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Faire le vide

Zazen 1

Pour cette sesshin, j’ai trouvé une phrase de Wanshi qui m’a frappé :

« Faire le vide de la sensation de son existence propre est merveilleux ».

C’est ce que nous pouvons réaliser lors d’une sesshin. Au dojo les zazens du matin sont plus courts, on est pris par beaucoup de choses, la journée va s’installer, on est pris dans l’existence. L’existence est souvent associée à une certaine lourdeur. Ainsi retrouver la légèreté, la liberté et ce qui peut être réalisé lors d’une sesshin « faire le vide de la sensation de son existence propre est merveilleux.

C’est à dire ne pas s’attacher à son existence propre. Atteindre cet esprit de clarté dans la légèreté et couper avec notre esprit connu qui nous habite aussi : désirer se raccrocher à la sensation de notre existence comme si nous la possédions tout seuls, comme si nous étions uniques. Bien entendu selon qu’on arrive à se libérer de l’attrait de la sensation de son existence propre on sort alors du monde où on le voit uniquement à travers notre moi.

Il ne s’agit bien sûr pas de faire le vide intégral de notre existence ou le vide de notre vie sinon on ne fait plus rien du tout mais il s’agit du skanda des sensations, des sentiments, de l’esprit.

Vivre libre est d’abord ne pas être obnubilé avant toutes choses par le fait qu’il s’agit que c’est moi qui existe. Une façon de voir les choses sur le monde différente, se libérer de l’emprise du désir d’être attaché à son existence propre. Des fois les gens voient le monde à travers leur ego et essaient de la changer pour le mettre aux normes de leur propre ego aussi bien dans la vie de tous les jours que dans le zen. Il s’agit d’une question d’esprit qui à son tour définit la façon dont on voit la vie et dont on la mène. Désirons-nous augmenter le poids de notre existence ou en augmenter la densité religieuse.

Tout cela est contenu dans cette phrase de Maître Wanshi : « Faire le vide de la sensation de son existence propre est merveilleux. »

Zazen 2

Comment peut-on relier ce que nous pratiquons, le zazen, à la sensation de vide de notre existence propre et à ce sentiment merveilleux de liberté. L’essentiel du zazen est soutenu par la posture et la respiration. Si vous prenez vraiment soin de la posture de votre corps, de toutes ses parties, êtes naturellement conscients du va et vient de votre respiration, si vous faites cela de façon renouvelée et à chaque respiration, alors les pensées n’apparaitront pas ou en tout cas beaucoup moins. De façon naturelle votre esprit est concentré dans votre corps, sur la posture et sur cette vie, cet oxygène de chaque respiration. Ce sont les deux piliers. Si vous perdez contact avec la présence de votre équilibre affirmé et de votre douce respiration alors là les images, les phantasmes, les pensées ou l’endormissement vont surgir.

Le sentiment de vide de son existence propre par rapport à une lourdeur écrasante lors de certains phénomènes de notre existence, ce sentiment peut être vécu, intensément pratiqué en rendant la posture du corps aérée, claire, tonique et d’une certaine façon légère et transparente, tout le contraire que de se laisser affalé. C’est la raison pour laquelle on dit : tendez la colonne vertébrale. Il ne s’agit pas de se mettre au garde à vous mais bien de ne pas laisser son corps s’affaler dans une lourdeur inactive. En tendant bien la colonne vertébrale, le ventre est libéré, libre, il n’est pas tassé sur lui-même et tout cela correspond à un élancement du corps propice à nous pénétrer d’un sentiment de légèreté de notre existence en ce moment. Le contraire serait le poids du corps qui pèse sur les fesses et le zafu. Il est donc primordial d’avoir une forme d’attention éveillée pour que tout notre corps soit élancé et qu’aucune partie, ni nos organes, ni notre nuque ne soient simplement tassés comme si nous nous laissions porter une enclume.

C’est un équilibre dynamique, il faut toujours le renouveler à chaque respiration. Si vous vous absentez dans votre respiration, en zazen, alors vous laissez la place aux pensées récurrentes. Non seulement vous n’êtes plus présents en zazen et risquez de ne pas l’être également dans la vie quotidienne, donc vous vous dirigez dans un monde imaginaire dans lequel vous risquez de vous échapper et donc ne retirez pas l’enseignement d’être présents à chaque instant. Le corps libre, élancé, n’est plus pesant, il est comme vide de poids, vide de poids de l’existence. Tout ceci est une expérience. En libérant le corps et la respiration, on libère le poids. C’est à dire on abandonne ce qui nous pèse et on se retrouve par rapport aux soucis, aux phénomènes, au dharma, comme libéré. Par exemple si vous êtes hyper constipés et que finalement vous allez aux toilettes, après vous vous sentez vides. Voilà en zazen on se sent aussi vides, vides de son existence propre.

De façon naturelle, sans forcément l’attraper avec notre conscience, ou avec le désir de savoir ou d’expliquer, de façon naturelle on se retrouve comme toutes choses vivant simplement dans l’instant. En ce sens nous sommes alors certifiés par toutes les existences ce qui veut dire qu’il n’existe plus de barrières de l’ego, du mental, de nos obsessions, ou notre échappatoire dans l’imaginaire qui nous en sépare, la route est entièrement ouverte et on est comme une forme de vie et non plus un moi sur son cul. Le sentiment de la posture bien équilibrée, de notre respiration vivante et que le reste dans l’instant est abandonné, est alors également un sentiment merveilleux. C’est comme toutes choses, si on répète, répète, répète encore, comme poncer une planche, à la fin elle est parfaitement lisse, tailler un diamant qui va rayonner, notre esprit aussi est lavé, devient pur et sans même avoir besoin de se le dire on ressent alors un calme libérateur, une transparence de l’être.

C’est véritablement pratiquer la phrase de Wanshi : « Faire le vide de la sensation de son existence propre est merveilleux » et c’est en fait la pratique de zazen. Il faut se laisser aller à cette finesse de la pratique, à cette délicatesse du corps, à ce calme amical à l’intérieur de nous-mêmes, de l’esprit.

Zazen 3

Si vous dites à quelqu’un du monde commun qu’il est merveilleux de se libérer de la sensation de son existence propre il va être comme perdu et ne va rien comprendre. C’est parce qu’ici on parle du zazen, c’est à dire du vrai zazen transmis par les Bouddhas et les Patriarches, de ce qui est appelé le samadhi du miroir précieux, le samadhi des infinies significations, très différent de ce que les gens vivants uniquement dans les affaires mondaines appellent la méditation, une sorte d’auto-hypnose du bien-être. Le zazen est une Voie du corps-esprit en paix, sans but.

On se dit : on parle du zazen mais si on parlait de la méditation on aurait plus de monde. Et alors ? Faut-il grossir les rangs des dojos avec des gens qui cherchent à accrocher une illumination, à se débarrasser des illusions mais seules celles qui les ennuient et qui veulent à tout crin attraper la vérité sans se jeter dans le feu. Ceci n’a rien à voir avec la pratique transmise par les Bouddhas et les Patriarches. Nous ne pratiquons pas dans le but de nous débarrasser de nos illusions, ou d’attraper l’illumination mais nous pratiquons le dharma de la réalité de la vie. C’est à dire que nous voyons nos illusions mais il n’es reste pas moins que le zazen est une pratique de la réalité de la vie et c’est pour cela qu’il faut coller au corps, à la respiration, à la posture sinon on s’échappe dans les illusions d’éveil factice. Pour cela il faut toujours résider dans une clarté attentive.

Il ne s’agit pas d’espérer, ou de courir après quelque chose mais bien de pratiquer assidûment une clarté de l’esprit, c’est à dire faire un effort pour éviter qu’il ne divague sur n’importe quoi et que nous soyons conscients de notre existence au sein de toutes les existences qui nous entourent. Si tout cela n’étaient que des grandes idées, qui sont justes d’ailleurs, elles resteraient en l’air, dans des livres, dans quelqu’un qui parle, comme une symphonie que l’on ne joue jamais mais qu’on imagine en regardant une suite de notes noires. Tout cela il s’agit de la pratiquer, de le vivre, la clarté attentive, les efforts, l’abandon de tout voir à travers le miroir de son égocentrisme. Et pourquoi ? Je pense pour ce qui vous importe le plus, pour ce que vous désirez intensément, comme le sens de votre vie et votre attitude face à la mort.

Quel est l’idéal le plus élevé que vous désirez réaliser ? Qu’est-ce que c’est pour vous d’être entièrement satisfaits ? Tout en étant ancrés aussi dans la vie réelle.

Quand on dit sans but cela signifie sans but personnel, c’est sans vouloir attraper quelque chose uniquement pour soi. Pour cela il y a de multiples autres possibilités d’illusions d’obtenir l’éveil pratiquées par beaucoup, et parfois par nous aussi. Mais fondamentalement zazen est le désir profond d’être entièrement nous-mêmes. D’autres diront le désir le plus profond est la liberté, la liberté de soi-même, se libérer de soi-même, être libéré de la contrainte de son propre moi. Au fond de nous-mêmes ce que l’on désire véritablement est inexprimable, ne peut être réduit à un objet quelconque. On désire au-delà des Bouddhas et là, c’est le vide de la sensation de notre existence limitée et si on ne voit que cela, oui, absurde.

J’essayais de faire parler l’une de mes sœurs sur sa vie et elle me dit la chose suivante, un peu tout ce qu’elle avait fait et elle ajoute : « Tu vois j’aurais quand même bien voulu une récompense. » Vous voyez ce que peut vouloir dire abandonner, et s’adresser à soi-même. Découvrir cette joie intérieure de la tranquillité de l’esprit qui ne cherche à rien attraper et qui ne désire pas plus.

Respirer librement, se redresser, est au-delà de la récompense. Bien sûr si dans le zen on distribuait des sucettes il y aurait plus de monde mais qui se contenterait d’une sucette ? On dit la Voie, cette forme de désir d’absolu, bodaishin, est à la fois le début et la fin d’une vie religieuse. On est bien sûr loin des méditations de bien-être, on est dans une dimension qui est toute celle de notre corps, de notre esprit, de ce que l’on vit, d’une vision du monde. Comme disait Daishi, le problème de la vie et de la mort est le plus important. Faire face à cela est justement la libération et toucher un peu, pour nous aussi, ce qui est merveilleux.

Aussi le vrai zazen transmis, le samadhi du miroir précieux est justement tout ce qui permet de réaliser pratiquement avec nos os, nos muscles, notre tronche, nos organes, avec tout ce que nous sommes physiquement, spirituellement, de pensées, avec tout cela, avec notre vie éphémère, d’utiliser tout cela pour réaliser ce que nous désirons le plus pour tous. Mais dire : qu’est-ce que c’est ? Même Vimalakirti a gardé le silence.

Zazen 4

Donc Maître Wanshi  dit : « Faire le vide de la sensation de son existence propre est merveilleux. » Il continue : « La pratique de la réalité véritable est simplement de s’asseoir sereinement dans l’observation silencieuse intérieure. Lorsque vous avez approfondi cela vous ne pouvez être perturbés par des causes et des conditions extérieures. Cet esprit vide – ce qui veut dire que l’esprit n’est ni attaché sur une chose ni sur une pensée, il est largement ouvert et libre sans être focalisé sur quoi que ce soit – vous illumine de façon subtile et juste. Remplis de votre espace intérieur soyez satisfaits sans être perturbés par le désir d’agripper quelque chose, dépassez votre comportement habituel et réalisez le soi, le dharma, qui n’est possédé par aucune émotion. »

C’est le zazen de l’illumination silencieuse. Cet espace intérieur, nous-mêmes, est créé par la posture du corps que l’on observe doucement, que l’on garde vivante, dynamique, par la respiration, l’expiration tranquille et le calme de l’esprit. C’est une unité, posture, respiration, esprit, également l’environnement, pratiquer ensemble, élargissant à la grande sangha, à tout ce vit, bouge, emmené dans l’impermanence. Automatiquement le désir d’agripper quelque chose à laquelle on puisse se retenir, fixer quelque chose mais c’est impossible. A la fois on vit cette paix intérieure mais on est aussi pris dans le courant de l’impermanence. Dans notre comportement habituel tout ceci peut déclarer des peurs, des grandes émotions ; en zazen toutes ces vagues se calment et on se retrouve en unité avec nous-mêmes.

Quand on dit zazen, shikantaza, simplement s’asseoir il y a également toute cette dimension intérieure qui participe. Mais également par la posture juste et l’esprit calme et lucide on peut alors vivre ces instants en dehors des souillures, c’est à dire du comportement égoïste habituel que nous avons tous. La réalisation de l’éveil est à la fois immédiate dans le zazen et demande également de grands efforts durant toute la vie. Avec cette pratique cela se fait naturellement si on abandonne le sentiment et la volonté limitative de vouloir résider uniquement en vue de notre existence propre où notre esprit est attaché à cette forme. Ce qui est merveilleux est justement de vivre cet esprit vide. Il y a toujours l’esprit mais il n’est pas collé sur quoi que ce soit, il est donc libre. Par la posture en équilibre le corps également est libre. A partir de cet état à la fois calme et lucide nous pouvons retourner vers l’action et faire face aux événements.

Ceci n’a donc rien à voir avec le fait de pratiquer une discipline méditative pour être plus efficace dans la gestion des choses, ce qui n’est que la marque d’un esprit avide. On ne pratique pas zazen pour quelque chose, on pratique zazen parce qu’on est éveillé, parce qu’on est vivant, parce qu’on désire réaliser cette unité. Mais comme le comportement habituel revient toujours au galop nous recommençons la pratique de zazen, toujours, encore, assidue, continue.

Si vous prenez par exemple un international de basket. Vous le voyez jouer, tout a l’air simple. Après les gens croient que le basket c’est simple il suffit de prendre le ballon, de dribbler, de tirer au panier et on gagne. C’est un peu comme pratiquer zazen de temps en temps et penser pouvoir posséder l’esprit d’effort de Bodhidharma, d’éveil du Bouddha. Si l’éveil est immédiat et que nous sommes tous éveillés au départ, il apparaît immédiatement à chaque instant au cours d’une vie de longue pratique. De même dans la vie quotidienne pour s’accorder avec toutes choses, faire face aux événements et les gérer, tout cela demande un esprit large et une pratique et des efforts profonds.

De même pour réaliser entièrement ce que dit Wanshi  « Faire le vide de la sensation de son existence propre est merveilleux. », pour que cela soit merveilleux et non pas seulement des efforts emmerdants il faut arriver à comprendre que son existence propre n’est qu’une forme du dharma et en être émerveillés car libres de la lourdeur du corps et de l’esprit. Tout cela demande une pratique dans toute sa vie. Nul ne peut s’approprier cette réalisation sans grands efforts. Mais voilà pour l’homme et la femme de foi, empreints de la Loi, ces efforts sont légers. Pour l’homme sans foi ces efforts sont très lourds.

Vivre l’esprit large, entier, sans compter sur les autres est au-delà des efforts ainsi ceux-ci sont-ils naturels. Ainsi est-il possible de réunir le zazen et ce que nous faisons tous les jours, tout cela devient la pratique de la réalité véritable.

Zazen 5

« Persévérez, cultivez et nourrissez-vous vous-mêmes – c’est à dire profitez de tout phénomène pour en tirer un enseignement – jetez un regard clair sur vous-mêmes et aussi profitez, prenez soin de votre vie de façon établir solidement maturité et à réaliser stabilité. Si partout vous vous trouvez en accord avec une parfaite clarté de l’esprit et si vous faites preuve de souplesse sans être dépendants de doctrines, comme un chat sauvage, vous pouvez être appelé une personne à part entière », dit Wanshi.

Evidemment un chat sauvage ça n’a rien à voir avec un chat domestique. Il vit dans un monde où il doit faire attention à tout, se glisser dans le paysage, totalement indépendant, toujours en mouvement. A la fois être souple, ne pas tomber dans le travers où on ferait du zen une doctrine, une statue de chat, mais toujours une pratique vivante. Chacun fait un pas, personne ne peut dépendre dans son approfondissement de la pratique de son corps et de son esprit, de sa maturité, c’est à dire porter soi-même, personne ne peut atteindre cela uniquement par l’avis de quelqu’un d’autre, ni en imitant, ni en étant domestiqué. Par le terme sauvage il faut aussi entendre libre, il ne s’agit pas de se comporter comme un sauvage, mais libre avec une grande clarté sur soi-même. Ne pas faire comme si on n’était pas là, ne pas s’absenter mais faire face à notre réalité.

La pratique de zazen est vraiment toute une façon de vivre, tout une pratique de vie, ce n’est pas qu’un code doctrinal même si les rites sont importants. Il y a là tout le développement et l’approfondissement de notre personne humaine. Réaliser stabilité à la place d’être ballotté trop dans les phénomènes et maturité, pratiquer un zen adulte. La stabilité n’est pas rester sur place mais c’est trouver le point stable entre les extrêmes. Par exemple nous sommes tous confrontés à des responsabilités, elles peuvent être légères mais aussi nous coller à la peau et même des fois nous ronger. On sait qu’on doit les porter, tout le monde. En même temps il y a cette voie du zen qui dit : lâcher prise, abandonner, tout n’est que phénomènes, transitoire, impermanents, des causes, des conséquences qui apparaissent et qui disparaissent. Oui mais aussi au milieu de toute cette impermanence, nous portons des responsabilités. Comment allier à la fois cette responsabilité dans la vie et lâcher prise ?

La logique du zen est toujours la même : à la fois la responsabilité et à la fois lâcher prise, à la fois la stabilité et à la fois la souplesse, à la fois la maturité et à la fois la jeunesse d’esprit, à la fois le côté masculin, l’organisation, le raisonnement, et à la fois le côté féminin, relationnel, sans rigidité, à la fois le corps et l’esprit, à la fois le mouvement vers l’extérieur, faire ce qu’on doit faire le mieux qu’on peut, respecter les kai, parce qu’ils sont notre pureté, et aussi vers l’intérieur où à la fois nous sommes faces à la solitude et au bonheur tranquille. Il s’agit donc de trouver le point de stabilité entre de multiples éléments et non pas se planter sans bouger.  Wanshi dit : trouver un accord avec une parfaite clarté. Une parfaite clarté à chaque instant sur ce que l’on vit, sur ce que l’on fait, notre monde, d’où on vient et où on va. Avec tout cela on peut avancer comme un chat sauvage. Un chat sauvage même dans un magasin de porcelaines ne cassera rien. Une personne sans clarté sur elle-même finira par faire des faux mouvements et cassera des verres.

Comme disait Maître Deshimaru dont nous fêtons le cinquantième anniversaire de la venue en Europe cette année : il faut à la fois embrasser tous les phénomènes, embrasse tout ce qui est humain en nous et embrasser la Voie, la Loi, le Dharma.

Il est chouette que Maître Wanshi ajoute : « Ainsi entendons-nous que la Voie agit. » Si on fait quelque chose le Dharma agit, si on ne fait rien il n’agit pas. Si on n’appelle pas les pompiers la maison continue à brûler. Donc la Voie, la Loi, le Dharma, agit mais avant de la réaliser nous-mêmes, nous nous trouverons encore face à de grandes difficultés. J’aurais tendance à ajouter : toujours. Là encore le point de stabilité, de maturité, entre le grand désir de la Voie tranquille et que cela s’accompagne comme pour tout le monde de grandes difficultés. C’est comme ça la Loi, il y a des grandes difficultés, trouver l’enseignement pour soi-même sinon on n’avance pas. C’est pourquoi les voies religieuses sont aussi appelées la Grande Affaire, le grand travail, la grande Voie, parce naïvement on pourrait dire : il faut tout voir, tout faire, tout éclaire en même temps.

D’autre part il nous faut aussi réaliser que si nous ne sommes pas d’accord avec ça, que faisons-nous ? C’est une grande question. Si on est d’accord avec ça alors on peut trouver pas forcément un bonheur stupide et des vacances sur la plage avec des palmiers et une eau magnifique mais on peut trouver la satisfaction réelle d’être vivant sans s’attacher à son existence propre. C’est la maturité, la stabilité dynamique mais les grandes difficultés en font partie. Vous connaissez bien cette phrase de Deshimaru : un bodhisattva saute dans l’eau sans être mouillé, saute dans le feu sans être brûlé, sauter dans la réalité  de l’existence, dans les illusions, dans les phénomènes sans peur.

La pratique du zazen ne supprime pas les phénomènes, ne supprime pas le feu, ni l’eau qui envahit la terre. Un jeune disciple dit à son maître : « Mais enfin toute ta pratique ça n’est pas cela qui fait lever le soleil tous les matins ! » Et il répond bien sûr que non, mais dit-il : « Avec toute ma pratique je peux le voir se lever. » Avec toute notre pratique, qui n’est pas seulement une activité comme une autre, nous pouvons aussi voir notre vie se lever. Ainsi nous pouvons être appelés une personne à part entière.

Zazen 6

Ce que les Bouddhas et les Patriarches ont transmis exactement n’est rien d’autre que le zazen. En effet la Voie, le Dharma, emplissait déjà tout l’espace depuis des temps immémoriaux de la même façon que la clarté de la lune existait bien avant qui quiconque la regarde. Donc la Voie n’est pas ce que les Patriarches transmettent. Comme dit  elle remplissait déjà tout l’espace avant même que les Patriarches n’apparaissent. Comme une conséquence immédiate et évidente, personne ne peut bien entendu prétendre s’approprier la Voie de Bouddhas. Les gens du commun croient qu’ils peuvent s’approprier beaucoup de choses, de la notoriété, de la gloire, du pouvoir, des récompenses, beaucoup d’apparences, beaucoup de persona, beaucoup de peinture sur la surface. Par voie de conséquence les gens viennent à penser que le zen, la Voie est quelque chose qu’ils peuvent attraper, obtenir, comme des fleurs, de la poussière, des billets.

La Voie des Bouddhas n’a aucune caractéristique, la vie spirituelle ne peut pas être imitée de quelqu’un d’autre, on ne peut abandonner que son propre corps-esprit. Dans toute la pratique de zazen il s’agit de la vivre. La présence claire du corps-esprit est notre vécu. Ne pas s’attacher à cette peinture mondaine, comme le zen présenté dans les magazines, mais plus profondément affronter notre point ultime et vivre en unité avec nous-mêmes et en suivant le rythme de toute la terre est appelé être un Patriarche.

La posture peut être expliquée, transmise, la respiration, ne pas se fixer sur ses pensées, tout cela peut être expliqué mais abandonner le corps-esprit, abandonner qu’il y ait quoi que ce soit que l’on puisse accrocher ne peut être ni transmis, ni donné, ni attendu de qui que ce soit d’autre. La Voie elle-même comme le zen, le Dharma, est insondable. C’est la pratique qui est humaine. Et pourtant l’être humain peut être habité par la nature des choses, l’ordre des apparitions et des disparitions et au milieu de toutes ces causes et ces conditions qui règlent sa vie avec sa pratique intérieure, au sein de tout cela il peut réaliser son éveil. Et là, tous les textes non pas disparaissent mais sont évidents et comme dit  aucun grain de poussière ne nous est alors étranger.

Réaliser qu’il n’y a nul endroit dans lequel le Dharma ne soit pas présent et que nous en faisons totalement partie comme toutes choses, comprendre que tout en étant vivant, en mangeant chaque jour et en faisant les choses il n’y a aucun moment ni aucun lieu où nous pourrions être en dehors de la Voie, en dehors du Dharma. Il serait hyper dommage que quelqu’un pense que tout le Dharma est seulement zazen, il se couperait de la plus grande partie de sa vie. C’est comme pour apprécier de voir le soleil se lever, pour apprécier la présence du Dharma partout, dans tout ce qu’on fait, de le vivre dans notre corps, notre esprit, notre respiration, tout ce qui fait la joie de vivre, il y a la pratique de zazen qui nous fait voir tout cela.

La pratique du zen dans la vie, pour autant qu’on arrive à voir ce qu’elle est véritablement en nous-mêmes et qu’on arrive à la déceler dans chaque chose que l’on fait par l’attention qu’on y porte, est un regard, un éclairage, une illumination, tout ce que l’on fait devient illuminé. Ce n’est pas que nous-mêmes, notre ego, moi, deviennent une ampoule électrique ou que ce soit notre moi qui s’illumine ou que notre ego puisse exploser, c’est réaliser que nous sommes illuminés. Nous acceptons de nous laisser éveiller par toutes les richesses dans le Dharma. On peut dire c’est sortir du monde de l’ombre pour le monde de la lumière tout en sachant qu’il n’y a pas de lumière sans ombre et pas d’ombre sans lumière. Mais au moins sortir de l’ombre totale où il n’y aurait que ça. D’autre part où existe la lumière, l’ombre n’existe pas. Voilà le sens d’éclairer son esprit.

L’éveil est éclairer son esprit. Eclairer sa vie, éclairer ce qu’on fait, arrêter d’être une marionnette, abandonner le corps et l’esprit, tout cela est exprimé dans « faire le vide de la sensation de son existence propre est merveilleux. » A la fois existence et vacuité. S’éveiller, arrêter de s’endormir dans l’obscurité. Toute notre pratique religieuse est de passer de l’obscurité à la clarté vivante. Cette réalisation est le travail de chacun, il ne peut être transmis par quelqu’un d’autre.

Zazen 7

Que se passe-t-il lorsque l’on a réalisé vraiment dans notre corps aussi qu’on ne s’attache plus constamment à son existence propre, ce qui correspond à se libérer de soi-même, de sortir de sa coquille, de laisser tomber son armure, comme disait Etienne : « Laissez tomber votre manteau de roi et vos guenilles de mendiant. » On peut dire que se passe-t-il lorsqu’on a réalisé qu’on n’est pas seul et qu’on fait partie du monde. Bien entendu la Voie du bodhisattva ne s’arrête pas là. Ensuite Wanshi dit : « Retournez-vous et entrez dans le monde. Parcourez et jouez dans le samadhi. Les personnes de la Voie voyagent à travers le monde en faisant face aux conditions sans peur et sans contraintes comme des nuages libérant finalement la pluie, – c’est à dire comme des personnes de la Voie libérant finalement leur compassion pour tous – comme le clair de lune suivant le courant sans s’attacher à rien, comme des orchidées grandissant à l’ombre – c’est à dire sans ramener son moi, – comme le printemps surgissant dans tout – c’est à dire avec joie – ils agissent sans pensées et avec certitude. Ceci est la façon dont les personnes accomplies se conduisent. »

On va dire le comportement devient totalement libre, naturel, l’action dans le monde est immédiate, aucun doute ne subsiste, il n’y a plus de fossé entre une personne et ses actions ou entre elle et les autres, totalement naturelle, pas de besoin de réfléchir ça jaillit comme le printemps. Et ensuite ils doivent terminer leur voyage et suivre les Patriarches, marchant devant et s’abandonnant eux-mêmes avec innocence. Ce qui veut dire aider chacun, montrer la pratique de la Voie mais sans ramener son ego et s’abandonner eux-mêmes à la nature des choses.

En termes très simples, d’abord voir et comprendre que l’on ne peut se libérer si on continue à s’attacher à son existence propre et qu’il s’agit de s’ouvrir à la clarté de la non-existence, du non né, de la non-mort, c’est dire des apparitions, des disparitions, des changements, de l’impermanence de toutes choses. Il ne s’agit pas seulement de se libérer soi-même ce qui est déjà beaucoup quand on pense à notre vie, à ce qui coince, ce qui nous sépare de note humanité. Déjà se libérer de ça c’est merveilleux dit Wanshi. Il est alors possible de se tourner vers le monde sans écran, sans voir le monde comme la plupart des gens toujours à travers soi-même, voir les choses de façon immédiate.

Un exemple entre des multitudes : voyez aussi la liste pour s’inscrire aux sesshins, immédiatement, sans réfléchir à son moi, immédiatement. Ca va avec la joie de l’éveil. Ceci fait partie des choses qu’il faut pratiquer, sinon si on ne les pratique pas on reste un peu à côté. Suivre les patriarches, être un patriarche, marcher devant sans jouer au tambour major, mais simplement.

Avec cet esprit éveillé, cette clarté de l’esprit, vous pouvez faire face à tout sans que vous soyez limités par des pensées décousues, d’attachements à ceci ou cela, ou de peurs, d’enfermement, d’échappement, comme tout le monde, mais faire face à tout avec liberté. Une chose aussi est importante pour chacun : approfondir ce qu’est l’existence et la non-existence. Ainsi partout, dans toutes choses, dans chaque action, tout cela est vécu et dans chaque chose apparaît cet éveil intime. On peut avoir une vie éveillée. Tout cela est merveilleux mais comme disait Wanshi: nous serons toujours et encore face à de grandes difficultés et pourtant en même temps, même au milieu du samsara, même si on retombe dans l’attachement de son existence propre, existe cet éveil intime. Tout cela est vivant, tout cela est une expérience, l’expérience de la vie religieuse. Cette intimité délicate dans chaque geste.

Dans une sesshin faites attention à avoir des gestes délicats, pour comprendre toute cette délicatesse, cette intimité, cette présence du corps-esprit léger dans chaque chose, la meilleure façon de le comprendre est de le pratiquer. Apporter de la délicatesse dans chaque geste : ne vous cramponnez pas au bâton du mokugyo ou de la cloche, mais faites résonner la cloche délicatement.

Zazen 8

En fait dans la compréhension du zen tout est évident. Alors pourquoi les gens n’arrivent pas à s’ouvrir à cette vision évidente ? Il y a l’impermanence de la vie, elle est inévitable. Il est donc évident qu’en principe il n’est pas possible de s’attacher à quoi que ce soit. Au  milieu d’une vie si courte entre l’apparition et la disparition, comment considérer que l’on puisse véritablement posséder quelque chose ? Y compris même la réalisation de l’éveil. Tout cela est facile à comprendre mais plus difficile à digérer. Jusqu’à ce que nous n’ayons plus même un petit relent d’attachement à l’intérieur, que nous ne soyons plus retenus par quoi que ce soit, la soif, la peur, les autres, l’image de nous-mêmes, les espoirs impossibles, jusqu’à ce que nous ne soyons plus noués, emprisonnés dans la multitude de phénomènes qui gravitent des fois comme des vampires autour de nous, il faut arriver à réaliser d’abord des choses simples, accepter cette impermanence.

Si vous êtes sur une barque au milieu d’un fleuve immense comme l’Amazone, vous ne voyez pas les bords du fleuve, et que vous êtes assis dans votre barque et que vous ne ramez pas, vous pensez que vous ne bougez pas, que votre vie va être éternelle et pourtant le fleuve avance. On ne sait jamais s’il avance vers l’océan ou s’il avance vers des chutes dans lesquels nous disparaîtrons. Il s’agit de réfléchir profondément à cette impermanence. Alors quoi faire ?

Wanshi dit : « Les moines portant le kesa parcourent le monde en évacuant et en élargissant constamment leur esprit. » Ouvrir son esprit, illuminer sa vie, clarifier son esprit. Ainsi petit à petit on fait preuve de maturité pure, on ne recherche plus une sucette comme les enfants, on ne se plaint pas de sa vie comme les vieux, on est doucement maître de nous-mêmes et on peut voyager dans les dix mille phénomènes sans s’en échapper et sans les toucher. Accepter de ne laisser aucune trace. C’est tout à fait le contraire que de mettre son nom sur un grand building de New-York. A ce moment-là le monde et nous-mêmes sommes en unité. Toutes ces choses-là on les vit à l’intérieur, c’est cette liberté intérieure où librement à chaque instant on peut couper son karma.

Il faut être attentif à ce genre de choses. Si on continue à vivre pris dans les phénomènes comme un zombie ballotté en pensant qu’on est immortel, ou que c’est la faute des autres, on finit enfoncé. Il nous faut prendre plus de liberté, plus de hauteur, plus de légèreté de l’être, de densité de l’être, de maturité pure, c’est à dire sans rien voler, quoi que ce soit. Tant que nous sommes attachés à notre existence propre, premièrement on voit le monde, les phénomènes et notre vie de façon totalement différente, on croit qu’on peut posséder des choses pour l’éternité et tout est coloré par le moi, soit en noir soit en rose et l’on ne peut pas toucher cette transparence qui est notre désir le plus profond.

Si vous essayez d’expliquer ça à quelqu’un qui ne le voit pas, il va penser qu’automatiquement sa vie va devenir rien, qu’il n’y aura plus rien. Lui dire : « Mais vous savez vous ne possédez pas vraiment quoi que ce soit ! » Alors là il va dire : « Quand même ! » et ne va pas comprendre. « Ne vous attachez pas à votre ego. Si vous réfléchissez un peu il n’existe pas aussi ne vous y attachez pas. » Alors là il ne sait plus où il en est et il pense qu’il n’est plus rien mais cela n’est pas comme ça. C’est là qu’il faut accepter de voir les choses avec une certaine délicatesse de la pensée pour comprendre que l’on peut faire face aux choses sans les saisir. On peut vivre les phénomènes sans s’en échapper et sans les saisir. On peut avoir des choses tout en sachant qu’en fait elles ne nous appartiennent pas en propre. C’est comme la terre. L société a développé le fait que les gens peuvent posséder la terre. On se demande d’ailleurs jusqu’à quelle profondeur. Possèdent-ils un mètre de profond, deux  mètres, dix mètres de profond ou possèdent-ils le terrain jusqu’au centre de la terre ? Posséder ? Si on parle comme ça cela paraît déjà bizarre. Maintenant ils veulent posséder l’eau et bien sûr depuis les temps immémoriaux ils ont toujours voulu posséder les esprits. Mais la vérité est que rien de tout cela ne peut être possédé, rien de tout cela ne peut appartenir vraiment à qui que ce soit, ce qui n’empêche pas de vivre tous ces phénomènes sans les saisir.

Wanshi dit : « Les nuages blanc pénètrent dans la vallée et la lune brillante encercle la montagne. A cette occasion vous partagez la même substance que les anciens. » Vous voyez que vous pouvez profiter de tous les phénomènes, nul besoin de posséder les nuages, ou la clarté de la lune. Vivre au milieu des phénomènes entièrement mais sans s’en échapper sans vouloir se les approprier. C’est comme les voyages. On voyage généralement avec de grosses valises, il n’y a rien de plus chiant. Le rêve est de voyager sans valises. Vous ratez l’avion, votre valise est déjà partie avec l’avion, merdre. Vous n’avez pas de valises, vous prenez le suivant, vous prenez le train, vous allez à pied. On a tous ce désir de liberté, d’être léger, dans le courant de la vie et pourtant on trimbale des valoches. Voilà le processus de clarification de la liberté, avancer avec la Voie qui est en marche.

Mais dit Wanshi  : « Si soudainement vous vous attachez à un seul fil ou une seule fibre, alors l’esprit qui vous guide est obscurci, ne peut plus se frayer un chemin, le passage est bloqué, constipé et rien ne peut être ouvert. » Tout cela va avec la réalisation de l’éveil, avec cette chose la plus merveilleuse : la liberté. Et même si on a le sentiment de son existence propre, il n’y a pas besoin d’aller crier partout : moi, moi, moi, et vouloir posséder la planète tout en se réfugiant dans ses propres murs. C’est le monde de la souffrance. Vivre avec la sensation de son existence propre inévitablement c’est la porte du monde de la souffrance tandis que faire le vide de la sensation de son existence propre est merveilleux. A ce moment le chemin, le passage est ouvert, l’intérieur et l’extérieur fusionnent et naturellement la flèche se plante au milieu de la cible.

Si on veut vivre un peu au-delà de cette existence que nous croyons posséder.

Zazen 9

Maître  Wanshi continue : « Etendu et intrinsèquement spirituel, raffiné et brillant, l’esprit éveillé peut tout transpercer sans saisir le mérite de son illumination et peut faire face à tout sans être limité par des pensées décousues. » L’homme entièrement libre ne pense pas à la liberté, il la vit. L’être éveillé ne passe pas son temps à réfléchir à l’éveil et l’esprit illuminé ne parle même plus de lumière. Tous les Bouddhas, tous les Patriarches, toutes les feuilles et toutes les fleurs agissent de cette façon. Arrêtez donc de penser que les Patriarches sont les autres. C’est facile de pratiquer zazen en pensant que le Bouddhas sont très loin, historiques, que les Patriarches sont les autres et nous nous pouvons juste faire à peu près ce qu’on peut comme si la grande Voie des apparitions et des disparitions pouvait se résumer à des compromis personnels.

On dit : tout est éveillé. On regardait ce matin avec Ahmed les feuilles des arbres bouger dans le vent. Bien sûr ce sont des êtres inanimés qui manifestent cet éveil de toutes choses. Ne pensez pas que les Bouddhas sont les autres et qu’il n’est pas nécessaire pour les autres de pénétrer profondément cet éveil intime, arrêtez de voir tout le monde, les autres comme des objets, ne voyez pas les Patriarches comme des objets. Etienne disait : « Adressez-vous à vous-mêmes. » Lancez-vous dans cette Voie entièrement, ne négligez aucun instant de votre vie. Il n’y a que des Patriarches vivants et si ce n’est pas vous qui cela sera-t-il ? Alors bien sûr voir sa pratique  de zazen, la Voie du Zen, intimement mélangée à sa vie, voir comme porter les Bouddhas et les Patriarches, il faut quand même changer un petit peu sa vie.

La sagesse populaire dit : on a rien sans rien et donc on ne peut attraper cet esprit, on ne peut que prendre soin entièrement de notre pratique, de notre corps, et abandonner les pensées décousues de notre ego et se lancer entièrement dans la Voie. Nous sommes là très loin d’un développement personnel. Atteindre l’état d’esprit qui comprend immédiatement, c’est ça faire face aux phénomènes, c’est l’esprit éveillé qui comprend immédiatement, nourri de cette pratique continuelle du corps-esprit.

Tout le monde comprend. Par exemple si vous jouez au tennis une fois de temps en temps vous n’allez pas au tournoi des masters. Il y a toujours, comme dit , les grandes difficultés et les efforts. Il faut faire un demi-tour dans sa vie, arrêter de  fonctionner uniquement selon ce qu’on aime et qu’on n’aime pas si on veut toucher dans notre corps entièrement l’essence de l’esprit religieux. Chacun doit le découvrir lui-même, il n’y a pas de recette, il n’y a pas de méthode sur la Voie de la réalisation de l’éveil, il y a la pratique de zazen qui certainement est déjà cette réalisation à condition de pratiquer un zazen d’éveil, non pas un zazen d’attente, de remue-méninges, de plaintes, ou de pensées récursives.

Pour toucher comme le point d’acupuncture de la félicité, du satori et de l’éveil il faut donner de sa personne. C’est pour cela que les gens préfèrent faire des méditations quelconques, tout ce qu’ils font est d’essayer de prendre quelque chose. Dans le zen il s’agit de donner de sa personne pas seulement pour soi-même mais pour l’humanité, pour la haute éthique qu’on espère chez chacun. Si oui, il n’y aurait pas de guerre, pas d’enfants maltraités, pas d’horreurs. En donnant de notre personne dans la pratique de zazen, dans les efforts pour éveiller entièrement notre esprit humain, on essaie aussi par tout cela de faire face à un monde qui a tendance à devenir de plus en plus terrible. On est engagés là-dedans, comme les Patriarches. Il ne s’agit de se dire simplement, j’y vais ou je n’y vais pas, je pratique ou je ne pratique pas, je verrai, la pratique du zen est engagée comme celle des Patriarches. C’est là que va se trouver la grande satisfaction intérieure, celle que chacun désire.

Si je vous parle ainsi c’est parce qu’il y a plus de trente ans j’ai entendu Etienne dire : « Le zen c’est la vie. » et donc tout est la vie et tout est le zen. La pratique de zazen, la pratique de la vie, l’éveil silencieux, l’éveil dans la vie quotidienne où chaque détail apparaît clairement et de façon instantanée, sans laisser aucune trace, sont entièrement connectés.  dit : « Les gens avec ce visage originel devraient examiner et mettre en pratique totalement ce champ sans en négliger un seul fragment. »

Souvenez-vous qu’il n’y a pas d’autre Bouddha vivant que vous-même, considérez qu’il n’y a pas d’autre Patriarche vivant que vous-même et ainsi vous pouvez faire face à toutes choses et la vie devient le jeu du satori. Voilà les vœux que l’on fait.

Zazen 10

Si vous pratiquez juste un jour, une nuit, totalement en accord avec le rythme des Bouddhas et des Patriarches alors une année, deux ans, toute votre vie seront semblables aux activités d’un seul jour et d’une seule nuit. Tous les jours un ancien maître montait au sommet de la colline et plus tard redescendait. Un disciple lui demande : « N’est-ce pas monotone de monter tous les jours sur la même colline ? » Il lui dit : « Mais pas du tout, chaque jour est différent, je ne regarde pas les mêmes fleurs, il y en a beaucoup, le vent est différent, la couleur de la montagne change et chaque jour de notre vie est différent. »

C’est aussi ce que l’on entend par prendre soin de sa vie. Chaque jour est différent, chaque jour est nouveau. Alors là la pratique de toute une vie, car la pratique du zen ni ne commence, ni ne s’arrête jamais, est simplement la pratique de chaque jour. Mais chaque jour la sagesse, l’attention, vivre réellement, s’ouvrir aux autres, surtout ne pas voir les choses à travers ses propres projections mais ouvrir son esprit. A ce moment-là le lieu originel du nirvana est parmi les êtres vivants. Chaque jour, la pratique de chaque jour doit être la pratique de l’éveil.

On parle bien de la pratique de toute une vie où chaque jour contient tout ce qu’il y a dans notre vie. Et c’est ainsi qu’on arrive à illuminer ses journées et ne plus s’accrocher au monde des ombres.

Ne laissez pas votre folie dépasser votre sagesse, ne négligez aucun aspect de tout ce qui arrive, interagissez avec tous les phénomènes et n’essayez pas de saisir quoi que ce soit. Ainsi vous pourrez être menés par le dharma, vivre naturellement le cours des choses et de votre vie sans vous heurter à vous-mêmes. On ne se heurte jamais aux autres, on se heurte toujours à soi-même. Tout cela est le principe originel. Le passage est grand ouvert, toute la route est éclairée, tout cela ne tient qu’à vous-mêmes. Tout cela est dans vos mains, sous vos pieds. Réaliser la maturité, éclairer sa liberté, tout cela pour les pratiquants du zen est s’adresser à soi-même.

Comme disait Etienne : « A ce moment-là vous pourrez écrire le kanji dai, grand. »

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