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La pratique de la réalité véritable (Wanshi)

Zazen 1

L’enseignement du Bouddha est destiné à ceux qui l’écoutent et le mettent en pratique. Ceux-ci sont appelés les nobles, ceux qui sont entrés dans le courant, d’où l’appellation de son premier enseignement : les quatre vérités des nobles. Celui-ci poursuit deux buts : la connaissance et la transformation. Il est destiné à transformer l’esprit, la vision des choses et de la vie. C’est un enseignement salvifique, utile, un moyen habile, comme le sont les quatre vérités, les paramitas et le chemin octuple. Pour les autres qui ne l’acceptent pas et ne le mettent pas en pratique, il ne sert à rien. Il en va de même pour tout enseignement. Il faut en tirer un enseignement efficace, l’enseignement de soi-même à soi-même.

Des fois certains prennent un enseignement offert comme une vérité immuable à la place de le considérer comme une aide sur le chemin de l’éveil, une aide à leur disposition et le contestent quand il ne correspond pas à ce qu’ils pensent, comme si celui-ci leur était imposé comme la seule vérité. Ainsi restent-ils dans le samsara au lieu de le considérer avec souplesse d’esprit, s’en questionner sur eux-mêmes et en tirer ce qui leur serait bénéfique pour changer leur façon de voir leur existence. A partir de l’enseignement de Bouddha il s’agit d’être actif, de travailler sur soi-même et non juste d’écouter le discours de quelqu’un d’autre. C’est alors le début de la transformation. Résister ou critiquer ne mène à rien, juste considérer cet enseignement et en tirer ce qui peut nous motiver dans le sens du bien et de l’éveil.

C’est également le sens des conseils pour la pratique de Wanshi :

« La pratique de la réalité véritable est simplement de s’asseoir sereinement dans l’observation silencieuse intérieure. Lorsque vous avez approfondi cela vous ne pouvez être perturbés par des causes et des conditions extérieures. Cet esprit vide, largement ouvert vous illumine de façon subtile et juste. Remplis de votre espace intérieur, soyez satisfaits, sans être perturbés par le désir d’agripper quelque chose, dépassez votre comportement habituel et réalisez la non possession de toute émotion. Vous devez avoir l’esprit large, entier, sans compter sur les autres. Un tel esprit de droiture et d’indépendance peut commencer à ne pas poursuivre des situations qui se dégradent. Vous pouvez résider dans cet état et devenir juste, pur et lucide. »

C’est à dire véritablement adulte. Wanshi parle d’un esprit de droiture et d’indépendance. En zazen la posture bien droite mais non figée nous transmet sans avoir besoin d’interagir volontairement, mais non sans effort naturel, un sentiment de droiture qui s’étend à tout notre être, silencieusement. Nous arrivons dans ce dojo avec notre comportement habituel mais dès le premier gassho de l’entrée nous pouvons oublier l’extérieur. Celui-ci n’a pas disparu comme par magie mais son influence sur nous se dissipe au profit d’une tranquillité d’esprit vivante et lumineuse à l’intérieur. Les mots ne peuvent pas entièrement expliquer une telle satisfaction, pure et lucide comme une transparence de l’être.

Un esprit large, entier, qui ne compte pas sur les autres pour lui paver le chemin qui mène à son éveil complet mais qui prend en ses propres mains l’enseignement bénéfique transmis par Bouddha et la responsabilité qu’il a de le mettre lui-même en pratique pour le bien de tous, est appelé un esprit indépendant, libre et mûr. Il est dit : un moine marche seul. Comment comprendre cela ?

A la fois ensemble et à la fois seul. Nous avons des compagnons de route qui eux-mêmes marchent seuls. Pour cela chacun doit-il grandir et devenir un être éveillé. A ce moment-là il n’y a plus enseignement mais transmission, il n’y a plus don du Dharma et écoute, mais interaction directe entre deux esprits pétillants de vie au sein d’un samsara partagé et lumineux.

Tout se renouvelle à chaque instant, nous ne restons jamais les mêmes alors même que nous avons de la difficulté à le voir. Notre éveil est un travail de chaque jour, c’est une pratique intégrée, faisons en sorte qu’elle reste fraîche, légère et ouverte à tous. Et souhaitons la même satisfaction, plénière, à tous. Au milieu de tout cela il y a, dit Wanshi : « La pratique de la réalité véritable est simplement de s’asseoir sereinement dans l’observation silencieuse intérieure. » Comme pendant cette journée au milieu de notre samsara. Transformons-le, changeons notre esprit, notre vision de notre existence, accordons notre vie à une vie d’éveil. Prenons tous cela dans nos mains et marchons sur nos propres pieds.

Si nous créons les bonnes conditions au sein de notre vie de chaque jour, l’éveil apparaîtra de lui-même et nous serons libres et satisfaits. Qui ne désirerait pas être libre et satisfait ?

Zazen 2

La pratique de zazen ne peut être considérée séparée de toute notre vie, ni séparée des autres. Ses bienfaits multiples, grands dans la droiture et l’indépendance, l’éthique, le don, la patience, sont à retransmettre et ne sont pas destinés dans le bouddhisme mahayana à être accumulés juste pour nous-mêmes. La roue du Dharma tourne quand nous-mêmes mettons en pratique dans le monde qui nous entoure les cadeaux que nous recevons par notre compréhension de la Loi transmise et l’enseignement immédiat que nous tirons des phénomènes auxquels nous sommes constamment exposés.

C’est ce qu’exprime Wanshi dans la suite de ses conseils :

« Alors vous pouvez immédiatement retourner à l’action, vous accorder avec toutes choses, faire face aux événements et les gérer. Cultivez et nourrissez-vous vous-même, de façon à établir solidement maturité et à réaliser stabilité. Si partout vous vous trouvez en accord avec une parfaite clarté et si vous faites preuve de souplesse sans être dépendants de doctrines, comme le buffle blanc ou le chat sauvage, vous pouvez être appelés une personne à part entière. Ainsi entendons-nous que la voie de la non pensée agit, mais avant de la réaliser nous-même, nous nous trouverons encore face à de grandes difficultés. »

Comment alors faire passer toute notre expérience de zazen dans notre vie de tous les jours ? Quelles sont les bonnes conditions à créer ?

Dogen passait toutes ses journées dans son temple et donc pratiquait beaucoup, en plus avec de longues sesshins et angos. Avec une telle fréquence d’assise de bouddha on peut comprendre que sa pratique de zazen agissait automatiquement et naturellement sur son esprit. Par ailleurs il travaillait son enseignement et joignait donc l’étude au zazen. Il devait également régler tous les phénomènes inhérents à un monastère.

Nous avons une vie différente, à une autre époque également ainsi les conditions pour nous ne sont pas les mêmes et nous devons être attentifs à protéger notre pratique. Je vous raconte une histoire « Le petit arpent du Bon Dieu », selon le livre de Caldwell. Je me souviens ma sœur Renée me la racontait des fois dans mon enfance.

Un pauvre planteur de coton, pieux et même superstitieux, a sacrifié un arpent de sa terre pour le bon Dieu de façon à s’assurer la bienveillance du ciel. Tout ce qui y sera récolté ira pour l’Eglise. Mais le ciel n’aime pas cette sorte de marchandage. On est dans le vieux sud des Etats-Unis. D’autre part il est certain de pouvoir trouver dans ses terres un vieux tas d’or enterré par son ancêtre. Alors pendant quinze ans, lui, ses fils, creusent d’énormes trous dans leurs champs de coton au lieu de les cultiver et les négligent. Ils ne trouvent rien mais continuent avec leur espoir avide de trouver cet or. Seulement ils sont gênés par le « petit arpent de Dieu », ce lopin de terre consacrée, si bien que dans leur recherche ils le déplacent constamment pour pouvoir creuser un trou dans cette partie du terrain. Le petit arpent, baladé de part et d’autre au gré de leur empressement donc ne produit plus rien et finalement leurs terres truffées de trous non plus. Alors le ciel n’aime pas cela et à la fin ils terminent dans la misère et les luttes familiales.

Ne soyons pas du tout comme ce planteur de coton à déplacer constamment le temps de notre pratique. Mais au contraire cultivons-le, qu’il donne de bonnes récoltes, abondantes que nous pourrons redistribuer. Concilier avec responsabilité sa famille, ses proches, le travail, notre énergie, des obligations mondaines des fois inévitables, avec notre pratique est appelé la Voie difficile. Nous serons donc constamment en face de difficultés auxquelles nous devrons faire face. Tirons l’enseignement de notre alternance entre le silence du zazen et l’action journalière, entre l’assise des bouddhas et la vie d’un bodhisattva. C’est également une question de décision, de prendre la décision juste, rapidement, sans commencer à hésiter, à douter et ne pas relâcher nos efforts car notre discipline peut s’émousser sans que nous nous en rendions compte. Une locomotive qui n’est plus chargée de charbon va continuer sur les rails pendant un certain temps, mais à la fin elle s’arrêtera inexorablement. Il nous faut donc porter une grande attention à notre éthique, à notre régularité.

Dans un monde occidental où tout a tendance à devenir de plus en plus organisé vers la facilité, pour ceux qui arrivent à assurer leurs besoins fondamentaux, restons vigilants sur notre pratique, avec courage, sagesse et discernement.

La Voie des bouddhas est ouverte, ne créons pas d’écueils, mais au contraire facilitons les choses, nous en sommes entièrement responsables. C’est devenir un être humain à part entière, toucher une maturité et réaliser notre stabilité. Le temps de notre vie n’est pas infini, il n’est même pas si long que ça, rapidement la flèche lancée retombe, alors qu’elle touche sa cible sinon perdre son temps n’est utile à personne. S’éveiller, s’éveiller à chaque instant est le véritable sel de notre existence. Sans celui-ci elle risque de rester fade. Gardons notre foi dans le zazen intacte, c’est tout cela que je nous souhaite dans cette nouvelle année qui sera pour nous ce que nous en ferons. Nous sommes les seuls maîtres de notre esprit.

« Passez devant, devenez maîtres », disait Etienne Mokusho Zeisler. Maîtres de vous-mêmes, englobant à la fois sagesse et compassion.

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