent sur le dernier téléphone portable, les soldes, bref, c’est vouloir posséder les choses. Tout cela pour satisfaire l’illusion de remplir les instants de son existence avec quelque chose que l’on puisse tenir dans ses mains et dire c’est à moi. C’est une illusion, un mirage, un peu comme des enfants qui regardent les vitrines à l’époque de Noël et désirent alors des jouets que le père Noël leur apportera, pensent-ils. Mais un jour les parents qui veulent le mieux pour leurs enfants, indépendance, prise de leurs propres décisions, responsabilité, en fait devenir adulte, leur diront que le père Noël n’existe pas.

Donc nous croyons que nous possédons réellement les choses, mais c’est uniquement par habitude. Que pourrions-nous posséder en propre, tout vient de notre Terre, les minéraux, les végétaux, les ressources naturelles comme l’eau. Nous pouvons en profiter légèrement et intelligemment mais non nous les approprier comme si elles étaient véritablement à nous de droit. C’est un véritable problème, vouloir tout posséder. Il vaut mieux se contenter avec joie de ce que l’on a.

Et voyons tous les objets comme des arcs en ciel, des mirages colorés, tous sont impermanents, et nous aussi sommes impermanents, ainsi nous pouvons simplement les apprécier, apprécier d’être vivants, et mener une vie plus légère.

Zazen 11: abandonner l’illusion.

Gyalse Thogme Rinpoché :

Les différentes formes de souffrance sont comme la mort d’un enfant dans un rêve

En nous attachant à nos perceptions illusoires

 Nous nous fatiguons

Par conséquent lorsque nous rencontrons des circonstances défavorables

Les voir comme des illusions

Est la pratique d’un bodhisattva.

Nous fabriquons notre propre réalité, et comme nous y croyons de façon désespérée, nous souffrons. Si nous pouvions juste voir tout ça comme un film. Parce que nous pensons que tout est réel, ne réalisant pas qu’au niveau ultime tout est une projection, nous souffrons. Mais tout n’est qu’un rêve. Nous vivons dans un rêve et nous devons nous éveiller. Le rêve de notre ignorance. Tout est comme un arc en ciel. Il est important de reconnaître la nature impermanente et illusoire de toutes choses.

Dilgo Khyentse Rinpoché : « Si vous avez contemplé la nature vide de tous les phénomènes lors de vos sessions de méditation il est plus facile de voir la nature du rêve de tous les phénomènes entre vos sessions. En même temps, vous sentirez un fleuve de compassion sans aucun effort envers ceux qui souffrent sans besoin parce qu’ils sont ignorants de la nature illusoire de toutes choses. »

Ce n’est pas que nous devenions sans sentiments et lointains, mais que nous commençons à voir les choses d’une perspective plus élevée. Nous devons avancer et veiller à ce que les difficultés et les tragédies ne deviennent pas le centre de notre vie et réaliser qu’au milieu du film de notre vie il n’y a pas qu’une seule scène. Les leçons de la vie nous font grandir, même si elles sont dures. Si tout était plaisant nous n’apprendrions rien. Sinon nous allons répéter les mêmes erreurs à nouveau jusqu’à ce que finalement nous apprenions. La meilleure façon de ne pas répéter les mêmes erreurs est de se souvenir que nos perceptions de la réalité sont profondément erronées. Si nous ne pouvons pas voir les choses telles qu’elles sont réalité, nous pouvons au moins nous souvenir que nous ne les voyons pas telles qu’elles sont en vérité.

Pour abandonner nos illusions, nous devons calmer notre esprit, nous devons mûrir, transformer nos habitudes, nos réponses habituelles. Pour cela nous avons besoin de retraites non seulement pour recharger nos batteries, mais pour faire face dans le calme aux mirages de nos pensées. Nous avons aussi besoin de choses qui nous donnent du plaisir, comme être ensemble ici pendant ce camp, boire un verre, nous remplir d’amour, rigoler. Il nous faut aussi rire parce que nous ne voulons pas nous prendre au sérieux. En tout il faut un équilibre.

Le mot bouddha veut dire éveillé. Il s’agit de nous éveiller, pas d’illumination à la Indiana Jones. Nous essayons de nous éveiller du monde de l’ignorance, de notre illusion, de ne pas voir les choses telles qu’elles sont. Toutes les écoles bouddhistes sont concernées par s’éveiller pour être libre et ouvrir son cœur pour embrasser tous les êtres avec bienveillance et compassion.

Quand nous voyons les choses telles qu’elles sont, il n’y a pas d’ego. L’ego crée le film dans lequel nous croyons, nous croyons qu’il est réel et nous nous y attachons. Quand nous réalisons que le film n’est qu’un film, nous n’y sommes plus attachés. Tout n’est que notre projection, ultimement ce n’est pas réel. Nous prenons plaisir au processus mais nous ne nous y attachons pas. Lorsque nous dépassons l’ego, l’attachement est l’attachement de l’ego, nous reconnaissons la nature ultime de l’esprit, et nous n’avons pas d’attachements et sommes libérés de la prison du samsara.

Zazen 12: s’examiner soi-même.

Nous devons regarder nos actions et notre esprit. Et voir nos problèmes. Notre véritable nature est en bonne santé, notre véritable nature est bouddha, mais nos pensées et nos émotions obscurcissent cette vérité. Et beaucoup de choses naissent dans l’obscurité.

Intellectuellement, nous pouvons probablement reconnaître le juste du faux, et la vérité de l’illusion. Mais à moins que nous n’appliquions pas cela en pratique tout le temps, il ne peut y avoir aucune libération. Nous devons amener par nous-mêmes notre esprit sauvage sous contrôle, personne d’autre ne peut le faire à notre place. Personne d’autre que nous ne peut savoir lorsque nous sommes tombés dans des illusions, et quand nous en sommes libérés. La seule façon est de voir dans notre esprit, comme si nous utilisions un miroir. Nous pouvons alors voir à chaque instant si oui ou non nos pensées sont en accord avec le Dharma.

Gyalse Thogme Rinpoché :

Lorsque des émotions deviennent habituelles

Il est difficile de s’en débarrasser avec des antidotes

Par conséquent avec attention et vigilance

Saisir l’arme de l’antidote et écraser l’attachement

Et toute autre émotion négative au moment où elle naît

Est la pratique d’un bodhisattva.

Nous devons développer une clarté de l’esprit à chaque instant et un esprit conscient de nos émotions habituelles dès qu’elles arrivent de telle façon que nous puissions les zapper avant qu’elles ne prennent de l’amplitude et explosent de leur manière habituelle dans des réponses peu habiles. Le Bouddha a dit que l’attention et l’observation attentive de son esprit est la Voie de la libération, la clé.

Lorsque nous sommes assis en zazen nous pouvons voir nos émotions venir et commencer à monter. Nous pouvons en être plus conscients et le plus conscients nous en sommes le plus facilement pourrons-nous dealer avec nos émotions négatives dès qu’elles arrivent. Dans le bouddhisme mahayana, on ne s’occupe guère des émotions. Pour cela il faut entrer un peu dans le vajrayana, les cinq énergies, ou cinq familles de Bouddha qui contiennent à la fois les aspects positifs des familles des Vainqueurs et aussi celles des agités du cerveau.

Nous devons faire attention à nos paroles. Avant de parler nous devons vérifier notre motivation, notre état d’esprit et être conscients de l’effet qu’elles peuvent avoir sur les autres. Des fois la parole la plus élevée est simplement le silence.

La plupart des guerres qui dévastent le monde ont été commencées par des insultes, des querelles, du ressentiment continu et des litanies perpétuelles, tout cela arrive par manque de patience et de tolérance, et par manque de connaissance de son esprit. Se connaître soi-même, dit Dogen, est abandonner soi-même et ainsi être accepté par toutes les existences.

Zazen 13: être conscient.

Gyalse Thogme Rinpoché :

En bref où que je sois, quoi que je fasse,

Etre continuellement conscient et alerte

Demandant: « Quel est l’état de mon esprit ? »

Et accomplir le bien pour les autres

Est la pratique d’un bodhisattva.

Dilgo Kyentse Rinpoché commente : « Chaque jour, contrôler dans quelle mesure vous appliquez les enseignements, combien de fois vous arrivez à contrôler votre esprit, et combien de fois vous tombez sous le pouvoir d’émotions négatives. Examiner votre progrès de cette façon vous aidera à diminuer votre lien aux préoccupations de cette vie, et augmentera votre confiance dans ces enseignements. »

Observer son esprit, et dès que des émotions dérangeantes se lèvent les arrêter immédiatement étant donné qu’elles vont heurter à la fois moi-même et les autres. En zazen, nous pouvons observer nos émotions, comme si nous étions assis dans un train et regardant ce qui se passe par la fenêtre. Nous pouvons reconnaître la notion totalement impermanente de toutes nos pensées conceptuelles. En même temps nous développons la qualité d’être conscients, d’être attentif à ce qui se passe dans notre esprit. Même dans toutes nos activités nous devons être attentifs à notre esprit.

Pour terminer ces conseils et cet enseignement de Tensin Palmo, une très grande lama, voici quelques mots que j’ai trouvés aussi dans son livre :

« L’essence de la pratique d’un bodhisattva est de transcender l’auto-attachement et de se dédier entièrement à servir les autres. C’est une pratique fondée sur votre esprit, plutôt que sur comment vos actions peuvent apparaître à l’extérieur. Une véritable générosité par conséquent, est de n’avoir aucun attachement ; une véritable discipline pour n’avoir que peu de désir ; et une patience véritable pour être sans colère. Les bodhisattvas peuvent même donner leur royaume, leur vie, parce qu’ils n’ont à l’intérieur pas le moindre sentiment de pauvreté ou de besoin et sont prêts à remplir ceux des autres de façon inconditionnelle. Ce n’est pas important comment vos actions paraissent à qui que ce soit d’autre, aucune apparence compassionnée n’est nécessaire. Ce dont vous avez besoin est un esprit pur. Un bodhisattva possède un amour impartial pour tous les êtres. »

Continuez tous votre pratique de zazen avec confiance, détermination et bienveillance. Pour les générations futures, pour notre Terre qui en a tellement besoin.

Bibliographie:

“The heart of compassion: the thirty-seven verses on the practice of a bodhisattva.”, commentaires de Dilgo Kyentse Rinpoché, texte original de Gyalse Thogme Sangpo.

Livre de la Vénérable Tenzin Palmo.

« Reflexions on a mouuntain lake. Teachings on practical Buddhism. » De Ani Tenzin Palmo. Shambala Publication, 2002.

« Cave in the snow » de Vicki Macenzie, Bloomsbury, London, 1998.