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Hyakujo

Zazen 1

Dans l’histoire du ch’an à ces débuts, Hyakujo a révolutionné la pratique des moines chinois par rapport à celle qui avait été importée d’Inde. Avant lui pour leur subsistance les moines mendiaient, ce qui était la coutume en Inde, mais en Chine le ch’an n’aurait pas pu se développer si largement si cette immense quantité de moines avaient compté entièrement sur la population pour les nourrir, elle qui était déjà pauvre et soumise à des famines répétitives. Hyakujo, de son nom chinois Paï-Chang, qui vécut au 8ème siècle se rendit compte que les règles indiennes du Vinaya n’étaient pas adaptées ni à son pays ni à sa culture. Il décida donc de révolutionner tout cela et d’envoyer ses moines travailler, et ce de leurs propres mains. Les règles de Hyakujo sont assez semblables à la règle de Saint-Benoît. A partir de là s’instaura une pratique où le silence et la méditation allaient de pair avec le travail, à cette époque le travail aux champs, en bref un jour sans bosser, un jour sans manger. C’est encore le cas aujourd’hui où nous pratiquons zazen et partons au travail pour assurer d’une part notre propre existence et celle de nos proches mais surtout pour que notre activité spirituelle ne soit aucunement séparée de notre travail quotidien. En ce sens l’alternance entre la vie spirituelle et la vie quotidienne, commune comme tout le monde, remonte à Hyakujo. Il appliqua d’ailleurs ses règles d’abord à lui-même, ce qui est le premier article de la loi.

Hyakujo vécut jusqu’à l’âge de 94 ans, ce qui nous laisse à tous encore bien de la marge pour pratiquer. Dans sa jeunesse il entra au monastère de sa ville natale et ce ne fut qu’à l’âge mûr qu’il décida de partir en voyage pour rencontrer Baso qui avait 11 ans de plus que lui et qui était déjà très célèbre en Chine. Baso lui demanda bien sûr qu’est-ce qu’il venait chercher ici.

  • Je suis venu chercher la vérité du Bouddha.
  • Que peux-tu donc bien espérer de moi ? Pourquoi ne vois-tu pas que ce trésor est planqué dans ta propre maison, alors que tu cours au loin pour le trouver.
  • Quel est donc ce fameux trésor ?
  • Ton trésor est justement la personne qui me pose cette question. Elle possède tout en elle-même, ne manque de rien et tout ce qu’elle contient est inépuisable.

rHyakujo fut alors touché dans son propre esprit. Lui-même par la suite répondit à un moine qui lui demandait qui était Bouddha : « Qui es-tu ? » Personne ne sait si le moine répondit quelque chose ou se tût. Qu’auriez-vous répondu vous-mêmes ? Je suis Bouddha ? Mais voyez-vous Bouddha, Bouddha Shakyamuni, est quelqu’un d’autre qui vécut à une époque beaucoup plus ancienne, de plus en Inde. Ou alors vous dites je suis Bouddha en pensant à un Bouddha mystique alors même que vous ne savez pas ce que cela veut dire et continuez votre vie entière à vous demander qui est Bouddha. Tout cela vous renvoie à vous-mêmes. De la même façon que Hyakujo décida de ne plus compter sur les autres pour faire pousser ses légumes et son riz, il ne compta pas du tout sur une quelconque croyance où existerait un Bouddha extérieur qui pourrait lui montrer le nirvana, ou lui expliquer exactement ce qu’il ressentit sous l’arbre de la bodhi en voyant l’étoile du matin.

C’est donc seulement en étant réellement vous-même que vous pouvez vous mouvoir dans le monde spirituel et dans le monde de tous les jours sans contradictions ni blocages. Ainsi travailler, manger, pratiquer zazen et pénétrer toutes les profondeurs de votre esprit fait partie de la Voie de notre vie. Aucune séparation entre le monde, la réalité, notre esprit, les êtres, si vous êtes vraiment vous-mêmes et non pas limité par votre ego ou par ce que pensent ou disent de vous les autres, ni même par ce que vous croyez être la Voie des Patriarches. Vous êtes émancipés des contraintes, tout en vivant dans un monde où les contraintes existent, il ne s’agit pas non plus de le nier, mais où elles ne vous enchaînent pas. C’est ce que le Christ je pense voulait signifier en disant : « Je suis dans ce monde mais je ne suis pas de ce monde. » Inutile d’aller chercher la possibilité incroyable d’un paradis.

La plus part du temps nous vivons dans ce monde-là. Aussi est-il important de temps en temps d’en sortir, d’avoir une période plus intense de contemplation, une période d’ermite, pour rétablir la balance, une période où nous pouvons nous retrouver nous-mêmes entièrement, insistant plus sur zazen, sur le silence que sur l’activité extérieure et la parole. Avec ces années de zazen derrière moi, peut-être ce que j’ai appris est que la Voie est simple, inutile de rajouter trente-six compréhensions compliquées, de creuser autre chose ; j’oublie Bouddha, la Voie, les mots, je ne cherche plus à définir ce que veut dire le dharma, j’ai abandonné cela, je suis un être humain comme tout le monde, de temps en temps je remercie par des cérémonies mon maître et tous ceux qui l’ont précédés, qui sont tous mes compagnons de notre vérité intime, je suis heureux d’offrir avec vous de l’encens, de chanter des sutras, de me prosterner devant tout cela dont je fais partie aussi. Lorsque la gangue de terre et de roche est cassée, abandonnée, alors nous pouvons voir le diamant. Mais celui-ci n’est que du charbon transformé. C’est toujours notre vie, mais transformée, charbon, poussière de suie, mine de crayon ou diamant, tout cela est la même vérité. Ainsi le samsara, la vie de tous les jours, le bodhisattva et le simple être humain, le nirvana, la Voie et le dharma et nous-mêmes sont très simplement réunis. Mais cet abandon demande aussi beaucoup d’efforts. Un jour sans efforts, un jour sans Voie, pourrait aussi dire Hyakujo.

Zazen 2

Dans les kusens il n’est pas plus mal de répéter la même chose, sinon tout le monde se dit, oui c’était pas mal mais je ne me souviens plus du tout de ce qu’il a dit. Alors j’ai dit : c’est donc seulement en étant réellement vous-même que vous pouvez vous mouvoir dans le monde spirituel et dans le monde de tous les jours sans contradictions ni blocages. Alors les choses les plus ordinaires, les plus simples seront en elles-mêmes des merveilles. Qu’est-ce que notre Vie ? Un grand koan. Nous sommes plongés dans tellement de phénomènes, à contempler la victoire ou la défaite, à agir, à générer autant que possible du bon karma et non du mauvais, c’est un rythme accéléré et notre vie passe si vite. Et pourtant lorsqu’un moine demande à Hyakujo ce qu’il préférait là au milieu, il répondit : « Le fait d’être assis seul au sommet de cette montagne. » C’est un koan. Quelle est alors pour vous le sommet de la montagne qui anime votre vie ? Si vous résolvez ce koan alors vous pouvez voir que vous êtes réellement vivants et que ce fait-là est la Voie, car si vous la pratiquez c’est que vous êtes vivants.

Quand Hyakujo était tout jeune garçon sa mère le conduisit dans un temple et en entrant elle s’inclina devant une statue de Bouddha. Hyakujo lui demanda en montrant du doigt la statue :

  • C’est quoi ça ?
  • Ça, c’est un Bouddha.
  • Il a tout à fait l’air d’un homme. Alors moi aussi plus tard je veux être un Bouddha.

Bouddha lui-même ne voulait pas être un Bouddha, ni un être extraordinaire ou spécial car sinon, comme les gens sont ordinaires, sans pouvoirs magiques et tout à fait simplement comme ils sont, tous, ils seraient alors totalement découragés. Pourquoi alors rechercheriez-vous Bouddha à la place de tenir sur vos propres pieds. Au contraire au cours de votre vie simplifiez, ne vous embarrassez pas d’un Bouddha.

Hyakujo dit : « Il n’a jamais existé une telle chose comme un Bouddha, aussi ne le comprenez pas comme un Bouddha. Bouddha, c’est de la médecine pour les gens émotionnels ; si vous n’êtes pas malades, vous n’avez pas besoin de prendre une quelconque médecine. Lorsque la médecine et la maladie sont toutes deux dissoutes, c’est comme de l’eau pure ; la bouddhéité est semblable à une herbe douce mélangée dans de l’eau, ou comme du miel mélangé à l’eau, très doux et délicieux. Et pourtant l’eau pure elle-même n’est en rien affectée. » Il ajoute : «  Ce n’est pas qu’il n’y ait rien, car cela a toujours été là. Cette vérité est originellement présente dans chacun. Au début vous n’avez pas reconnu que votre connaissance innée et votre éveil sont votre propre Bouddha, et donc vous vous êtes précipités ailleurs pour chercher Bouddha. Par conséquent vous aviez besoin d’un ami de bien pour vous parler de votre connaissance et de votre éveil innés, comme une médecine pour soigner cette maladie de chercher frénétiquement partout ailleurs. Aussitôt que vous ne cherchez plus à l’extérieur, cette maladie est guérie et il est nécessaire de retirer la médecine. Mais si vous vous attachez à votre propre éveil, alors c’est la maladie du zen, caractéristique d’un disciple fanatique. C’est comme de l’eau qui se change en glace ; la glace est toujours de l’eau mais elle ne peut étancher la soif.  »

Il y a donc une grande différence entre la façon de s’exprimer du bouddhisme indien, avec tous ses êtres magiques, ses dieux, ses rayons de lumière, ses trônes, ses sages et le Bouddha omniscient. Tout cela est néanmoins une œuvre salvifique pour aider les gens et non une vérité que chacun devrait gober. Par exemple dans le bouddhisme originel, Bouddha prononce la noble vérité de sortir de la souffrance, soit pour donner espoir aux gens mais pas seulement. Seuls les idiots ou les mystiques peuvent véritablement croire qu’ils pourront sortir du samsara réel de leur vie, aplanir leurs difficultés, s’échapper et vivre dans une chaise-longue avec un apéritif glacé flanqué d’un petit parasol cucul, ou renaître avec leur corps dans un paradis inconnu. Il s’agit de la souffrance inhérente à la vie dont personne ne peut s’échapper de façon définitive, mais on peut juste la connaître, la vivre et continuer une pratique spirituelle pour l’apprivoiser un peu. Ainsi Bouddha est sans nom, ne peut être exprimé par des mots, il est impossible de pouvoir frapper à la porte de la vérité et que quelqu’un nous ouvre. Mais les gens sont comme ça, comme des papillons avec une flamme, comme des êtres affamés d’infini, des gakis refusant d’abandonner quoi que ce soit, ils essaient d’entrer en relations avec tout sauf avec leur propre transcendance. Même ils seraient prêts à vendre leur âme au diable, sans réaliser qu’il n’y a personne pour l’acheter.

Tout enfant Hyakujo trouve que le Bouddha du temple était tout à fait comme un homme, aussi dit-il plus tard je veux être Bouddha, c’est-à-dire un homme. A part cela croyez-vous réellement qu’il puisse exister quoi que ce soit de plus élevé ? Il nous appartient nous de devenir les êtres les plus élevés pour aider ceux qui ne le réalisent pas et dont la vie est vraiment engluée dans la souffrance. Ceci n’a rien à voir avec qui que ce soit d’autre, s’assoir seul sur la montagne et inlassablement en descendre.

Zazen 3

Un jour un jeune moine décida de sortir de son monastère perché dans la montagne pour partir à la recherche du Bouddha. Sympas et tout en souriant gentiment entre eux ses compagnons de pratique, tous plus âgés lui offrirent des provisions prises sur la réserve du temple pour qu’au moins il ne crève pas de fin en route. Plein d’entrain avec son bâton, son sac de montagne et ses solides sandales, le jeune moine leur dit au revoir et s’engagea sur le chemin caillouteux qui descendait dans la vallée. Il se disait : j’ai le temps, il fait beau, en demandant partout je finirais bien par trouver le Bouddha pour qu’il me confie finalement ce qu’il a vécu ce fameux matin sous son arbre, je veux entendre la vérité de sa propre bouche et mes frères du monastère seront vachement contents aussi de la connaître au lieu de l’imaginer.

Arrivé dans la vallée il croisa un homme sur une charrette tirée par un buffle. C’est l’occasion de commencer à s’informer, se dit-il. Il lui demanda donc : savez-vous où je pourrais trouver le Bouddha ? Le Bouddha, connais pas, lui répondit l’homme. Mince se dit-il, il y a des gens dans ce monde donc qui ne connaissent pas le Bouddha. Peut-être l’avez-vous rencontré sans y prêter attention, c’est un homme très sage qui parle des vérités de la vie. Non, dit l’homme, mais je vais au marché, montez donc dans la charrette et venez avec moi, là-bas vous pourrez vous renseigner. Ainsi dit, ainsi fait, le moine grimpa dans la charrette, tout content d’économiser ses sandales. En chemin l’homme, heureux d’avoir de la compagnie, lui parla de sa vie, de son buffle qu’il aimait bien, de ses champs inondés par le soleil et rafraîchis par la pluie et lui dit qu’il avait beaucoup de chance car en fait il ne lui manquait rien. Il demanda inopinément au moine : et vous, vous manque-t-il quelque chose que vous cherchiez si ardemment quelqu’un d’autre ? Le moine réfléchit longtemps en se demandant ce qui pouvait bien lui manquer mais il ne trouva pas de réponse, son esprit se perdait dans une telle question.

Arrivé au marché il sauta de la charrette et avisa un marchand qui transportait ses caisses de légumes. Celui-ci me semble connaître tout le monde se dit-il, aussi s’approcha-t-il et il lui demanda : « Avez-vous vu le Bouddha ? »

  • C’est qui ?
  • Un homme qui parle du monde de la souffrance et de la non-souffrance.

Le marchand posa sa caisse, regarda le moine et lui dit :

  • Et vous-même comme moine connaissez-vous ces mondes-là ? Si oui, pourquoi voulez-vous le rencontrer ? Et si non comment faites-vous vous-même dans votre vie ?

Le moine se demanda alors franchement comment il faisait lui-même dans sa vie. En fait il ne s’était jamais posé vraiment la question car la vie de son monastère était réglée comme du papier à musique, réveil, méditation, riz, nettoyage des toilettes, préparation du repas, méditation, manger, sieste et même chose l’après-midi. Tout cela était bien mais quand même il y avait comme une interrogation, il faisait tout cela mais n’arrivait pas à en saisir la finalité ; il ressentait comme une vague question intérieure qu’il n’arrivait pas à saisir. Un vague doute le saisit au milieu de ce marché où tout ce monde semblait très affairé et ne pas se préoccuper des mêmes questions. Il se sentit déphasé par rapport au monde. Il se demanda même si son projet de rencontrer le Bouddha était ce qu’il voulait ou si le problème qui le préoccupait n’avait pas sa source ailleurs. Bon, ça passera se dit-il et il se remit en route.

Il visa un monastère, sonna à la porte et demanda : est-ce que le Bouddha est là ?

A une croisée de chemins, un homme se prosternait devant une statue en bois en murmurant des prières. Que faites-vous s’enquit le moine ?

  • Je me prosterne devant cette statue du Bouddha. Comme moine vous devriez le faire aussi.
  • Je cherche le Bouddha lui-même, le Bouddha vivant, dit le moine, pas sa statue.
  • Et que ferez-vous quand vous l’aurez trouvé, lui dit l’homme.
  • Je lui demanderai le secret de la vie et de la mort qu’il a découvert sous l’arbre de la bodhi.
  • Et pourquoi cela vous intéresse-t-il maintenant que vous êtes jeune et vivant ?

Le moine sentit à nouveau comme une sorte de creux dans l’estomac et se demanda en fait pourquoi cela l’intéressait ? Est-ce vrai que c’est ce qui m’intéresse, pensa-t-il même. Ne trouvant pas de réponse, et ne sachant pas quoi faire, il se prosterna également à cette croisée des chemins. Ah ! Ça va mieux se dit-il en se relevant, j’ai faim. A la nuit tombée il se trouvait en pleine campagne, seul, aucun village à l’horizon où dormir. Il se dirigea alors vers une colline avoisinante et fut content de s’appuyer sur le tronc d’un arbre car il commençait à avoir mal au dos. C’est une joie de finalement s’asseoir dit-il, aujourd’hui c’est bon, je continuerai mes recherches demain.

Le matin il se réveilla tôt et pensa : en fait le Bouddha qui doit être également en voyage ne s’arrête pas toujours dans les villages. Peut-être a-t-il dormi comme moi, contre un arbre. Cette idée le fit rire et soudainement par la pensée il s’imagina le Bouddha assis contre un arbre également. Il doit regarder le paysage se dit-il, aussi regarda-t-il le paysage. Il sortit la fin de son pain et le mangea et se demanda : si je trouve le Bouddha, je ne vais quand même pas lui demander s’il a dormi comme moi contre un arbre, que pourrait-il me dire de plus, ni s’il avait de quoi manger en se réveillant. Quelque chose clochait : à la fois il voyait ce qui l’entourait de ses propres yeux, mais aussi à la fois il lui semblait que par la pensée il voyait tout cela comme par les yeux du Bouddha. C’était bien le même paysage et tout à coup il se sentit vraiment vivant, il était là et nulle part ailleurs, ce moment lui apparut comme un instant de sa vie aussi fugitif qu’éternel. Une évidence lui traversa l’esprit : inutile que j’aille le chercher si nous avons vécu la même chose. Puis il songea, le Bouddha vit chaque instant de sa vie et moi je vis chaque instant de la mienne, rien ne nous sépare. Il faut que les moines de mon monastère sachent cela et tout de suite.

Il retraversa la croisée des chemins où tout heureux et sans savoir vraiment pourquoi il se prosterna devant la statue de bois, dit bonjour de loin au marchand du village, courut et remonta le chemin caillouteux menant à son monastère. Il arriva tout essoufflé dans la salle des moines en criant : écoutez, écoutez, j’ai une nouvelle formidable à vous dire : j’ai vu des gens et je me suis endormi sous un arbre, le matin j’ai vécu un bonheur de l’instant parce que la nouvelle c’est que je suis vraiment vivant à chaque instant. Bouddha aussi, bon je ne l’ai pas vu mais peu importe je sais qu’il vit aussi à chacun de ces instants.

Les moines alors tout joyeux éclatèrent de rire, le regardèrent avec beaucoup d’amour et lui dirent : maintenant tu peux t’asseoir avec nous, nous nous prosternerons ensemble, nous mangerons ensemble et nous chanterons les sutras ensemble, avec Bouddha, avec tout le monde, transparents au monde. Et aussi on descendra souvent au village rencontrer les habitants et nous partagerons notre vie avec eux.

Zazen 4

Donc, s’il n’existe aucun Bouddha à l’extérieur, que rien n’est à chercher à l’extérieur non plus, qu’est-ce qui nous pousse de l’intérieur à pratiquer cette voie spirituelle, à nous lever le matin et à faire de notre mieux pour que notre éthique spirituelle passe dans notre vie de chaque instant, pourquoi ? Si rien ne nous manque alors d’où vient cette dynamique intérieure ? Ça c’est une bonne question, et c’est bien pour chacun de résoudre lui-même ce koan et d’acquérir ainsi une connaissance intime de son être. Sinon c’est le monde des zombies. A cela je peux vous dire ce que j’en pense, ce que je ressens profondément et vous en ferez ce que vous voudrez, si ça vous aide tant mieux, si ça vous aide pas laissez tomber et retournez à vous-mêmes, dans votre propre silence.

J’ai trouvé cette phrase de Katagiri que je vous soumets : « Mais souvenez-vous, dans les limites les plus reculées de la vie humaine, plus profondément que notre optimisme, notre pessimisme et notre mysticisme, il existe toujours là une vague douleur non consolée ou un sentiment d’insatisfaction. Il est très difficile de se libérer de cette douleur. Ce n’est pas exactement une douleur, mais une sorte de lamentation silencieuse à l’intérieur. Elle est toujours présente. Souvenez-vous, c’est pourquoi Bouddha dit que la vie est caractérisée par la souffrance. Cette souffrance n’est pas à prendre au sens usuel de souffrance. C’est tout à fait différent. Il n’y a aucune autre façon d’expérimenter cette souffrance réelle profonde sans les trois senteurs de l’optimisme, du pessimisme et du mysticisme. Ceci est le silence vu du point de vue humain. Si  nous voulons connaître qui nous sommes et toucher le réel, le silence, la nature profonde de notre vie, nous devons être ce que nous sommes réellement. Comment ? Asseyez-vous en zazen, c’est tout. C’est pourquoi zazen est si important pour nous. Le silence signifie que vous devez être ce que vous êtes réellement – ce qui est juste vous-mêmes. Si nous voulons connaître une vraie vie spirituelle, nous devons nous sentir comme nous sommes réellement. Il n’est nullement nécessaire de se coller aux formes et aux règles. Tout ce que nous avons à faire est de nous sentir tels que nous sommes.» N’est-ce pas merveilleux. Un cadeau de Katagiri. Le Bouddha est notre vie de tous les jours.

Ainsi si nous voulons savoir qui nous sommes réellement, nous devons prendre soin de notre vie, chaque jour. Mais ne pas ignorer les autres, il s’agit de prendre soin de sa vie avec tous les êtres. Si jamais vous utilisiez le bouddhisme pour votre propre moi, jamais vous ne seriez satisfaits. Comment pourriez-vous manger une glace un jour de grande chaleur au milieu d’un groupe d’enfants sans en offrir une à chacun. Alors vous pourriez vraiment profiter de votre glace. Prendre soin de sa vie est prendre soin de chaque action, tous les jours, au milieu du royaume de l’impermanence. Tout apparaît, tout disparaît, c’est à chaque instant que nous devons prendre soin de notre vie avec tous les êtres. Il n’y a ni avant, ni après, la vie est juste maintenant. Ratez un instant, il ne reviendra jamais. Bouddha doit continuer à s’assoir sous l’arbre mort, ceci est notre zazen. Et en alternance, il fait le mieux qu’il peut, prenant soin de ce qu’il rencontre et de qui il rencontre. C’est le chemin, la Voie, nous n’avons qu’une vie faite de chaque instant, il faut s’éveiller maintenant.

Dans la vie avec zazen, avec notre don, il faut voir la plus haute dimension humaine. Nul besoin à mon avis d’aller chercher plus loin, que pourrait-il y avoir que la plus haute dimension humaine. Celle-ci est en elle-même une dimension religieuse car elle réunit notre vie avec la vie de tous les êtres. Bon, c’est merveilleux, arrivons-nous à pratiquer cela ? Il faut dire : oui, c’est vrai, oui c’est la foi et continuer, les mérites arriveront un jour dans les générations futures peut-être même. Mais sans cela comment allez-vous conduire votre vie ? Arroser continuellement les racines de bien demande des efforts, et encore des efforts, chacun doit savoir ce qu’il doit faire pour faire face à son miroir, honnêtement, sincèrement, sans s’échapper. Ce sont les grands vœux du bodhisattva.

En même temps nous prenons soin de notre propre souffrance existentielle, de notre propre être qui est vraiment le cœur de notre vie. Comme disait Etienne : « C’est le soi qui rencontre le soi. » Nous pouvons être satisfaits au-delà même de nos espérances car cette satisfaction s’inscrit non dans notre ego mais dans une dimension universelle. Aussi le zazen n’est-il pas une activité comme une autre dans notre vie, quand nous avons le temps ou rien d’autre à foutre, mais vraiment le pilier de notre vie pleine et en totale interdépendance avec le monde que nous avons, avec notre monde. Seul à le faire mais avec tous les êtres, prendre tous les êtres pour s’assoir au sommet de la montagne. Bon voilà je pense avoir dit pourquoi nous pratiquons zazen, cela vient de l’appel profond de notre être qui désire l’ultime dimension humaine à laquelle il puisse tendre, avec tous les êtres.

Zazen 5

Je termine avec Hyakujo qui dit : «  L’enseignement complet traite de la pureté ; l’enseignement incomplet traite de l’impureté. L’enseignement incomplet explique la souillure au sein des choses impures pour éliminer le profane ; l’enseignement complet explique la souillure dans les choses pures pour éliminer la sainteté. Dans le monde de la réalité où tout est tel qu’il est de façon égale il n’y a pas de Bouddha ; personne n’est là pour sauver les êtres vivants. Un Bouddha ne demeure pas dans la bouddhéité ; ceci est appelé le champ réel des bienfaits. »

Cela veut dire qu’il n’y a pas d’autre Bouddha, qu’il n’y a personne d’autre pour sauver les êtres, il n’y a que nous-mêmes pour les sauver dans la réalité. On peut toujours imaginer des Bouddhas flamboyants et sauveurs, cela a peut-être un effet salvifique, il vaut mieux que les gens fassent des offrandes humblement au Bouddha plutôt qu’ils se battent, il vaut mieux qu’ils construisent des temples, des stupas et des monastères pour un Bouddha plutôt que des arsenaux et des fabriques d’armes, et il vaut mieux qu’ils se prosternent devant une statue de bois plutôt qu’ils continuent à être arrogants et egocentriques, ce sont des moyens salvifiques. Mais dans la réalité il n’y a que nous-mêmes qui faisons des dons de façon totalement désintéressée ou pour aider des personnes, il n’y a que nous-mêmes qui nous prosternons devant nous-mêmes et devant tous les êtres, et seulement nous-mêmes qui essayons de réaliser dans notre vie l’éthique la plus haute, la dimension la plus élevée, parce que cela fait partie d’une vie humaine consciente et éveillée.

Nous ne sommes plus à l’époque indienne, ni chinoise, ni japonaise de Dogen, tout cela est intéressant, porte en lui-même de grands enseignements salvifiques et aide notre compréhension de nous-mêmes. Mais l’essence, la source spirituelle, cet enseignement absolu ne se trouve pas là, il se trouve au fond de notre être, comme l’amour, la compassion, le désir, la vision transparence, l’éveil. Il suffit de le réaliser, c’est-à-dire de s’en rendre compte vraiment. La véritable quête est intérieure, le Graal est notre esprit. Tout cela est vivant dans notre silence, notre posture droite, notre respiration tranquille, notre zazen. Aussi continuez à pratiquer la Voie réelle d’un être humain, tant que vous êtes vivants. C’est simple il n’y a qu’à continuer et tout se découvrira de lui-même. Nous possédons cette source inextinguible, même si vous utilisez beaucoup d’eau, celle-ci coulera toujours et se renouvellera d’instant en instant. Il n’y a pas à avoir peur.

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