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La hutte au toit de paille (Sekito).

Zazen 1

Sekito a vécu de l’an 700 à l’an 790, donc il a vécu très, très vieux. C’était l’époque de la dynastie des Tang en Chine dont la capitale était Xi’an. La dynastie des Tang s’est éteinte en 907, donc bien plus tard après la mort de Sekito. Cette période a eu une influence majeure dans le bouddhisme en Chine, avec également l’influence du Tao et de l’enseignement de Confucius. Seulement en 845 sous l’empereur Wu Zong, il y a eu des purges monstres. L’empereur décida qu’il y avait dans l’empire beaucoup trop de moines qui en fait ne faisaient rien et devaient être nourris par la population paysanne. Il a même dit que c’était la pire catastrophe de l’empire. Donc il a renvoyé 260’000 moines dans le monde séculier et il a fermé 4’600 monastères. A partir de là bien sûr le bouddhisme a perdu son influence et son statut dominant en Chine. Mais à l’époque de Sekito ce n’était pas encore le cas.

Sekito est l’unique successeur de Seigen. Le sixième patriarche Eno, Hui Neng, a eu deux successeurs principaux, Seigen qui est l’ancêtre de toute la lignée soto et Nangaku de la lignée Lin-chi ou Rinzaï. Le nom chinois de Sekito était Shitou Kisen, ce qui veut dire « le moine du rocher ». La raison en était qu’il s’était installé sur un rocher à 800 mètres du temple de Nangaku, le disciple d’Eno. Alors évidemment Nangaku a envoyé l’un de ses moines en lui disant : « Va voir là-bas le gars qui s’est installé sur son rocher et tu lui diras : Eh toi ! Moine à la grande gueule comment oses-tu te poser ici ? » Sekito était en zazen sur son rocher et il lui dit : « Ecoute toi, tu peux gueuler et te lamenter autant que tu veux, tu ne pourras pas traverser cette montagne. » Alors le moine est retourné vers Nangaku et lui a dit ça, et Nangaku a dit : « Bon, il semble que nous avons dans la région un moine solide. »

Sekito a vécu longtemps en fait solitaire. Quand il était encore avec Seigen, il lui posait beaucoup de questions. Nous faisons des mondo mais il y a peu de gens qui posent des questions tandis que Sekito discutait beaucoup avec Seigen. Une fois Seigen lui a répondu : « Je ne suis pas hésitant à te répondre quelque chose mais tu dois avoir la chance de faire toi-même l’expérience de ton véritable être. » D’une certaine façon il a dit à Sekito : «  Arrête d’être un auditeur qui pense qu’il va apprendre le zen par la voix de quelqu’un d’autre. Tu dois faire tes expériences toi-même. »

Sekito fut un des plus grands maîtres du Chan en Chine. C’est lui qui a écrit le Sandokai. Il a aussi écrit un poème « Le chant de la hutte au toit de paille. » C’est très poétique et c’est un enseignement simple. Je désirais que nous le regardions ensemble pendant cette période du camp d’été.

Cela commence ainsi :

J’ai construit une hutte au toit de paille où il n’y a rien de valeur.

Après manger, je me détends et fais un somme.

Lorsque la hutte fut achevée, des pousses apparurent.
Maintenant la mauvaise herbe recouvre tout.

Lors d’une sesshin qu’il dirigea en Suède en 1988, Etienne fit des commentaires sur ce poème, auxquels j’ajouterai quelques considérations. Une hutte au toit de paille dans laquelle il n’y a rien de valeur. Sekito y mange, y dort, apparemment on a l’impression qu’il ne fait rien d’autre, tranquille et les mauvaises herbes recouvrent la hutte. Etienne dit : « Une hutte, une simple hutte, c’est une petite maison simple, la moins chère des maisons. » En Colombie aussi des fois dans la campagne on voit des maisons qui sont faites de branches et de terre prise dans les branches. Donc c’est la maison la plus simple, à l’image de la posture de zazen.

Etienne dit : « Les gens ordinaires vivent dans le monde – nous aussi nous vivons dans le monde et nous sommes aussi des gens ordinaires – et le moine vit avec ses vœux de bodhisattva et zazen – et comme moines nous vivons aussi avec nos vœux de bodhisattva et zazen. Et cela est le sens de vivre dans une simple hutte de paille. »

Sekito dit qu’il n’y a rien de valeur dans sa hutte, il n’y a rien de valeur pour le monde, pour l’aspect mondain. Evidemment il n’avait pas de portable, pas d’ordinateur, pas de courant électrique, pas de toilettes et je pense qu’il devait avoir un unique habit, un kolomo ou une samu-e. Probablement il avait mis de la paille par terre. De quoi se nourrissait-il on ne le sait pas. On est là dans la vie la plus simple. Il n’avait pas besoin d’une religion avec beaucoup de décorations, pour la majorité des gens il n’y avait vraiment rien de valeur. Donc Sekito qui était l’un des plus grands maîtres de la Chine a vécu longtemps dans cette hutte. A la fin il a accepté de diriger un temple mais ce n’était vraiment pas son obsession. Et il a laissé les mauvaises herbes recouvrir la hutte, l’herbe fait partie de la nature. En plus si la hutte était couverte d’herbes, cela empêchait la pluie de couler à l’intérieur.

Bien sûr le sens de tout cela est également symbolique. Personne n’était là avec un appareil de photos pour prendre une photo de Sekito dans sa hutte. Il faut aussi voir les choses différemment sinon on a le sentiment que Sekito restait là juste peinard sans rien faire alors qu’un bodhisattva fait le vœu d’aider le monde même si son désir est de rester tranquille dans une hutte de paille. Qui n’a pas rêvé d’un ermitage où il serait finalement tranquille ? Avec la nature, peut-être de l’eau de source, les saisons, les oiseaux, le ciel. Le bodhisattva vit avec ses vœux de bodhisattva alors même qu’il voudrait rester tranquille. Là au milieu sa vie est alors semblable à cet abri vulnérable et transitoire couvert de mauvaises herbes.

Aujourd’hui, ou dans plusieurs années cela dépend de l’âge que vous avez, chacun verra que tout ce qu’il a construit, tout ce qu’il a cru construire d’important et de durable, n’est guère plus stable et durable que la hutte de paille de Sekito.

Les mauvaises herbes recouvrent la hutte et à la fin il n’est même plus possible de distinguer la hutte des herbes.  C’est les illusions. Le monde du samsara dans lequel même si on n’aime pas les mauvaises herbes, elles poussent et même si on aime beaucoup les belles fleurs elles finissent par se faner, voyez-vous. On ne voit plus que les herbes et la hutte, les deux se mélangent, les illusions, les tribulations du samsara, c’est à dire les phénomènes de tous les jours renaissent toujours. On ne peut pas passer sa vie en étant assis sur la montagne mais en même temps on s’assied également sur la montagne. Donc la hutte, les mauvaises herbes, les illusions, le samsara, le satori ne sont pas séparés. Sekito reste tranquille et calme même quand les herbes recouvrent sa hutte, c’est à dire quand les illusions recouvrent son esprit. Tout cela reste simple.

Il dit : il n’y a rien de valeur dans la hutte. On comprend bien quand même là que pour Sekito il y a des choses de grande valeur mais ce ne sont ni les murs, ni le toit de sa maison, ni son lit de branchages, il est habité de valeurs qu’il va essayer d’exprimer poétiquement dans ce poème. Sekito qui est un vieil homme va dire que sa foi de bodhisattva, sa foi absolue, c’est à dire sa confiance absolue illumine entièrement sa hutte et le monde.

Alors rien de valeur ? Qu’avons-nous de valeur dans notre vie ? Etienne disait : « Le zen c’est la vie. » Quelle est la valeur de notre vie ? Une Ferrari GTO, un modèle très rare de collection et très cher, quelle est ce que nous considérons la valeur ultime. C’est impossible à exprimer vraiment pourtant les bodhisattvas, tous les pratiquants du bouddha-dharma qui cheminent sur la Voie du bodhisattva connaissent intimement la valeur de leur vie. Ils n’ont plus besoin de s’épuiser à la chercher. Elle se trouve là où il n’y a rien de valeur mondaine, là où il n’y a rien à s’attacher comme une simple hutte, c’est comme mushotoku, comme zazen, une simple posture, une vie au sein de l’ordre des choses dans laquelle la mauvaise herbe pousse, où la petite hutte est fragile. Aussi faut-il une détermination, une confiance et une grande bravoure pour continuer la marche héroïque du bodhisattva au sein d’un monde de plus en plus vulnérable.

Très peu de gens peuvent effleurer une vie éveillée dans laquelle ils vont voir pour tout le monde quelle est la valeur la plus haute. Tout le reste finira par disparaître et n’a guère de valeur en comparaison de vivre selon les vœux du bodhisattva.

Zazen 2

Dans la hutte au toit de paille, en paix, vous pouvez comprendre intuitivement qu’il n’y a rien de valeur. Mais aussi comment comprendre, comment exprimer que la hutte de paille, dans son grand dépouillement, ait une grande valeur ? Comment exprimer la valeur de zazen, qui n’a aucune valeur ? Comment exprimer notre dimension la plus élevée ? C’est la vie, lorsque nous suivons le mouvement de la vie. C’est notre esprit lui-même, non pas l’esprit que nous pouvons observer. On ne peut attraper l’esprit qui observe l’esprit, c’est comme la vie elle-même, la posture de notre corps elle-même, notre respiration elle-même.

Etienne dit : « Vous sentez au fond de vous-mêmes cette aisance, la liberté de l’esprit, de l’esprit profond. »

Cet esprit est sans objet, libre de toute valeur matérielle. Cet esprit-là a une grande valeur pour l’humanité. Il ne s’attache à rien, ne recherche aucun profit, ne s’arrête pas sur les choses. Comprenez combien l’esprit paisible de zazen, que l’on va répandre autour de soi, est un esprit qui est très important pour l’humanité dans un monde dominé par le profit, l’extraction sans fin des ressources naturelles. Sans changer l’esprit on ne peut pas comprendre qu’une grande tour de New York ne possède en fait pas plus de valeur qu’une hutte de paille. Nous devons appliquer, pratiquer tout cela nous-mêmes. L’enseignement de Bouddha n’est pas pour les autres, il est pour nous-mêmes d’abord. Ensuite naturellement, lorsque l’on en est rempli, alors cet esprit de don, de liberté pour tous va déborder de nous-mêmes. Mais si vous courez après, si vous recherchez cet esprit-là, comme pour vouloir s’accrocher à une bouée, si vous courez après cette paix pour vous-mêmes uniquement alors elle devient seulement artificielle.

En plus vous comprenez que les mauvaises herbes, les illusions n’ont aucune valeur. Si vous prenez un tableau que personne ne connaît et vous demandez combien il coûte, le tableau est inconnu, il n’a aucune valeur marchande. Si on comprend qu’on a bien des choses mais que rien ne nous appartient alors la vie devient plus facile. Elle devient plus libre, l’esprit devient plus léger, notre façon de voir les choses devient plus transparente et alors on peut faire de son mieux pour pratiquer les vœux du bodhisattva.

Le prochain verset que nous verrons plus tard est :

L’homme dans la hutte y vit paisiblement

Sans attaches ni au dedans ni au dehors

Là où vivent les gens ordinaires il ne veut pas vivre,
Ce qu’aiment les gens ordinaires il ne l’aime pas.

Zazen 3

Donc Sekito dit : « Une hutte de paille. L’homme dans la hutte y vit paisiblement sans attaches ni au dedans ni au dehors. L’endroit où les gens ordinaires aiment vivre il n’aime pas y vivre. Ce que les gens ordinaires aiment, il ne l’aime pas. » Le zen c’est pratiquer soi-même, s’adresser à soi-même. Bien sûr on peut parler aux autres mais il faut le faire comme en s’adressant à soi-même. En ce sens il ne s’agit pas de dire « tu » ou « vous » mais « nous », avec. C’est également faire face à ses responsabilités. On a toujours des responsabilités, on ne peut pas avoir des libertés sans faire face à sa responsabilité. Il nous faut donc coller à la vérité, à la réalité. L’homme est sans attaches ni au dedans, ni au dehors. Les gens croient qu’ils peuvent apprendre le zen des autres comme s’ils allaient à l’école, comme s’ils faisaient un stage très cher de pleine conscience ou suivre des cours de zen. Fondamentalement il faut comprendre que le miroir du zen est notre vie. Il s’agit donc toujours d’en faire l’expérience nous-mêmes. Inutile de se comparer aux autres : de toutes façons au fond de votre esprit vous ne pouvez pas questionner qui que ce soit.

Sans attaches à l’intérieur. Vous savez bien que tant que nous restons attachés ne serait-ce qu’un peu attachés à nous-mêmes, en pensées, en actes, pour notre propre sécurité, pour nous rassurer de tout, pour nous protéger, pour essayer de vivre l’illusion où rien ne bouge, et que tout va bien, tant que nous fonctionnons comme cela, c’est la dimension mondaine. Il n’y a pas de place pour le bodhisattva. Evidemment tout change, cela dépend des jours, le temps passe comme une flèche. Le temps passé n’est pas plus long qu’une fraction de secondes. La plupart d’entre vous sont jeunes, plus tard dans la vie arrive le moment où il ne s’agit plus simplement de réfléchir à l’impermanence, l’impermanence est vécue, la vieillesse arrive, c’est comme ça. Et là bien entendu si on s’attache aux jours qui passent, c’est le samsara, c’est le monde de la souffrance. Que la vieillesse arrive c’est la loi, que le temps passe comme une flèche on ne peut rien y faire, même si on veut retenir les choses tout change, nous-mêmes changeons. Les enfants grandissent, on ne s’en aperçoit même pas, et hop tout à coup ils nous cassent les pieds avec leur adolescence. Ils étaient petits et voilà maintenant ils sont grands. Pas tout à fait à vrai dire.

On ne peut pas se protéger contre la vie c’est une illusion. Par exemple je rentre de Sharm el Cheikh tout va bien, je suis peinard, je suis tout seul, je descend, je tourne la clé de la voiture : rien. C’est une toute petite chose. Sur le moment je ne suis pas resté serein, je peux vous le dire. Il y a toujours – en anglais on dirait des « scavengers » – c’est à dire il y a toujours des interruptions, comme un oiseau, une frégate qui plonge et qui vole le poisson. Alors les pensées remontent. Au milieu de tout cela, l’esprit, l’homme de la hutte, lui vit paisiblement.

Vivre sans attaches n’est pas avoir l’illusion de vivre sur une île déserte en mangeant une demi noix de coco par jour. Maître Wanshi dit : « C’est se mélanger naturellement à la foule du marché. » Se mélanger avec tout le monde, faire face aux circonstances et savoir intimement qu’il n’y a rien qui puisse être permanent, même pas notre vie. L’acceptation, la compréhension de l’impermanence, est peut-être la chose la plus difficile, c’est là qu’on s’approche de la grande sagesse.

Sekito dit aussi qu’il n’aime pas vivre dans les endroits où les gens ordinaires aiment vivre. Il ne faut pas penser que les gens ordinaires – quand on parle de gens ordinaires – sont simplement des « moldus », sans pouvoirs magiques et idiots. Les gens ordinaires, c’est tout le monde, les moines aussi sont des gens ordinaires. Etienne dit : « Du point de vue ordinaire le moine fait les mêmes actions qu’un travailleur ordinaire mais l’état d’esprit est différent. L’esprit illumine les phénomènes, il crée la vraie valeur. Chez les gens ordinaires c’est le contraire ils demandent toujours aux phénomènes d’éclairer la vie. » Dans le monde ordinaire les gens demandent à leur smartphone, à l’argent, à leurs propriétés, à leurs distractions. Tout cela est sans existence. Ils demandent à ce monde absurde et superficiel d’illuminer leur vie, de la rendre intéressante. Alors cela devient une distraction après une autre où les gens pensent que c’est ce qui va venir de l’extérieur pour eux qui va illuminer leur vie.

Pour les moines, les pratiquants de zazen c’est différent, c’est l’esprit de Bouddha, l’esprit des vœux du bodhisattva, l’esprit du corps et de la pratique religieuse, c’est le fond de leur esprit qui illumine les phénomènes. Ils ne sont donc pas attachés aux phénomènes extérieurs. Mais en apparence les moines sont aussi des gens ordinaires et quand on regarde les gens on ne voit pas de différence. Par exemple les gakis et les moines prennent le même tram à Genève, mais d’une certaine façon le moine illumine le tram.

Il y a aussi les gakis de la méditation. Ils veulent obtenir pour eux-mêmes le bien-être, la liberté et veulent se protéger par la méditation ou alors espèrent devenir quelqu’un d’autre. Ils ne voient pas que le zazen est la pratique complète des Bouddhas. Il est bien d’aimer le véritable enseignement, l’enseignement du don, de la liberté. C’est plus compliqué la question de la liberté car si quelqu’un dit : je veux la liberté, il est semblable à un prisonnier qui tourne en rond dans sa cellule. Simplement être libre, avoir l’esprit souple et libre, surtout dans le zen éliminez tout dogmatisme. C’est pour cela que c’est une hutte de paille et non un immeuble en béton.

La hutte de paille c’est comme dans l’histoire des trois petits cochons. Un jour de grand vent les pailles commencent à s’envoler. Tout ce que l’on a finira un jour par disparaître peut-être même que la hutte de paille sera emmenée par une tempête. Alors une hutte de paille, on peut la reconstruire. Mais à ce moment-là à nouveau l’homme dans la hutte vit paisiblement. Il ne faudrait pas voir que le Sekito dans sa hutte de paille s’intéressait uniquement à être peinard dans sa hutte, il voyait aussi beaucoup de gens qui venaient, qui profitaient de sa sagesse, il était ouvert au monde. Et sa hutte n’avait pas de porte.

Donc tout ceci c’est un poème sur l’esprit, l’esprit de la hutte de paille, l’esprit du moine paisible, l’esprit des phénomènes qui passent et repassent sans aucune existence propre. L’esprit qui illumine les phénomènes et donc crée une grande valeur en illuminant chaque chose par la pratique de Bouddha. Il ne s’agit pas se renfrogner sur soi-même, mais au contraire de s’ouvrir. Aussi en zazen ouvrez bien les épaules, ne vous lanternez pas sur vous-mêmes, laissez passer et soyez heureux d’avoir pu découvrir une véritable pratique religieuse du corps et de l’esprit. Ceci est la grande valeur. Si vous regardez au fond de vous-même vous verrez bien que le reste est évidemment absurde.

Zazen 4

Il dit : « Même si cette hutte, cette maison est petite, elle contient tout l’univers. Sur un mètre carré, un vieil homme illumine les formes et leur essence. » Et donc même si notre sangha est petite, elle contient tout l’univers du zen. Un mètre carré est la surface nécessaire pour être assis en zazen, la dimension des zafutons que nous avons. Et ainsi chaque homme, femme aussi bien sûr, de son zafuton, de son zafu, avec sa pratique de Bouddha illumine les formes et leur essence, en chaque instant. En zazen notre esprit devient très vaste et nous pouvons réaliser simplement que l’univers et nous-mêmes avons la même racine. Nous venons tous de la même graine, nous venons tous de la vacuité. Retrouver cette racine première. Bien que nous ne pouvions pas véritablement remonter à notre origine, on ne peut pas remonter à l’origine de la rencontre du spermatozoïde et de l’ovule, ni à l’origine du monde, en zazen maintenant nous pouvons ressentir que notre origine est ici et maintenant à chaque instant.

Dans le zen tout est forme, rien n’existe uniquement par lui-même. Nous illuminons toutes les existences, car aucune d’entre elles n’est séparée. Si vous tendez un fil d’acier tout autour de la terre et si tout le monde tient le fil, si vous tirez dessus à un bout tout le monde va le sentir. Deshimaru disait : votre pratique influence, illumine, tout le système cosmique. On peut voir ça de deux façons, car bien entendu lorsqu‘on entend la phrase « nous illuminons tout le système cosmique » on pense selon le mode mondain qu’on va pas avoir beaucoup d’influence sur les étoiles lointaines. Mais il faut voir les choses un peu différemment : comment illumine-t-on l’humanité, la totalité des choses ?

La première façon est que si vous jetez un caillou dans un lac, ou même dans la mer mais c’est plus facile de le voir avec un lac, cela va produire des petites vagues. Elles sont petites mais c’est toujours des vagues et ces vagues aussi petites soient-elles finiront de toute façon par atteindre le rivage, aussi lointain soit-il.

La deuxième façon est de bien voir l’interdépendance de toutes choses. Vous savez peut-être qu’en physique quantique il y a une interdépendance immédiate entre certains phénomènes. Comme par exemple si vous tirez sur le fil d’acier d’un mètre, au bout de dizaine de milliers de kilomètres, bien que ce soit très, très loin, le fil d’acier va bouger d’un mètre. Ainsi sommes-nous connectés à toutes choses. Toute cette interdépendance est une réalité. Quand on parle de système cosmique les gens commencent à croire qu’on parle mystique mais non, l’univers et nous-mêmes avons la même racine. Et donc automatiquement tout ce que nous faisons influence, change, l’univers.

L’homme dans sa hutte de paille où il n’y a rien de valeur illumine de son esprit toutes choses, c’est à dire qu’à la place que tout le monde se batte, vende des choses et essaie d’exploiter le restant de l’humanité, au milieu de tout cela il y a un homme dans sa hutte de paille qui ne fait aucun mal et qui est joyeux dans sa hutte. Alors il illumine tous les phénomènes, toutes les choses et leur essence. L’essence des choses ne peut être attrapé. Tout cela est comme un phare qui illumine les nuages. C’est là qu’il faut avoir la foi, c’est à dire la confiance que notre pratique illumine. Comme nous la dédions à tous les êtres, comme les Bouddhas, on les illumine. Personne ne va comprendre cela de façon consciente. C’est comme si vous avez un tableau tout gris, et vous venez avec un pinceau et de la peinture jaune et en haut à gauche vous faites un petit rond comme un soleil, ce n’est plus le même tableau.

Que font les Bouddhas quand ils sont devenus Bouddhas ? Ils ne se disent pas c’est bon j’ai fait le tour de la question, ils continuent leur pratique de Bouddhas pour faire mûrir les êtres. Sekito ne devait plus être très jeune puisqu’il dit le vieil homme illumine les formes et leur essence. Ce n’était pas forcément qu’il était un vieux, mais son expérience, sa connexion avec le monde de maintenant et le monde très ancien, faisait que c’était comme s’il était né il y a très, très longtemps.

On revient alors à cette maison toute petite, cette hutte, on peut revenir aussi au zafuton d’un mètre carré sur lequel vous êtes assis, maintenant ce mètre carré contient tout votre univers. Je vous pose alors la question : vous manque-t-il quelque chose ? Ainsi tout est là et comme tout est là c’est aussi ce tout là que nous illuminons, y compris nous-mêmes. Pas besoin d’aller chercher à Alpha du Centaure. Nous illuminons notre monde. Voyez-vous, quelqu’un qui n’illumine pas son monde, qui n’illumine pas le monde de son esprit alors dans sa vie il ne lui reste que de l’ombre. Aussi sur ce simple mètre carré, par notre posture, notre respiration et toutes ces choses que l’on ne peut pas saisir mais que l’on peut ressentir vraiment dans notre corps et notre esprit, dans cet instant nous illuminons notre vie. A chaque instant nous pouvons illuminer notre vie.

Dogen dit : « se connaître soi-même », c’est illuminer sa vie, s’oublier soi-même c’est faire le don de cette lumière à tout le monde. A ce moment-là nous sommes certifiés par la totalité, car la totalité va recevoir cette lumière aussi petite soit-elle. Dans le cas de cette illumination il n’y a pas de petit ou grand, tout cela fait partie de dai. Dai cela veut dire grand, grand sans comparaison, l’esprit grand, daishin. Et avec cela nous illuminons notre monde et il n’y a pas de fossé entre le monde et notre monde.

Vous comprenez que ce n’est pas la hutte en elle-même qui a de la valeur ou ce qu’il y a dedans, le zafuton, le zafu, on les aime bien mais ce ne sont pas eux qui ont de la valeur, c’est l’être humain assis dessus avec son esprit de Bouddha qui donne de la valeur à cette pratique et qui est rempli d’une joie tranquille.

Zazen 5

A ce stade du poème Sekito nous transperce avec la phrase suivante. C’est comme enfoncer un clou d’un seul coup de marteau et cela fait tenir toutes les pièces ensemble. Il dit : « Le bodhisattva du Grand Véhicule a une foi absolue. » La foi vient de fides, la confiance. Le bodhisattva du Grand Véhicule a une confiance absolue. Ce n’est pas une petite confiance, une petite foi ni une grande foi. Elle ne se compare donc à rien, on ne va pas comparer la foi de quelqu’un avec celle de quelqu’un d’autre. Penser : oui mais moi j’ai plus de foi que toi ouvre déjà les portes de l’enfer. Il dit : il a une foi absolue. Il n’y a pas de discussion là-dessus, la foi, la confiance, la détermination est absolue. On peut dire : oui mais pourquoi c’est comme ça ? C’est comme ça. On peut dire quand même que le bodhisattva du mahayana a une confiance absolue dans sa pratique de zazen, il a une foi absolue dans sa détermination, il a une foi absolue dans l’enseignement inaudible, dans son silence intérieur, la foi dans la vie, dans le Dharma, le Bouddha et la sangha.

C’est à partir de cette foi absolue qu’il est évident qu’il illumine alors son univers et le monde entier.

Etienne dit à ce propos : « Le bodhisattva pratique avec sa seule détermination, sa seule conviction comme une flèche qui décoche et file dans une seule direction. Il devient ainsi réellement libre et sans inquiétude. C’est la grande Voie du mahayana : le bodhisattva du Grand Véhicule a une foi absolue. » Et la foi absolue dit Etienne est quand zazen est meilleur que n’importe quoi d’autre.

Sans cette foi absolue, tout ce qu’on peut dire n’est que des mots. L’univers et moi avons la même racine. La flèche file vers la cible. En zazen chacun peut comprendre ce que veut dire absolu.

Zazen 6

Quelques mots sur le kesa. Comme il va y avoir une remise de kesa, c’est l’occasion de parler du kesa.

Tout d’abord quelle est l’origine du kesa ? Cela vient des disciples du Bouddha. Un jour ils vinrent vers le Bouddha et lui dirent : quand on fait notre tournée d’aumônes ou qu’on parle aux gens, personne ne nous reconnaît, personne ne voit que nous sommes les disciples du Bouddha. Il nous faudrait quelque chose qui nous distingue, un habit par exemple. Le vêtement qu’alors le Bouddha a conçu est le kesa. En premier le kesa est l’habit de la sangha du Bouddha. Et encore aujourd’hui le kesa identifie l’habit de la sangha du Bouddha.

Comment le faire cet habit des moines du Bouddha ? A cette époque les moines ne possédaient rien, il fallait trouver du tissu. Et comme ils ne possédaient rien il fallait qu’ils trouvent des tissus dont personne ne voulait et donc des tissus qui étaient rejetés par tout le monde. Souvent on parle des linceuls, les tissus qui enveloppaient les morts ou les tissus jetés dans la rue, des tissus qui n’avaient aucune valeur. Le Bouddha dit donc : prenons ces tissus qui n’ont aucune valeur, ces bouts de tissu. On va les coudre ensemble et avec cela on va faire l’habit du moine. Il est dit que le Bouddha voyant les champs de riz, les carrés, les rectangles, dit que la nature que nous voyons nous dit comment mettre les pièces ensemble.

Comme ces tissus n’étaient souvent pas en très bon état il fallait les laver et les teindre au départ d’une couleur de la terre et les coudre ensemble. Et comme ils allaient les porter tous les jours, il fallait que ce soit cousu de façon solide. Comme disait maître André Messner : « Le tissu passe, les coutures tiennent. » Les points du kesa rappellent également les grains de riz. C’était vital pour eux, ils mangeaient du riz qui était la nourriture de leur vie, ce qui leur permettait de rester vivants. Ils ont fait donc des points pour coudre le kesa, on dit qu’ils ressemblaient à cela. Cet habit de la sangha du Bouddha est resté ainsi et est devenu la marque de la sangha du Bouddha.

A cette époque le kesa le plus précieux était celui que le Bouddha portait lui-même et il est dit que ce kesa a été transmis lors des générations. C’est ce qui est dit : apparemment le kesa originel a été transmis jusqu’à Eno. Ensuite les kesa sont devenus pour chacun. Au départ ce kesa était transmis et donc le kesa est la transmission et la transmission est le kesa. L’autre chose que l’on dit lorsqu’on remet le kesa, on ne le dit pas mais on le sait, est que si quelqu’un porte le kesa il trouvera alors toujours à s’habiller. Et jusqu’à aujourd’hui les kesa sont transmis.

On parlait de la foi absolue. On englobe donc dans notre foi absolue la vérité de la transmission du kesa et de l’influence qu’il va avoir sur nous-mêmes et sur les autres. Lorsqu’on porte le kesa, par exemple l’esprit du voleur disparaît. L’esprit d’égoïsme s’évanouit. En zazen l’enveloppe du kesa est comme la couverture invisible de notre corps. Le kesa est né en Inde avec le Bouddha, il a été transmis en Chine, transmis au Japon et en Europe. Sont conservés à Eihei-ji peut-être les restes ou quelques bouts, je ne sais pas parce qu’on ne peut pas le voir, du kesa de Dogen.

On traite toujours le kesa avec respect, car c’est le respect de la sangha de Bouddha, le respect de tout ce qui s’est transmis. C’est aussi l’habit que l’on revêt pour le zazen. C’est à la fois quelque chose qui nous appartient, tout en sachant également qu’en fait il appartient à toute la sangha du Bouddha. Par exemple pour le rakusu et le kesa on doit toujours savoir où ils sont. Le rakusu est le kesa de voyage qu’un moine a toujours avec lui d’où l’importance qu’il sache à chaque instant où il est sinon il va le perdre.

A l’époque moderne la façon de coudre le kesa de façon traditionnelle a été reprise par Kodo Sawaki. Dans la lignée de Kodo Sawaki à laquelle nous appartenons les kesa comme au temps de Bouddha sont cousus à la main. Cela demande beaucoup de patience, beaucoup d’attention et un jour le kesa est terminé. Il représente aussi toute la dévotion de la personne qui l’a cousu et fait partie d’elle-même. Dans le zen l’enseignement de Kodo Sawaki et de Deshimaru est très axé sur deux choses : le zazen et le kesa et donc ils vont ensemble. Nous n’avons pas de kesa spéciaux pour les cérémonies, tous les kesa sont de taille un peu différente, de couleur un peu différente, de noir un peu différent, cousu avec des points qui ne sont pas tout à fait les mêmes. Il est important qu’un moine dans sa foi absolue s’approprie son kesa et s’approprie toute la transmission du zen et du bouddhisme. En cela il a une foi absolue.

On dit aussi que dans le temps dans les monastères il n’y avait pas chauffage. Ils avaient la tête rasée, ils avaient froid à la tête et donc des fois ils mettaient leur kesa sur la tête pour se réchauffer. C’est également le point le plus élevé de notre corps et donc voilà quand un moine a son kesa, son bol, il peut s’habiller, il peut manger, il aura toujours à s’habiller, il aura toujours à manger même s’il doit mendier sa nourriture. Dans la vision originelle du moine, du shukke, qui ne demeure nulle part, il n’a rien besoin d’autre.

Sur le kesa il y a une tache rouge faite par celui qui remet le kesa. C’est une tache. Ce n’est pas une petite décoration, c’est une tache. Car un moine garde toujours le fait de ne pas chercher la perfection. Il garde en lui les relents des passions comme tout le monde et c’est pour cela que le kesa, aussi beau soit-il ne peut pas être parfait ; on lui met donc une tache rouge. Il faut toujours tenir le kesa avec respect, il ne se pose pas n’importe comment, n’importe où, il faut bien s’en occuper car au cours des années le tissu peut devenir élimé, il va falloir peut-être coudre des pièces par dessus comme les alea, les décisions qu’on a dû prendre au cours de notre vie et à la fin le kesa reste la propriété de la sangha. C’est à dire qu’après la mort lors de la crémation d’un moine on ne brûle pas le kesa avec lui. Il reste, il est donné quelqu’un, c’est mieux qu’il soit donné à quelqu’un plutôt qu’il reste dans une armoire ou dans un coffre.

Par exemple dans la lignée qu’on appelle Deshimaru-Zeisler, qui pour moi se résume à l’esprit d’Etienne, à l’amour que j’ai toujours pour lui. Au temple d’Hobo-ji il y a un kesa qui était un kesa d’Etienne. Etienne avait beaucoup de kesa. Il avait même des kesa que j’ai vu pour la première fois il y a quelque temps. Quelqu’un lui avait fait un kesa rouge aussi mais il ne le portait pas. Le kesa d’Etienne est à peu près de la même couleur que le kesa de Shogetsu. Dans cette lignée, dans cet esprit d’Etienne il y a un kesa d’Etienne. Il y en a un autre, unique aussi, le kesa que m’a remis Etienne auquel je fais très attention. Il est vieux, élimé, un petit peu petit parce que je ne savais pas très bien coudre. La moitié du kesa a des points magnifiques, cousu par Barbara Kosen, et pour l’autre les points sont un peu erratiques cousus par moi. A cette époque-là j’avais une attitude un peu différente. Quand quelqu’un m’avait dit : ces points ne sont pas comme il faut, il faut les défaire, déjà cela n’allait pas comme esprit mais enfin, j’ai dit : « Jamais je ne déferai un seul point de ce kesa. »

Donc voyez le zazen, le zen, la transmission, la sangha du Bouddha, tout cela se retrouve aussi dans le kesa.

Zazen 7

Périssable ou non, le maître originel est toujours présent
Et ne réside ni au nord, ni au sud, ni à l’est, ni à l’ouest.
Reposant dans l’immobilité, cela ne peut être surpassé.
Une fenêtre brillant sous les sapins verts

Ne peut être comparée à un palais de jade ou à une tour d’or.

« Donc périssable ou non, le maître originel sera présent. N’en doutez pas d’où qu’il vienne. » Alors qu’Etienne a écrit cette phrase est-ce qu’il pensait à lui-même – on est là six ans après la mort de Deshimaru – ou à ceux qui seraient présents plus tard, vingt-neuf ans après la mort d’Etienne. Que le maître soit vivant ou mort ne change rien. Pour moi il est toujours présent à travers le temps. Sekito dit que rien ne peut surpasser chez un être humain le fait de reposer dans le silence, la paix, sans être emprisonné par son esprit.

Le maître originel sera toujours présent veut également dire que cette pratique dure toute la vie. Si la pratique de zazen ne dure que quelques années, elle est limitée à quelques années. Si elle dure toute la vie alors elle est sans fin. Elle est sans fin et elle est sans but aussi. Cette pratique doit durer toute notre vie mais en fait notre propre vie et notre pratique de zazen, pour utiliser un terme de physique quantique, sont entièrement en intrication, totalement mélangées. Si elle est limitée à quelques années elle va se situer dans une dimension personnelle. C’est là qu’il faut comprendre que c’est la pratique des Bouddhas vivants. Un Bouddha vivant continue son activité de Bouddha, il n’arrête pas pendant toute sa vie, pour la paix, pour les autres, pour rien, il comprend la Loi.

Cela est pendant notre vie car personne ne vit éternellement. Etienne dit : « Même les pyramides d’Egypte deviendront du sable et partiront en poussière. Les créations humaines ont une date d’expiration mais le maître originel est toujours présent. » Alors évidemment on est en droit de se poser la question : qu’est-ce que Sekito veut dire par le maître originel ? La question intéressante n’est pas une question académique, vous entendez la phrase « périssable ou non, le maître originel sera présent », vous sentez une forme subtile d’accompagnement dans cette phrase. En zazen vous ressentez bien que cette phrase d’une certaine façon est enracinée dans l’éternité, que tout cela ne va disparaître à votre mort mais qu’il y a là comme un grand courant cosmique. Mais aussi quel est pour vous le maître originel ? Qu’est-ce que ça veut dire pour vous ? C’est ça la question. Ce que cela veut dire pour vous, vous n’allez pas le trouver dans un livre, ni dans un kusen, ni dans la réponse de quelqu’un d’autre. Cela veut dire également : sur quoi s’appuie votre propre pratique ?

On peut dire le maître originel, l’ami de bien qui vous accompagne, vous sourit, est avec vous quand vous êtes en face de la Loi. Sekito veut-il dire le Bouddha ? Dans le sens où chacun est Bouddha. Alors le maître originel peut être un maître réel, un maître réel que vous aimez et qui vous aime, que vous avez à cœur de rencontrer le plus souvent possible, comme votre meilleur ami de bien, votre frère dans la Voie. Oui cela se peut. Cela peut aussi être une éthique de vie au-delà de vous même, trouver ce qui est éternel dans votre vie, ce qui est éternel dans l’instant. Qu’est-ce qui vous fait voir que vous pouvez transformer toutes vos actions, qu’elles deviennent comme une cérémonie, comme l’éclosion du papillon qui sort de la chrysalide. Qu’est-ce qui est grand ? Ainsi le maître originel, la vérité, ne vient pas d’un endroit spécial, du nord, du sud, de l’est, de l’ouest.

Là je vous lis les commentaire d’Etienne parce que c’est rigolo : « Vous pensez, je crois pas qu’il y a beaucoup d’entre vous qui pensent ça mais enfin, je veux aller dans un temple japonais, je veux aller en Inde pour rencontrer un grand maître. » Etienne dit : « C’est pas nécessaire. Vous n’avez pas besoin d’un grand maître, un petit maître est suffisant pour vous. » Et pour moi aussi. Revenez seulement à zazen, toujours à zazen. Mais si votre esprit se contamine, c’est une contamination éternelle.

Quel que soit votre maître originel, dans lequel il y a une grande partie de vous-mêmes, quel qu’il soit, un bodhisattva a une confiance absolue dans son maître originel, comme le fond de son esprit, le fond des âges, le début de la renaissance, le début du monde, l’ouverture à vivre comme un bodhisattva. Le maître originel, cette source toujours vivante, même si on ne peut pas le nommer, le bodhisattva le sent vivant dans son cœur et son esprit, même s’il ne peut pas le saisir avec son intellect, il est toujours là. Vous ne pouvez séparer vous-même de ce maître originel. Ainsi vous savez où vous êtes, vous pouvez illuminer la lutte existentielle et l’espace, vous pouvez porter la Voie de Bouddha, la porter pour l’humanité entière. Surtout n’abandonnez jamais l’humanité.

Zazen 8

Donc Sekito dit :

C’est le plus haut, il ne peut être surpassé. 

Une fenêtre brillante sous les pins verts

Ne peut être comparée à un palais de jade ou une tour d’or.

Ainsi cette retraite est aussi une fenêtre brillante au milieu des Préalpes, au milieu d’un paysage de plaines et de montagnes, une maison sur cette colline que nous louons, dont nous ne sommes pas propriétaires. C’est notre demeure de l’instant et ainsi tout est simple, les repas sont simples et bons, le repos est simple, zazen est simple et notre sangha est simple aussi. Ceci ne peut pas être surpassé.

Alors un palais de jade, une tour d’or, à vrai dire n’intéressent personne. Mais gagner au loto, rêver d’acquérir, l’attrait des illusions, chercher le satori, l’esprit ordinaire voudrait toujours gagner. Par exemple Eno, le sixième patriarche, tout ce à quoi les gens ordinaires donnent beaucoup de valeur, lui l’a perdu. Il a dû partir dans la nuit du temple car il y avait le danger que les autres l’assassinent ainsi que l’abbé du temple, le cinquième patriarche. Il a dû s’enfuir, il a tout perdu. Donc zazen n’est pas gagner quoi que ce soit. Etienne disait : « Au fond de notre esprit, précieux ou non précieux, noble ou vulgaire n’existe pas. Laissez tomber votre manteau de roi, et abandonnez vos guenilles de mendiant. »

On trouve la même chose dans l’enseignement du Tenzo Kyokun de Dogen : « Ne faites aucune différence entre une simple soupe et un mets de choix. » La soupe dans les sesshin, c’est plutôt pour l’hiver. Ne faites aucune différence entre des simples légumes et du riz et un mets de choix. Justement en sesshin un simple repas est pour nous un mets de choix. Celui-ci ne peut pas être surpassé, comme la vérité de l’instant. Maintenant un repas simple, bon pour le corps, facile pour l’esprit, rien ne manque. Tout l’univers est aussi dans ce repas simple. Il faut les légumes et la terre, l’eau et le soleil, le travail de la récolte, le travail de la préparation, les vitamines, les calories pour assurer que nous restions vivants, tout cela est le bonheur. Et cela ne peut pas être surpassé, il n’y a pas besoin de jade ou de tour d’or.

Zazen 9

Je termine la première partie du poème de la hutte de paille de Sekito. Ainsi dit-il :

Assis, la tête couverte, tous les phénomènes s’apaisent

Le moine de la montagne ne comprend plus rien du tout.

Il vit là où il est et ne fait plus d’efforts pour se libérer

Qui voudrait disposer des sièges pour charmer, séduire des disciples.

La tête couverte c’était pour avoir chaud à la tête. Ainsi ils mettaient leur kesa sur leur tête pour ne pas geler. Sekito dit : le moine de la montagne ne comprend plus rien du tout. Cela ne veut pas dire qu’il soit devenu totalement stupide. Il ne comprend plus rien au fonctionnement du monde commun.

Je regardais la date de naissance du père de notre ami pour lequel nous allons faire la cérémonie à la suite de sa mort. Il est né en 1921 en Allemagne, avec l’enfer à venir. Aujourd’hui aussi le Yémen, la Syrie, l’Afrique, sont en enfer, et parallèlement il y a à côté les grandes boutiques très chères qui remplissent le nouvel aéroport d’Istanbul. Partout le monde commun devient incompréhensible. Alors ce moine de la montagne ne comprend plus rien à ce monde-là, il ne comprend plus rien aux attachements, il en est libéré, ni aux six mondes des errances sans fin. Pourquoi vivre avec son esprit dans le monde animal, ou vivre dans le monde des asuras, des guerriers, les demi-dieux, comme les titans dans la mythologie grecque ? Pourquoi et comment laisser son esprit se perdre dans l’enfer ?

Les six mondes du samsara, de la transmigration sans fin sont le monde de l’enfer, des êtres affamés, des animaux, des humains, des guerriers et des dieux. Le bodhisattva y vit pour sauver ses frères et sœurs humains, non pour s’attacher à quoi que ce soit, à aucun mirage de ces mondes communs.

Dans sa hutte de paille où il n’y a rien de valeur, avec son esprit entièrement libéré il est libre, il n’a plus d’efforts à faire pour se libérer de quoi que ce soit. C’est toujours les prisonniers qui pensent à la liberté, les gens libres ne pensent pas à la liberté, c’est naturel ils la vivent, ils ne vont pas discuter de la liberté. Je ne sais pas. Peut-on garder l’esprit libre dans toute circonstance ? Pour le savoir il faut le vivre soi-même. Surtout quand on voit le monde actuel et les périodes agitées horribles de l’histoire, comment garder son esprit libre ?

Alors ce moine de la montagne me fait penser un peu à la carte des tarots le mat. Le mat vient de l’arabe, cela veut dire mort, comme aux échecs, il ne peut plus bouger. Il n’a pas de chiffre, il n’a pas de numéro, il n’a pas de place dans le monde mondain, il est en dehors du monde commun comme suspendu. Les gens le voient comme un fou, à l’intérieur il est entièrement libre. Il peut rire quand il veut, être léger.

Que préférons-nous ? Voulons-nous passer notre temps à essayer de nous libérer dans notre esprit ou couper à chaque instant et être simplement libres ? C’est le satori immédiat. Arrêter dans l’instant de suivre nos idées communes et revenir à nos vœux de bodhisattva. En zazen bien sûr tous ces phénomènes s’estompent, les idées négatives, récurrentes s’évanouissent. Elles s’évanouissent à la condition que vous ne les creusiez pas. Si vous commencez à creuser vos idées en zazen, la première chose à faire est d’arrêter de creuser. Après il faudra bien y faire face, il faudra décider, il faudra agir mais si vous garder votre esprit clair, cela vous sera plus facile. C’est bon là, le moine de la montagne ne fait plus d’efforts pour se libérer, il marche tranquille sur la terre, tous les êtres l’accueillent, il fait don de tout son temps.

Dans le monde d’aujourd’hui on voit beaucoup en Europe, aux Etats-Unis, qu’il commence à y avoir une suprématie de l’esprit superficiel, il n’y a plus d’esprit profond. Les gens ne lisent plus, ne nourrissent plus leur profond imaginaire, c’est le monde de l’immédiat, c’est le monde du karma. Il faut aller vers le monde de toute la nature, c’est pourtant facile à comprendre. Il y a la phrase de Sekito qui à cette époque était seul dans sa hutte de paille, il devait y avoir d’autres patriarches ou d’autres personnes qui allaient à la pêche aux disciples, les attirer avec un petit ver de terre. Après ils mordent à l’hameçon et hop dans le panier. Donc Sekito se moque de ça. « Qui voudrait disposer des sièges pour charmer, séduire des disciples. » C’est vrai que comparé à la liberté, essayer que chacun s’ouvre à sa liberté, à ouvrir chacun à l’au-delà de la sagesse, de la joie intérieure, de libérer tous les pratiquants, tout le monde, de leur dire allez-y passez devant, vous êtes libres, alors disposer  des chaises ou des fauteuils pour y asseoir ses disciples paraît dérisoire.

Ainsi soyez comme une locomotive. Dans train rien n’avance s’il n’y a pas de locomotive. Ne regardez pas en arrière pour voir si les wagons sont accrochés. Etienne ne regardait jamais pour voir s’il y avait des gens dans les wagons, il ne s’occupait pas des wagons, il s’occupait de sa liberté, de ce qu’il devait faire. Et lui-même n’a jamais dit qu’il avait des disciples. Il est mort jeune aussi. Quand il est mort il avait fait zazen depuis quoi ? Quinze ans, vingt ans ? La vie de chacun est absolue. Un maître zen n’est pas là pour séduire des disciples. C’est juste quelqu’un qui marche à côté, qui essaie  de faire le mieux qu’il peut pour accompagner, qui se débrouille aussi avec lui-même et qui les laisse aussi se débrouiller.

Devoir se débrouiller dans un dojo, dans une sangha, c’est la chance de se trouver en face de cet enseignement de soi-même, c’est la chance de grandir, la chance de devoir mettre l’auditeur au placard et de se lancer sans aucune peur dans la liberté. Des fois la liberté ça fait peur, qu’est-ce que je vais faire ? Où vais-je aller ? Si tous les chemins sont ouverts, si toutes les portes sont ouvertes, à la croisée des chemins, qu’est-ce que je vais faire ?

On va tous vivre un peu cette période. Chacun devra être responsable de la Voie, de la Loi. Il faut commencer à ce que chacun se dise qu’il ne peut pas demander à quelqu’un d’autre, qu’il ne peut pas attendre que quelqu’un d’autre décide à sa place, il doit prendre le bébé dans ses mains, le nourrir, l’aider à grandir, de façon à ce que lui aussi soit libre.

Je faisais zazen depuis quatre ou cinq ans, mon maître est mort. J’ai compris que dans le zen j’étais seul. J’ai compris aussi qu’il serait toujours avec moi. J’ai compris que je devais continuer la mémoire de mon école, je ne peux pas l’exprimer mais c’est tout un esprit. Le reste est venu par expérience, en lisant beaucoup pour que la pratique du zen pénètre mes os, mes muscles, mon sang. N’attendez pas que quelqu’un vous serve le zen sur une assiette. Vous devez faire tout le chemin vous-mêmes avec courage et joie. C’est aussi du théâtre, le théâtre de la vie. Surtout ne pensez pas : oui, mais ! Pensez j’y vais. Je marche sur le chemin des bodhisattvas, j’ai une foi totale et pensez que si sur ce chemin il doit n’y avoir qu’un seul bodhisattva, c’est vous. Ainsi continuez toujours et encore, et encore, encore, disait Etienne le satori des Bouddhas vivants.

Zazen 10

Donc Sekito a construit une hutte de paille dans laquelle il n’y a rien de valeur pour le mondain. Et nous ensemble nous créons ce camp d’été dans une maison que nous louons dans laquelle nous avons monté ce dojo dans lequel il n’y a pas grand chose de valeur pour le mondain. Que pourraient-ils faire d’un mokugyo, de kyosaku, des cloches comme objets peut-être, la stature de Bouddha est une petite statue, nous n’avons pas de grand Bouddha doré, quelques photos. Tout cela prend un sens, de la valeur, par notre pratique de la Voie, notre pratique de zazen maintenant. Les Bouddhas continuent leur pratique de zazen. C’est notre pratique d’aujourd’hui, de maintenant qui fait, du fait de la transmission au cours des âges, le Bouddha, les Patriarches, à travers l’Inde, la Chine, le Japon, ne restent pas comme des noms dans des livres mais nous les actualisons de façon vivante, vu que zazen est la posture des Bouddhas et des Patriarches, avec le kesa de la sangha, des Bouddhas et des Patriarches.

Même le camp d’été finira c’est l’impermanence, mais chaque instant est lui-même l’intégralité du camp d’été. Les courses pour manger jusqu’à la fin ont été faites, tout est normal. Dans la hutte de paille il ne faut rien rajouter. C’est bien cet esprit, il n’y a rien à rajouter dans la hutte de paille. Si jamais il faut quelque chose d’indispensable pour la cuisine, dont les repas sont très bons, très simples, avec beaucoup de soin sur les goûts, tout est parfait, il n’y a rien à rajouter mais si jamais cela devait être le cas, vous devez me demander d’abord. Avec toute notre attitude d’esprit, la même attitude d’esprit que sampaï nous abordons tout ce que nous faisons, également le fait de manger. Il faut aussi aborder avec cet esprit, non seulement le fait de manger mais aussi le fait de boire, ce que nous apprécions il est vrai.

Donc le poème de la hutte de paille est un poème sur l’esprit, l’esprit vivant. Vous pouvez en saisir la délicatesse, une hutte de paille est faite de chaque brin de paille. Comme un camp d’été, une sangha est faite de chacun. C’est grâce à chaque brin de paille que la hutte tient debout et ainsi nous avons quelque chose au-dessus de nos têtes.

Zazen 11

Sekito continue :

Dirigez votre lumière vers l’intérieur et faites demi-tour.

La source est infinie, inconcevable, on ne peut lui faire face ni s’en échapper.

On ne peut ni lui faire face ni s’en échapper. A ce propos il y a un texte de Wanshi qui éclaire tout à fait cette phrase. Ainsi Wanshi qui est un maître très poétique, sur le site du dojo j’ai traduit des ouvrages de Wanshi qui sont magnifiques, dit :

« La tâche principale d’un moine portant le kesa est de pratiquer l’essence en discernant à chaque instant dans les évènements la source brillante irradiant sans aucune discrimination, de couleur unique et sans taches. » On peut dire aussi dans chaque action, dans chaque chose qui se passe, on peut discerner la dimension du Bouddha. Celle où on ne sépare rien, n’est pas polluée par nos projections et où l’on ne fait aucune discrimination. Et ceci à chaque instant. Discerner ce qui donne un sens, ce qui donne vie, à chaque instant de notre vie, est justement cette lumière que nous possédons de l’intérieur, cette foi, cette confiance, cette délicatesse de l’observation, de la pensée et cette détermination dans le fait de savoir que c’est ça.

Wanshi continue :

« Vous devez vous tourner vers l’intérieur alors la source peut être saisie. Ceci est  appelé continuer le devoir de famille – là il s’agit de la famille de Bouddha. Ne suivez pas les modes qui changent, transcendez la dualité de la lumière et de l’ombre. »

Vous avez peut-être entendu que dans l’analyse jungienne il y a tout le concept de l’ombre : les désirs inassouvis, ce que nous voulions mais que nous n’avons pas réalisé, ce que l’on n’ose pas dire, ce qui reste caché, et nous avons aussi la lumière qui est que tout ce que l’on fait puisse être observé et transmis à la lumière. Personne ne possède que de la lumière, tout le monde possède une part d’ombre. Elle est inhérente au fait d’être vivant et en prise sur l’existence. Transcender, aller au-delà que de ne vouloir que la lumière, aller au-delà de vous perdre en creusant dans votre propre ombre. Le karma de chacun a beaucoup d’ombre, mais si vous êtes là c’est qu’il a aussi beaucoup de lumière. Donc acceptez votre ombre, utilisez-là, allez au-delà, ne restez pas coincés du côté obscur de vous-mêmes. Ne soyez pas arrogants en pensant que vous n’avez que de la lumière.

Tout ceci on peut le voir en se tournant vers l’intérieur. On éclaire nos zones qui vont bien avec la lumière, et on éclaire aussi nos zones d’ombre et on voit que, comme on dit : l’ombre des pins dépend de la clarté de la lune. Voyez, ce sont des choses qui ont l’air d’être de la psychologie à quatre sous mais pour aller de l’avant comme un bodhisattva bien sûr il faut connaître son ombre, connaître ses peurs, ses obsessions, ses canaux mentaux dans lesquels on retombe, connaître aussi des fois notre indécision comme si l’on était suspendu et regarder aussi notre lumière. Le fait qu’on peut répandre cette lumière autour de nous, que l’on peut faire don de beaucoup, on peut abandonner sans rien perdre d’important. Si avec une bougie, vous allumez une autre bougie, la lumière de votre bougie ne diminue pas. Toute cette lumière, on peut dire toute cette confiance dans le Bouddha, que l’on avale et qu’on digère, à ce moment-là on peut faire demi-tour et comme dit Wanshi : « L’occasion de faire demi-tour se présente, entrer dans le monde et répondez aux conditions. Tout grain de poussière est entièrement votre, aucun dharma n’est celui de quelqu’un d’autre. Suivez le courant et pagayez naturellement sans obstacles. » C’est à dire : ramez.

Que chacun déclare sa véritable nature, un être humain connecté avec tout, mais aussi connecté à tous les atomes de l’univers qui viennent de bien avant notre naissance et dont nous sommes faits, une forme de vacuité. Revenir à l’origine. L’origine c’est ce qui reste quand vous avez enlevé tout ce qui ne sert à rien de votre esprit, la source. Alors Sekito dit elle est infinie, inconcevable. On ne peut lui faire face ni s’en échapper. Par exemple pour une personne juive, elle ne peut pas faire face à Yaweh mais elle ne peut pas s’échapper de Yaweh non plus. Dans le bouddhisme ésotérique vous ne pouvez pas faire face à Vairocana, vous ne pouvez pas vous en échapper. Vous ne pouvez ni saisir la Voie, ni vous en échapper.

En ce qui concerne la source, cela me faisait penser : quelqu’un disait je veux trouver la source de l’eau. La source de la rivière vient bien de quelque part. Là j’aurais de l’eau toute pure, j’en boirai. Alors il a remonté la rivière, il a remarqué que l’eau sortait de la terre. Il se dit alors : bon bien, l’eau qui sort de la terre c’est bien parce qu’elle est rentrée dans la terre par la pluie et la fonte des neiges et des glaciers. Vraisemblablement cette eau vient des nuages de pluie, et oui mais les nuages de pluie proviennent de l’évaporation de l’eau des océans. Et justement cette rivière va se verser dans l’océan. Où est la source alors ? Ainsi est-elle inconcevable, infinie, ce qui veut dire qu’elle n’est pas finie, qu’on ne peut pas la mesurer, on ne peut pas l’attraper.

Le bouddhisme est surtout une pratique de notre vie. Alors qu’elle est la source de notre vie ? Si on tenait la source de notre vie, on saurait exactement où on est, être intime. Si vous voyez cela, réalisez cela, c’est la source de l’univers. Notre vie, nous ne pouvons pas lui faire face elle est partout. On ne peut pas la tenir dans nos mains ou dans une pensée. Mais parallèlement on est vivant donc on ne peut pas s’en échapper. Tout cela est un cycle dont nous faisons partie, comme l’anneau de la Voie. Quelle est la source de notre pratique ? A la fin la source de notre pratique se trouve dans notre pratique elle-même.

Bien sûr la source c’est moi, dit l’œuf, ah non dit la poule c’est moi qui t’es pondu. Et alors l’œuf lui dit : mais tu viens d’où ? Et pourtant nous possédons la source, c’est la foi, la confiance, la détermination, l’ouverture, les trois pratiques pures, les vœux du bodhisattva, les préceptes. Si vous voyez tout ce qui se rapproche de la vérité dans le bouddhisme, qui est une question d’expérience de notre vie, ce n’est pas dans les textes qu’on doit interpréter, même si cela nous donne comme un fumet. Vous sentez comme l’odeur d’un jus de viande, par exemple, mais vous n’arrivez pas vraiment à trouver où est la casserole avec le rôti.

Donc il faut avoir confiance en soi, pas dans son ego mais avoir confiance en soi comme Bouddha. A ce moment-là comme dit Wanshi toute poussière est entièrement votre et l’on peut discerner à chaque instant dans les évènements cette source brillante. Sinon les évènements, la vie c’est simplement plat.

Zazen 12

Dans le zen sa propre expérience, comprendre par soi-même est comme toutes choses que l’on fait : manger, dormir, aller aux toilettes, tout cela on le pratique soi-même. Parallèlement, voici juste la phrase suivante de Sekito, juste cette phrase-là : « Rencontrez les anciens maîtres et devenez intimes avec leurs enseignements. »

Quand il enseignait, avec lui tous ont pratiqué gyoji, la pratique sans fin qui dure toute la vie et qui continue depuis tous les anciens maîtres et les Bouddhas. Etienne dit : « C’est imprégner complètement son corps et son esprit avec le parfum de la pratique de zazen. » Il ne dit pas de demi-zazen, pas de demi moitié, de demi quelque chose, c’est ça le sens de seulement zazen. De même une course en montagne, on ne fait pas une demi course en montagne, on ne regarde pas la nature à demi, on ne vit pas à moitié. Pas d’espace entre moi et la posture de zazen.

Ainsi l’enseignement des anciens maîtres est gyoji, zazen. Ils étaient aussi vivants, ils faisaient aussi des tas de choses, ils s’occupaient du jardin du monastère, ils réglaient les problèmes du temple, s’occupaient des jeunes moines et ils faisaient ça toute leur vie. Devenir intimes avec les anciens maîtres, cela n’a rien à voir avec se comporter comme un auditeur et lire leur enseignement comme si on lisait le dernier Blake et Mortimer. D’une certaine façon c’est devenir soi-même tous les anciens maîtres. C’est une chose que l’on ne peut pas expliquer c’est dans le corps et l’esprit. C’est une chose vivante. Ainsi chacun soutient sa détermination avec la conscience intime qu’il porte en lui-même la détermination de tous les anciens maîtres. Chacun profite de tout enseignement, il le voit immédiatement car il porte en lui tous les enseignements des anciens maîtres, gyoji, zazen et ces grands mouvements font qu’il sait qu’il n’abandonne jamais. Son propre enseignement de vie, son gyoji est intimement mélangé avec tous ses pairs. C’est aussi une façon de devenir intime avec soi-même.

Il y a aussi le sentiment d’humilité par rapport aux enseignements de tous ces anciens maîtres. Et en même temps, nous, pratiquant maintenant, nous avons aussi l’esprit neuf. On ne va pas faire exactement la même chose, on ne va pas penser exactement la même chose, des fois même des choses vont nous faire rire et d’autres choses nous marquent profondément. Il ne s’agit pas d’être les gardiens d’un temple vide ou mort mais bien de les faire tous vivre en nous-mêmes. Par exemple lorsqu’on parle de Fuyo Dokai il a envoyé péter l’empereur. Chacun peut le ressentir dans sa vie. Il a dit : « Si j’ai pas assez de riz, je mettrai de l’eau, vous aurez de l’eau de riz. Je n’ai pas de riz. Alors vous aurez du thé et si je n’ai pas de thé eh bien vous aurez de l’eau. Si je n’ai pas d’eau vous n’aurez rien du tout et si ça vous plaît pas allez ailleurs. »

D’autres maîtres très vieux ont gardé leur chaise à moitié cassée, n’ont pas voulu réparer le toit qui fuyait, se sont occupé de leurs jeunes disciples comme des papys. Certains ont créé des missions immenses et d’autres sont restés dans leur coin à pratiquer gentiment zazen. Mais nous là au milieu il nous faut rester avec l’esprit neuf. Ne devenez pas des vieux moines, ni des moines anciens, dire ah ! Je suis un vieux moine c’est pathétique. Je suis un moine neuf, j’ouvre mon esprit, je suis intéressé par la pratique, le gyoji de chaque jour et avec tout ça je dépoussière les anciens maîtres aussi.

A la fois devenir intime avec les enseignements des anciens maîtres, mais pas seulement, aussi les rencontrer. Evidemment pas leurs ossements ni leurs grimoires, mais leur vie, l’enseignement de leur vie, de tout ce qui était vivant chez eux. Voilà il s’agit toujours d’ouvrir les mains, d’ouvrir son esprit, sinon après on finit comme le garde suisse au Vatican. Il est là avec sa hallebarde, il garde le pape. Lin-chi, Rinzaï, criait à ses moines : « Attrapez-le vivant !! » Rencontrez les anciens maîtres vivants, devenez intimes avec leurs enseignements vivants, maintenant, dans votre vie de maintenant.

Zazen 13

La suite du poème de Sekito sur la hutte au toit de paille :

Nouez l’herbe pour construire une hutte et ne l’abandonnez jamais

Laissez les siècles passer et reposez-vous totalement

Ouvrez les mains et marchez innocents

Etienne dit : « L’herbe n’a pas besoin d’être coupée, liez-la, nouez-la. » On dit également qu’à la fois nous sommes habités par notre karma et ce karma est dynamique, c’est à dire que chacune de nos actions est également libre et modifie ce karma. Des fois on parle de couper le karma mais ce n’est pas possible de couper entièrement le karma. On ne peut pas couper avec tout le monde qui nous habite. Alors Sekito dit : nouez l’herbe. Utilisez les mauvaises herbes, utilisez votre karma, utilisez-le pour le bien de tous. Comprenez ce karma et voyez comment tirer de l’énergie d’action de ce karma là pour créer du bon karma. Quelqu’un qui a un karma de responsabilité, il faut l’utiliser pour le travail pour tout le monde. Quelqu’un qui a un karma pour lequel les relations sont très importantes, l’utiliser également. Quel que soit le karma, il faut essayer de couper la mauvaise partie tout en acceptant qu’il reste toujours des relents qui sont là et surtout l’utiliser dynamiquement pour agir.

Dans le mahayana notre karma est le karma universel. Nous portons le karma de toute la terre, de l’univers et de tous les êtres. Donc le changer un petit peu pour tous les êtres aussi. Ce n’est pas une question de temps, que ce soit dans l’instant ou dans des kalpas, il faut continuer. Il dit aussi : ouvrez les mains. C’est à dire ne vous accrochez pas à tenir quelque chose. Si vous ouvrez les mains le sable s’écoule, l’eau coule mais surtout acceptez tout ce qui vient, prenez-le dans vos mains. C’est comme le bol vide. Dans un bol vide vous pouvez tout mettre. Si vous avez l’esprit comme un bol plein, on ne peut même pas y ajouter une goutte d’eau.

Je vais vous lire une partie des commentaires d’Etienne. Vous savez Etienne était né en 1946 à Budapest en Hongrie, juif. Deshimaru est arrivé à Paris en 1967. Je ne sais pas exactement quand Etienne a rejoint Deshimaru. Il avait autour des 21 à 25 ans. Quand Deshimaru est mort Etienne avait 36 ans. En fait Etienne a pratiqué relativement peu d’années avec Deshimaru, comme tous ses disciples, 14-15 ans au maximum. Vous savez lorsqu’on rencontre quelqu’un ce n’est pas forcément l’accumulation des années ou des quantités de kusen, des fois cela peut être que quelques phrases anodines pour tout le monde mais tout d’un coup vous avez le sentiment d’exister par ce compagnon de la Voie. Et après plus ou moins, restons modestes, au cours des années votre vie en est changée. Ensuite il meurt. Qu’est-ce qui reste ? Quelques phrases, des rencontres et l’insaisissable.

Dans ses commentaires Etienne dit les phrases suivantes :

« Zazen n’est pas si facile. Juste la posture – pour Etienne c’était très simple, la posture, la posture, juste la posture. Mais c’est la chose la plus haute, la plus élevée, sans mélange, totalement pur. C’est le Shobogenzo Nehan Myoshin, le trésor de la Vraie Loi, le merveilleux trésor du nirvana. Ce n’est pas facile. C’est comme dans un vieux koan zen : un maître dit à son disciple tu vois ce mât de bambou ? Monte jusqu’en haut puis s’il te plaît fais un pas de plus. Le disciple dit non je ne peux pas, je vais tomber, je vais me casser le cou. Pourquoi me demandez-vous cela ? » Ainsi cela est la pratique sans fin qui signifie faire toujours un pas de plus en haut d’un mât de bambou de cent mètres, même si on a peur, qu’on est effrayé ou découragé. C’est comme lier les herbes.

Je pensais : quand Etienne est mort ce n’était même pas faire un pas de plus, c’est qu’il n’y avait plus de mât.

Chacun dans un dojo, à un moment ou à un autre, doit faire un pas de plus. Mais ce n’est pas un pas de plus au milieu du mât pour arriver au deux tiers du mât. C’est un pas de plus au-delà du mât. Alors s’il vous plaît, dit Etienne, n’abandonnez jamais cette hutte. N’abandonnez jamais ce mètre carré de votre zafuton, n’abandonnez jamais votre lieu de pratique.

Zazen 14

La fin du poème de Sekito. Il dit :

Ouvrez vos mains et marchez innocents

Les milliers de mots, l’infinité des conceptions n’existent que pour vous libérer de l’attachement

Si vous voulez rencontrer l’homme immortel dans la hutte, s’il vous plaît, ne vous échappez pas de ce sac de peau.

Ouvrez vos mains et à la fois ouvrez votre esprit, innocents un peu comme les enfants, les enfants qui jouent. C’est une phrase toute simple. Etienne dit : « Il faut créer dans la vie la véritable fraicheur, nouvelle, toujours nouvelle, la hutte au toit de paille. Ainsi tous les mots, toutes les conceptions, à la fin tout l’enseignement n’existe que pour se libérer de l’attachement. » C’est comme ça dans le bouddhisme, il n’y a pas de révélation.

Le premier enseignement de Bouddha a été les quatre nobles vérités. Il s’agit donc des quatre nobles vérités qui vous aident, si vous les comprenez, les pratiquez, à vous libérer de vos attachements. C’est assez surprenant que l’on dise vérité, il ne s’agit pas d’une vérité statique. Ce n’est pas comme un commandement, tout ce qu’a dit le Bouddha fut pour aider les êtres, non pas pour les ponctionner d’une vérité à laquelle personne ne pourrait échapper. A la fin on explique des mots avec d’autres mots mais on comprend ces mots avec notre esprit. En même temps il faut se libérer des mots, comprendre au-delà des mots, au-delà des phrases. C’est comme un parfum d’encens dont la fumée a disparu. Si vous voyez tous ces mots, tout cet enseignement à partir du mental, à la fin ils n’ont pas d’essence. Si vous comprenez tous les mots à partir de votre propre pratique dans laquelle vous avez mélangé la compréhension du corps, à chaque mot le corps réagit, à ce moment-là on peut aller au-delà de juste les mots.

C’est toujours la même chose. En physique des particules il y a une chose dont on ne sait pas du tout ce qu’elle est. Alors on lui a donné un nom : les quarks. Personne ne sait ce que sont les quarks, c’est juste un nom dans un modèle. Mais au-delà de cela, sans les quarks, sans le champ de Higgs, qu’on ne sait pas ce que c’est non plus, il n’y aurait pas de matière. Alors la matière on croit qu’on sait ce que c’est, c’est devenu solide, comme s’attacher aux mots.

C’est bien ça le problème avec ceux qu’on appelle les sravakas, les auditeurs, sans attention ils vont partir dans une direction où ils écoutent des mots, qui sont alors comme des poissons morts. Ils croient entendre la vérité alors que ce qui est intéressant est qu’ils se libèrent eux-mêmes. Eux-mêmes. Tout l’enseignement du zen est ce qu’on appelle un enseignement salvifique, destiné à sauver les gens de leurs attachements, de leurs désirs rongeurs. Les mille mots, toutes les conceptions ne vous apprendront pas la pratique, mais à partir de votre propre pratique alors vous pouvez comprendre les mille mots et les utiliser pour vous libérer. A partir de votre pratique, vous pouvez comprendre votre ego et l’utiliser pour votre libération, mais à partir de votre ego vous ne pouvez pas comprendre la pratique.

Il y a cette histoire du moine qui était pendu dans un arbre à une branche par les dents. Sous l’arbre il y avait un tigre affamé. Un homme est venu et lui a demandé : qu’est-ce que la vérité ? S’il répond, il ouvre la bouche, le tigre va le manger. S’il ne répond pas, il ne répond pas c’est une erreur. Il faut donc comprendre que même si on ouvre la bouche on ne tombe pas. Même si on garde la bouche fermée dit Etienne, on peut exprimer la vérité. Si vous continuez votre pratique, tous les mots deviennent alors la liberté. Ne vous attachez pas aux mots, ni à l’ego, ni à votre karma mais utilisez tout ça pour vous libérer. Le zen ne va pas vous dire exactement de quoi vous libérer mais chacun peut comprendre ce que veut dire se libérer.

Zazen 15

Un petit peu d’histoire, le sixième patriarche, Eno, a véritablement été si l’on peut dire le fondateur du Chan. Eno a eu six successeurs du Dharma dont certains célèbres pour des évènements, tel Yoka Genkaku qui fut dit le visiteur d’un soir et il est reparti. Il y a eu celui qui a eu le titre de maître national Nan’yo Echo mais parmi ces six successeurs deux seuls ont eu des successeurs. Il y eut d’un côté Seigen, qui a eu un successeur Sekito. Sekito a eu des successeurs dont les lignées se sont propagées et dont certaines se sont arrêtées. Principalement Sekito est la source du zen soto, qui s’appelle Caodong en chinois. Mais aussi de la lignée Yunmen  et Fayan. La lignée Caodong est devenue avec Dogen le zen soto au Japon. Les lignées Yunmen et Fayan finalement se sont fondues dans les autres. L’autre successeur de Eno, Nangaku qui a eu comme successeur le célèbre maître Baso. Donc Seigen, Sekito, Nangaku et Baso ont vécu les quatre en même temps pendant des dizaines d’années. Et Baso a donné lieu à deux lignées, celle de Lin-chi appelée aussi Rinzaï, et une autre qui s’appelle Iggyo. C’est pour cela que cette époque est appelée la floraison des cinq écoles.

A cette époque-là le soto et le Lin-chi n’étaient pas vraiment séparés, ils allaient les uns chez les autres. Seules les lignées soto et rinzaï ont survécu à l’époque moderne. Dans le zen soto Sekito est très important et dans le zen rinzaï Baso est très important. Vous lisez les conversations de Baso et vous voyez bien la différence un peu entre Sekito et Baso. Sekito sur son rocher, dans sa hutte de paille, tranquille et Baso très puissant. Il était énorme paraît-il, il prenait beaucoup de place. Sekito vraisemblablement pas beaucoup. Ce sont deux patriarches très importants dans l’histoire du zen.

Sekito vivait dans sa hutte de paille et la dernière phrase de son poème :

Si vous voulez rencontrer l’homme immortel dans la hutte

S’il vous plaît ne vous échappez pas de ce sac de peau.

Bien entendu Sekito n’était pas immortel. Ce qui est mortel passe et l’homme immortel : qu’est-ce qui ne meurt pas dans notre vie ? Qu’est-ce qui devient immortel ? Maître Deshimaru disait : face à la mort qu’est-ce qui devient important dans notre vie ?

Je continue les commentaires d’Etienne : « C’est le sens du sage immortel, la chose qui va au-delà. C’est rencontrer cette immortalité. » Vous comprenez c’est au-delà. Ce qui de tout nous-mêmes est au-delà. Rencontrer cette immortalité c’est le vœu de toute l’humanité, de tous les êtres humains. L’ego veut devenir immortel, maintenir une jeunesse immortelle, continuer avec un corps de champion olympique, une sexualité qui ne diminue pas, un esprit toujours aussi vif. Bon mais à la fin cela ne devient plus très important. A la fin on se tourne plutôt vers l’essentiel, pas seulement à la fin, avec la vie on se tourne plutôt vers l’essentiel, c’est ce qu’il veut dire par rencontrer l’homme immortel dans la hutte. C’est aussi la pratique sans fin, beaucoup plus importante que tous les mots.

Pour rencontrer l’universel en vous-mêmes, pour rencontrer ce qui en vous ne meurt pas dans votre vie, la chose au-delà, la source, un peu de sagesse, tranquillité de l’esprit, et même, pour tout cela ne vous échappez pas de ce sac de peau. Dans le bouddhisme indien ils aimaient bien dire le sac de peau, les entrailles puantes, pratiquer la méditation dans les cimetières. Que l’on dise sac de peau ou que l’on dise corps pur, on est toujours dans notre corps. C’est à dire que la réalité n’est pas déconnectée, existant seulement en esprit. On n’est pas déconnecté, ne vous échappez pas, ne vous enfuyez pas dans le mystique. Connaître l’homme immortel c’est ici et maintenant, le vivant. Et comme zazen est ici et maintenant, c’est le vivant.

Bien sûr tout cela c’est si vous voulez rencontrer l’homme immortel dans la hutte, voilà c’est si vous voulez. Comprendre aussi je pense cette partie dont nous sommes issus, qui est la totalité des choses avant notre naissance, et qui a donné lieu finalement à un spermatozoïde et un ovule. Eux-mêmes viennent des atomes. Et après nous retournerons à ce monde indéterminé. Après la mort c’est le même monde qu’avant la naissance. Mais notre ego n’est pas dans ces mondes-là, notre ego est mortel. Au-delà, dans la grande continuité de la vie, les choses, les gens apparaissent et se diluent à nouveau. C’est en ce sens que cela est appelé l’homme immortel, dans la hutte, pas au paradis, ni en enfer, ou au purgatoire. L’homme immortel il est dans la hutte, il est ici, maintenant, là dans ce dojo. Et donc pour le rencontrer il faut bien rester dans son sac de peau.

Vous voyez les dimensions différentes, tout est relatif dans la vie. Mais on peut aussi voir avant la naissance, après la mort, les atomes, les molécules, le mouvement des marées, le soleil est toujours là qui fera pousser les fleurs qui se nourriront de nos cendres. Tout cela continuera peut-être qu’un jour les mêmes atomes se trouveront dans un spermatozoïde ailleurs. C’est le grand cycle dynamique du Dharma.

Je voulais aussi partager avec vous quelque chose de plus intime pour moi, mais vous allez comprendre je pense, comme dans le futur je serai moins là. Je voulais parler de ça parce que ça fait partie des commentaires d’Etienne – ne croyez pas que je voudrais me mettre en avant en parlant de moi, c’est plus une question d’affection profonde.

Des fois on parle des lignées, alors on dit la lignée machin-truc comme si on avait affaire à une institution, un organigramme. Souvent les lignées sont plus des lignées du cœur, de l’amour, des compagnons, des compagnons de la Voie. Des fois elles ne sont pas exactement comme ce qui est défini par quelqu’un ou défini quelque part. Des fois même elles n’existent pas objectivement. Ca s’est passé comme ça, dans une rencontre, comme lorsqu’on rencontre quelqu’un. Et alors que ce soit une lignée objective, subjective, mystique, cela peut être des connections très profondes qui peut-être continuent.

Ainsi dans ses commentaires Etienne dit : « L’homme immortel c’est l’image même du sage. » C’est le kanji Sen. Taisen Deshimaru l’a dans son nom. Alors Sen est le sage, cela dit aussi l’homme immortel et au sens du taoïsme cela veut aussi dire l’ermite. Donc Taisen Deshimaru, Taisen veut dire grand sage. Et Etienne dit : « Dans mon nom aussi Senku, c’est le même Sen. » Senku veut dire le sage du vide, la sagesse du vide. Et quand j’ai lu ça en préparant ce que je voulais vous dire, je me suis dit que peut-être le Sen de nom Keisen est le même Sen que dans Taisen et Senku, accompagné de Kei, qui veut dire le respect. Pour moi Keisen veut à la fois dire le respect du sage, de l’homme immortel, de l’ermite mais aussi le respect de Taisen et le respect de Senku, Etienne.

Tout ce que j’ai dit dans ce dojo depuis vingt-cinq ans ou plus est né de la source de cet esprit intime que j’avais avec Etienne. J’ai ajouté deux ou trois trucs parce que nous avions des vies différentes mais l’essence, je pense, provient de Mokusho, l’illumination silencieuse et de Senku, la sagesse du vide. Peut-être est-ce pour cela que je m’appelle Keisen. Et donc j’aimerais, je forme le vœu que cet esprit-là continue. Je forme le vœu aussi que chacun rencontre comme l’a dit Sekito : l’homme immortel dans la hutte et voilà, au-delà, au-delà de son sac de peau juste à lui mais tout en restant dedans. Dans le zen il faut toujours embrasser les contradictions.

Voilà la fin du poème de Sekito, vous le trouvez partout sur Internet. Il reflète vraiment le zen soto, le zen de zazen, de l’illumination silencieuse, de beaucoup de lumière intérieure. Comprenez également aussi que tout cet enseignement que je travaille, je l’adresse à moi-même et comme nous ne sommes pas séparés je le partage avec vous.

Au-delà de tout, la chose la plus importante est de continuer encore et encore pendant toute sa vie le zazen vivant.

Mondo

Q :

Je me sens en harmonie avec ma Voie de Bodhisattva, on n’est pas parfait en tout temps. Je me sens en connexion avec la nature, avec zazen, et j’éprouve de la joie au quotidien mais quitte à faire passer zazen avant tout le reste, dans une foi absolue, je ne me reconnais pas dans cela.

R :       Alors attend, on n’a pas dit que la foi absolue était seulement le zazen.

Q :       Mais j’ai l’impression que tout doit passer après le zazen.

R :

Quand c’est zazen, tout doit passer après zazen. Quand ce n’est pas zazen, il y a des choses qui passent avant. L’enseignement n’a pas une consonance permanente. Il est vrai qu’une spécificité de l’enseignement de Maître Deshimaru est de dire zazen, seulement zazen. Et par voie de conséquence pour ses disciples de l’époque il s’est trouvé qu’effectivement ils ont pris cette phrase en disant : seulement zazen. On peut dire seulement zazen mais si on comprend seulement zazen et rien d’autre, ce n’est pas complet.

Etienne disait un peu différemment, il disait : le zen c’est la vie. Et moi je viens de cet esprit-là. Pour moi dans la vie il n’y a pas que zazen. Zazen est très important, dans l’esprit oui zazen surpasse tout mais cela ne veut pas dire qu’en pratique dans la vie de tous les jours, je ne dois faire que zazen. J’aime aussi la nature, les cigares, les femmes, surtout une, et beaucoup de choses, le vin quand j’en bois, l’eau quand j’ai soif aussi, dormir quand j’ai sommeil, ne rien foutre quand je n’ai vraiment pas envie de faire quoi que ce soit. Voilà, mais je ne me dis pas : oh il faudrait que tu fasses zazen, sinon à ce moment-là on devient dogmatique. Zazen c’est la nature, c’est la vie, et aussi la pratique car la religion sans pratique c’est du pipi de minet. Il faut qu’il y ait une pratique qui sous-tend tout cela, qui grâce à ça te permet de voir quelle est ta réalité.

Par exemple le contact avec la nature, les ballades en montagne, en plus la fatigue dans les jambes, tu as à peu près tous les mêmes éléments, ça nettoie l’esprit tout autant que zazen. Il ne faut pas séparer zazen des autres choses. Si on dit seulement zazen, zazen inclut tout, mais tout inclut zazen aussi, c’est dans l’esprit et cela ne veut pas dire que l’on doit se limiter à une vue unique, pure et dure, sinon cela devient le zen parano. Il faut quand même avoir la conscience de l’effort, de la pratique régulière, de continuer.

C’est comme dans un édifice, il y a une base. Les gens croient quand ils partent que le train va continuer à rouler, oui, ça va continuer à rouler mais l’esprit ordinaire revient très rapidement. Avec zazen tu peux apprécier encore plus la nature, tu vas voir le grand ciel il va te paraître immense, tu peux t’émerveiller avec des petite sauterelles ou bien par exemple après il y a l’apéritif, le vin blanc frais va avoir un goût une fraîcheur bien meilleure que si tu en bois un litre tous les jours.

Bien loin de moi l’idée de critiquer Maître Deshimaru, mais je considère que je suis aussi un être libre. Donc la phrase qui consiste à dire seulement zazen s’applique à des gens qui s’échappent, qui sont trop légers dans leur pratique, alors tu vas dire seulement zazen, tu vois. A quelqu’un qui pratique régulièrement tu ne vas pas lui dire seulement zazen, tu sais que lui il va mélanger tout cela avec sa vie. Bouddha dans son enseignement s’adressait à chacun.

Donc tu aimes la nature, les promenades en montagne, tu aimes la vie, tu as en toi-même le sentiment du bodhisattva, c’est parfait, la seule chose que tu peux faire c’est de continuer.

Q :

Je n’ai pas de question brûlante mais je tiens à te remercier presqu’un peu formellement parce que j’ai commencé la pratique à Genève et qu’en fait tu as toujours été là. J’y étais à la maison et d’une certaine manière c’était normal. Je n’ai rien connu d’autre que l’enseignement que tu nous amène et je me suis dit le zen c’est normal, tout le monde est comme cela. Mon expérience à Hambourg a fait ressortir une forte gratitude pour ce que nous recevons, très sincère, très bienveillant. Et cela inclus également tous les gens que je connais. Là-bas j’ai eu l’impression d’être jaugée, depuis combien de temps es-tu là, et ceci avant de savoir s’ils écoutent ce que je dis ou non.

R :

Merci beaucoup. Pour nous aussi, tu vois, on t’a vue arriver avec tes études de vieil assyrien, avec ton violon, tes chaussures rouges, avec ta grande capeline, tant de choses primesautières, de fraîcheur et beaucoup de joie pour nous. Nous aussi te remercions, nous avons vu tes tribulations dans la vie, tes retours, nous avons participé à des moments de ta vie et pour moi tu as toujours représenté un grand vent de liberté, que j’ai toujours beaucoup aimé.

Toutes ces choses-là étaient nouvelles pour moi, car je n’ai pas eu de fille, j’ai eu que des garçons ce qui est totalement différent. Alors les femmes jeunes je les vois plus maintenant comme mes filles, quoique j’ai bientôt l’âge d’être leur grand-père. C’est toute cette fraîcheur. Je voulais dire aussi quelque chose de plus formel avec nous tous que sur le plan de la détermination, vous avez les deux beaucoup amené à cette sangha et je vous en remercie.

Q :

J’ai lu un livre parlant de la dualité. Quelle est la différence entre la Voie du milieu et l’acceptation.

R :

Déjà c’est la dualité si tu me demandes quelle est la différence entre la Voie du milieu et l’acceptation. A part ça je vais essayer de te répondre. Qu’est ce que c’est la dualité ? C’est l’esprit que nous avons souvent : je l’aime bien, je l’aime pas. Ou bien : c’est bon, c’est mauvais. Alors que la non-dualité c’est : la bouche d’un moine est comme un four. Ou bien dire : ah non celui-ci je ne l’aime pas à la place de voir simplement et de façon immédiate que c’est un être humain comme soi-même, comme nous et qu’il n’y a pas de différence.

Avec la dualité on ne peut pas vraiment comprendre la compassion dans le bouddhisme. Une dualité entre toi et les autres – je le dis pour tout le monde – est une forme de séparation qui empêche de comprendre vraiment la compassion dans le bouddhisme. La compassion naît de l’interdépendance, c’est à dire de l’unité de tous les êtres. Naturellement comme tu considères les êtres comme toi-même, à ce moment c’est facile de concevoir la compassion. Sinon si tu vois toi-même et les autres de façon séparée, tu vas essayer de te forcer à aimer les autres et tout ceci va être artificiel. En Occident on vit toujours avec la dualité, on nous a tellement gonflé entre la dualité entre le corps et l’esprit, comme quoi le corps c’est horrible et Dieu c’est merveilleux. En zazen on prend l’habitude de comprendre par soi-même que le corps et l’esprit ne peuvent être séparés. A partir de là on essaie de voir les choses dans la non-dualité.

Un truc subtil, difficile à expliquer, est que la non-dualité du noir et du blanc, ce n’est pas le gris. Le noir et le blanc, c’est un état dans lequel tu peux voir que la neige est noire et les corbeaux sont blancs.

Q :       Je voulais parler de la Voie du milieu et l’acceptation.

R :

On peut dire que la Voie du milieu c’est la Voie du milieu : à la place de marcher sur le trottoir de droite ou celui de gauche, on peut marcher au milieu. La Voie du milieu est aussi la Voie des extrêmes. C’est la Voie de la conjonction des extrêmes, l’unité des contradictions, comme l’existence et la non-existence. Mais surtout ce qu’il faut voir, car tout cela est utile à la compréhension mais ne fait guère avancer les choses, c’est dans ta vie, face aux décisions que tu dois prendre, ce que tu fais, la Voie du milieu est ce qui va te permettre d’embrasser les contradictions. Les mots « la Voie du milieu » ne sont pas ce qui est vivant, l’important est ce que tu vis. Qu’est-ce que c’est alors pour toi la Voie du milieu ? Cela peut être tout.

Q :       Des fois on part avec la Voie du milieu et on termine avec l’acceptation.

R :

La voie du milieu on peut dire également que c’est à la fois Bouddha et à la fois l’être humain.  L’être humain comme chacun l’est, on connaît. Il y a aussi la non-existence, l’esprit, tout ce qu’on appelle Bouddha. Et on est Bouddha aussi. On est des bodhisattvas et cela il faut l’accepter. Accepter d’être Bouddha et accepter d’être un bodhisattva, ce n’est pas gratuit. C’est à dire qu’il faut accepter la responsabilité qui va avec. Pour accepter d’être Bouddha il faut arrêter de penser à partir de l’ego et de se dire : ah ! Je ne suis pas assez bien.

Est-ce que tu penses être Bouddha ? Soit la personne dit : oui ! Soit elle dit : non ! Et alors qu’est-ce que tu fous ici ? Si elle dit : oui et non, mais alors si tu réponds ça, qu’est-ce que tu vas faire ? Si tu ne sais pas que tu es Bouddha. Il faut accepter aussi soi-même, il ne faut pas pratiquer le zen avec l’esprit de vouloir s’enfuir, ou bien d’avoir peur de prendre telle ou telle responsabilité, d’y aller comme on dirait en Vaudois : à la « retirette ». Si dans la vie on commence à baiser à la « retirette », ce n’est pas exactement la même chose. Il faut accepter ça. Oui, nous sommes des bodhisattvas et nous vivons avec. Nous ne devons pas nous cacher derrière un livre de Nagarjuna et dire : je ne comprends rien à ce qu’il dit. Accepter la Voie du milieu, c’est accepter également que nous soyons des Bouddhas, accepter les vœux du bodhisattva et ensuite se débrouiller soi-même. C’est comme ça que ça marche. On en revient à la détermination.

Q :

Je suis très reconnaissant. Je suis arrivé chez vous et je suis très touché par la cérémonie de ce matin. Et je suis à la recherche d’une réponse. Il y a 36 ans je suis entré dans l’Islam. J’ai été initié par une Confrérie soufie et donc j’ai également un nom initiatique, David, et je suis en correspondance avec un certain nombre de vérités à l’intérieur de l’Islam. La prière, il y a une formule, pas de Dieu sinon la Divinité et que Mohamed soit son messager. Maintenant c’est une question de temps. J’aime les deux. J’aime m’asseoir, j’ai trouvé ma position et je vis comme si le zen était toujours vécu. C’est quelque chose en moi qui correspond complètement. Je suis très heureux d’avoir fait ta connaissance. Une certaine facilité de vivre le zen qui correspond véritablement à ce que je vis aussi. Donc je peux parler avec toi et j’ai confiance.

R :

Moi aussi. Je te remercie. J’ai été élevé protestant, j’ai aussi des choses qui me touchent beaucoup, deux choses en particulier : la bénédiction et la communion. Dans l’église protestante pour la communion on rompt le pain et on partage le vin. On retrouve le partage du pain et du sel dans les religions abrahamiques. J’ai été à l’église protestante, président des jeunes paroissiens, mais je suis parti. J’ai aussi toutes ces choses en moi. Il y a des églises dans lesquelles je rentre où je ne peux pas empêcher cette forme d’émotion religieuse de monter. Cela m’a amené à une question de toujours. J’ai une confiance absolue dans la pratique de zazen et j’aime bien le Bouddha, j’aime bien lire, cela me réjouit de me dire que je suis un enfant de Bouddha. Mai je me suis quand même demandé car on dit la foi : d’où vient la foi ? Chez un être humain.

J’ai eu la chance de rencontrer à Crêt-Bérard un monsieur très âgé de quatre-vingt ans et quelques. Lui était un père d’un ordre monastique catholique, il avait passé de nombreuses années au Japon et était également un moine. Je me suis dit : ce vieux monsieur là qui me paraît être un puits d’expérience religieuse pourrait me donner l’occasion d’une réponse sur cette question de foi et aussi de savoir comment unifier cette habitation de l’esprit religieux et de la pratique du zen où à la limite il n’y a rien. Donc je lui ai posé la question, me disant que peut-être je vais finalement savoir d’où vient la foi. Il a alors gardé un long silence, je voyais ce vieux monsieur qui réfléchissait profondément. A la fin il a ouvert les yeux pour me dire : oui, en fait je ne sais pas.

Je pense que le mieux pour toi, c’est répondre : les deux. Il n’y a aucune raison de choisir l’un ou l’autre. Les deux vont se réunir à l’intérieur de nous-mêmes, à l’intérieur de notre conscience et de notre foi. J’ai des amis musulmans aussi, même des Frères Musulmans ; et notamment un ami musulman à Genève qui est torturé sur la foi et sur le monde. Ce que je vois en lui, ce n’est pas forcément le musulman, c’est ce qu’on peut appeler l’homme de foi. Maintenant dans la pratique de la vie c’est entièrement libre. Je suis un peu pus âgé que toi mais la différence n’est pas énorme et donc avec toute notre expérience de vie, quand ce genre de questions arrive, on sait très bien à l’intérieur ce qu’on va faire. On le fait. Et c’est la Voie, c’est juste.

Je te remercie de ta présence également. Nous pouvons discuter ensemble car nous avons eu déjà une longue vie et on sent chez l’un et l’autre, lorsqu’on parle, l’expérience de la vie. Merci.

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