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Eno, Sekito et Baso

Dans notre lignée nous avons un enseignement pendant le zazen, le kusen, mais pas de teisho si bien qu’en ce qui concerne la connaissance de l’histoire ou de beaucoup de textes nous étudions souvent seuls et manquons une éducation structurée sur le bouddhisme et sur le zen: alors ayez une vue un peu critique sur ce que je vais essayer de vous dire.

Introduction

Pour arriver au bouddhisme ou au zen, que nous étudions et pratiquons aujourd’hui, on peut dire qu’il y a eu trois grandes évolutions, trois époques marquantes :

    • En Inde avec l’enseignement de Bouddha suite à son éveil complet et par la suite les développements philosophiques de Nagarjuna
    • La période du Chan, l’un des bouddhismes chinois, entre le 6ème et le 9ème siècle, où le bouddhisme originel de l’Inde fut fortement influencé par le Taoïsme. A cette époque l’accent fut mis sur l’esprit, la clarté de l’esprit, l’éveil tranquille ou immédiat de l’esprit qui réalise qu’il est en unité avec toutes choses, et aussi que tout est vacuité car tout est impermanent

  • La synthèse de Dogen dans le zen entre la pratique et la réalisation de l’éveil, culminant avec le mokusho zen, le zen de l’illumination silencieuse.

 

Je voudrais vous parler un peu du Chan où l’esprit lui-même est Bouddha, et de Sekito et Baso qui vont donner naissance à deux pratiques différentes, le zen soto et le zen rinzaï.

Le Bouddhisme indien

Le début de toute notre histoire commença sous l’arbre de la bodhi, où le Bouddha dit : « J’ai réalisé l’éveil avec tous les êtres. » Cela ne veut pas dire qu’il ait atteint un état spécial personnel. Par exemple si tout à coup nous réalisons que nous sommes dimanche, nous réalisons simplement notre réalité. On pourrait dire que le Bouddha s’est rendu compte, par cette expérience en ce moment, qu’il était pleinement conscient de sa vie, du monde qui l’entoure, sans séparation, qu’il fait partie de la nature de tous les êtres. Son esprit s’est éclairci, son aveuglement a disparu. Tout cela est également apparu car pendant des années Shakaymuni s’était imposé des privations extrêmes. Et tout à coup il a réalisé qu’au milieu de tout l’univers, son esprit s’était calmé, il était satisfait, éveillé, clair et présent. Et qu’en fait cet esprit-là existait bien avant mais il ne le voyait pas. Il a donc vu combien cet esprit pouvait changer et que rien n’était en fait permanent mais que tout changeait à chaque instant. Cette déchirure salutaire de son esprit le remplit de joie et cette joie était partout pour lui. Par la suite cet esprit-là lui-même fut Bouddha.

Par la suite en Inde et surtout avec Nagarjuna et ses longs commentaires du Sutra de l’Hannya Shingyo qui explique que tout n’est que forme provenant d’une co-production conditionnelle, appelée des fois plus tard « interdépendance », que les formes changent tout en temps au gré des multiples conditions et que l’essence de toute chose est vacuité, car rien n’existe uniquement en lui-même. Le bouddhisme a toujours maintenu une attitude de doute sur la réalité, car pour lui la réalité n’est que vacuité. L’apparition du bouddhisme en Chine qui donnera naissance au Chan Avant la venue du bouddhisme en Chine la religion originelle était le taoïsme. Celle-ci se base sur le principe fondamental du Tao qui est présent dans toute la nature. Le Tao est à la fois la réalité de toutes choses, il ne peut être appréhendé que de façon intuitive. C’est aussi l’élan vital, la force vitale de l’univers, une réalité inaccessible par le langage. On pourrait dire que Chuang Tseu, un philosophe taoïste, appelle cette part intuitive de notre connaissance unifiée et inexprimable : l’esprit. Mais en fait cette forme du taoïsme était de la philosophie et non une religion qui pouvait être pratiquée.

D’autre part et peut-être en premier lieu, sur le plan populaire, le bouddhisme a donné pour la première fois en Chine une religion qui se préoccupait de la souffrance des gens et montrait comment ils pouvaient être sauvés de cette souffrance existentielle.

Sur le plan de la vision du monde, le bouddhisme maintenait une attitude de doute sur la réalité vu que pour lui l’essence de toutes choses est vacuité, rien ne possède d’essence propre et rien n’est permanent. Au contraire le taoïsme voulait faire l’union avec la réalité, appelé Tao. Ceci peut sembler contradictoire. Le Chan va opérer la synthèse des deux : la vacuité comme un tout peut être comprise comme le Tao, comme la réalité de toutes choses. Ainsi vacuité et réalité sont toutes les deux l’expression de l’absolu.

Bouddha a dit : « La vraie forme de Bouddha est le vide universel. » Celui-ci ne peut être abordé que par l’expérience intime de notre nature. Celle-ci comme le Tao, la réalité de toutes choses, ou la vacuité de tout phénomène, est donc double. Plus simplement à la fois nous existons comme forme entre notre naissance et notre mort, mais aussi par notre expérience du corps et de l’esprit en zazen nous pouvons réaliser que nos atomes, et tout notre karma qui fait partie de notre « être », proviennent de la totalité et existaient bien avant la naissance de nos grands-parents, sous une autre forme.

Une fois une mouette tomba dans un puits dont elle peinait à ressortir. Dans ce puits vivait une grenouille qui n’en était jamais sortie. La grenouille interpella la mouette :

− D’où viens-tu ?

− Je viens de l’océan où je volais librement.

− Ah oui, et c’est grand l’océan ?

− Oui c’est très grand, répondit la mouette.

− Grand ça ? demanda la grenouille en faisant un petit saut dans le puits.

− Non, c’est beaucoup plus grand.

− Alors grand comme ça ? dit-elle en sautant plus loin.

− C’est beaucoup plus grand que ça, beaucoup plus grand.

La grenouille prit son élan et sauta d’un bord du puits à l’autre.

− Alors c’est donc grand comme ça ?

− Non vraiment, c’est beaucoup, beaucoup plus grand, dite la mouette.

− Tu n’es qu’une menteuse, lui répondit la grenouille.

Le Chan est donc sous-tendu par cette connaissance immédiate de la réalité, de la vacuité de toutes choses, à travers l’expérience que nous en faisons nous-mêmes.

Pour les chinois le bouddhisme indien était très compliqué, La perception intuitive de notre propre nature devint une discipline essentielle du Chan qui prendre toute son ampleur avec Huineng, Eno, entre le 6ème et le 9ème siècle sous les empereurs Tang. Et donc Bodhidharma qui vint en Chine au 6ème siècle est l’ancêtre du Chan. Nous connaissons toute cette période par les chroniques de « La transmission de la lampe (lumière) ». Ceux-ci sont beaucoup plus tardifs.

Quelle est la réalité, quelle est la légende ? A la fin peu importe, l’enseignement salvifique de cette période reste.

Avant Bodhidharma de nombreux moines indiens étaient déjà venus en Chine en suivant la nouvelle route ouverte : la route de la Soie. Voyons un peu comment le Chan qui est le bouddhisme de l’esprit, « l’esprit lui-même est Bouddha », s’est développé.

Le Chan et l’esprit

Pour aborder un peu l’approche du Chan, de l’esprit, prenons par exemple la rencontre de Bodhidharma et de celui qui deviendra son successeur, le 2ème patriarche du Chan : Eka. Eka vint vers Bodhidharma et lui dit :

− Maître, je n’ai pas trouvé la paix de l’esprit. Je vous supplie de pacifier mon esprit.

− Amène-moi ton esprit et je le pacifierai, dit Bodhidharma.

Après une longue période de réflexion, Eka revint vers Bodhidharma et admit qu’il ne pouvait trouver son esprit. Bodhidharma lui dit alors :

− Je l’ai donc pacifié pour toi.

Lorsqu’Eka chercha son esprit véritable, non pas ses propres pensées, sa propre conscience, il ne le trouva pas car le véritable esprit n’est pas un objet que l’on puisse trouver mais est le sujet lui-même. L’éveil de l’esprit est le sujet, nous-mêmes. Aussi dès que nous le recherchons comme un objet à l’intérieur de nous-mêmes il disparaît. L’esprit est le sujet, celui qui perçoit et n’est pas un objet d’analyse, de la même façon que l’oeil ne peut pas se voir directement lui-même (d’où les mentions de la pratique comme d’un miroir). Comme l’esprit ne peut pas être l’objet de sa propre perception, son existence ne peut être comprise que de façon intuitive.

L’éveil de l’instant, la clarté de l’esprit sur toutes choses, libre, spontané, surgissant dans notre vie à un moment où tout se résout à l’essentiel est une particularité du Chan. Dans le Chan on ne parle plus des bodhisattvas mythiques mais de l’esprit, de l’éveil. Bien sûr la connaissance de notre propre esprit peut être approfondie, il existe une voie vers la sagesse, vers plus d’amour et de compassion. Mais la réalisation de l’éveil n’est pas une connaissance consciente de notre esprit mais l’irruption immédiate du réel, de notre nature réelle. Cette nature réelle est là, comme la nature réelle de l’oiseau est de voler. Le petit oiseau dans son nid l’ignore, il ne sait pas ce que veut dire voler. Même si on le lui explique il ne comprendra pas. C’est lorsqu’il se lance dans l’air, hors de son nid, qu’il réalise que sa nature originelle est celle d’un oiseau. C’est la même chose pour l’homme et la réalisation de l’éveil. Il a fallu que l’oiseau grandisse, prenne des forces, s’exerce mais l’instant de s’élancer est unique.

Il y a une histoire amusante dans le Chan. Un jour un maître Chan place un oeuf d’oie dans une bouteille. Alors l’oeuf éclot et devient une oie qui prend toute la place dans la bouteille. Il appelle alors l’un de ses disciples et lui dit :

− Comment peux-tu libérer cette oie de cette bouteille sans casser la bouteille ?

Le disciple passe des mois à réfléchir. Un jour il apparaît en courant dans la salle où son maître est assis et directement lui dit joyeusement :

− L’oie est sortie de la bouteille.

Dans le Chan :

Une transmission au-delà des écritures

Ne s’appuyant ni sur les mots ni sur les lettres

Pointer directement sur son esprit

Voir sa propre nature

Le Chan va fleurir en Chine pendant trois cents ans, surtout à partir du 6ème patriarche Huineng, Eno.

Eno

Avec Eno le Chan va fleurir. Gunin le 5ème patriarche lui avait dit : « Celui qui ne connaît pas son esprit fondamental ne peut tirer aucun bénéfice de l’étude du dharma. Celui qui connaît son esprit fondamental et perçoit sa propre nature est appelé un homme qui a réalisé son humanité, un Bouddha. »Avec Eno l’enseignement sur l’esprit devient plus structuré : « Aucun secret ne se trouve dans le Chan, le secret est en vous-même. » Donc avec Eno il s’agit de la réalisation dans le corps et l’esprit et non plus seulement d’idées philosophiques sur l’esprit comme chez les taoïstes. Il dit : « La Voie ou la sagesse (l’éveil) qui constitue notre nature réelle est pure dès le commencement. Tout ce dont nous avons besoin est d’oublier notre esprit pour le percevoir directement et atteindre l’état de Bouddha, l’état d’éveil. »

Dans le Chan comme dans le bouddhisme mahayana Bouddha est un état, la personne a disparu. Pour aborder cet état d’éveil il faut supprimer l’esprit rationnel. Ce n’est pas un état spécial en lui-même mais juste l’esprit libre, sans attaches. Lorsque l’esprit rationnel disparaît alors l’esprit libre est partie de toute réalité, le Tao, et la vacuité de toutes les choses car il ne repose sur rien, dit Kodo Sawaki. Cet état de liberté, de non-attachement, dans le Chan est appelé Bouddha (ce qui n’est pas entièrement nouveau non plus).

Il s’agit donc de clarifier son esprit, d’abandonner son propre esprit rationnel, mais comment ?

Déjà Bodhidharma avait introduit en Chine la méditation contre un mur. C’est là dans ce processus que deux écoles vont avoir des approches différentes. L’école soto à partir de Sekito porte l’essentiel sur la méditation silencieuse assise, shikantaza. L’école Lin-Chi ou Rinzaï au Japon avec Nangaku et surtout Baso va le porter sur une façon abrupte de faire surgir l’éveil dans l’esprit libéré du disciple.

Sekito et Baso

Sekito et Baso ont vécu exactement à la même époque, au 8ème siècle. Il était courant à cette époque que les maîtres envoient leurs disciples chez l’un et chez l’autre. C’est moins le cas malheureusement aujourd’hui et c’est pourquoi j’apprécie tellement l’accueil de Densho Sensei dans son temple. Quand la mère de Sekito fut enceinte elle cessa de manger de la nourriture épicée, ce qui explique peut-être pourquoi Sekito fut d’un naturel assez doux. A son époque les chasseurs avaient peur des démons et des fantômes si bien qu’ils sacrifiaient des vaches pour les offrir aux spectres en espérant s’en protéger. Une douzaine de fois Sekito libéra les vaches en détruisant l’enclos où elles étaient gardées en vue des sacrifices. Rien n’y fit et il continuait. Encore enfant, sa mère l’emmena au temple pour voir une image du Bouddha. Sa mère lui dit d’aller s’incliner et lui dit : « Ça c’est Bouddha. » Sekito s’inclina et après un moment il dit : « Ce n’est qu’un être humain. Si on l’appelle Bouddha, alors je veux en être un moi aussi ».

Baso est considéré comme le deuxième grand patriarche du Chan après Eno. Son nom de famille était Ma. Il pouvait rugir comme un tigre, marchait comme une vache et il est dit que sa langue était si longue qu’il pouvait en toucher son nez. Et il avait des pieds immenses laissant des empreintes de roues. C’était donc ce qu’on peut appeler une force de la nature. Il développa d’autres méthodes d’enseignement que l’assise silencieuse, qui par la suite firent école dans la lignée Rinzaï.

Autant peut-on dire que Sekito fut assez tranquille et solitaire, autant Baso appliqua des méthodes énergiques pour éveiller ses disciples au moment présent. Nous avons donc dans ces deux maîtres exceptionnels à la fois l’illumination silencieuse du zazen et l’éveil radical subit, bien que Baso ait continué également la pratique de zazen. Leur enseignement à tous deux, d’après ma compréhension fut : l’esprit lui-même est Bouddha. Ils ne sont donc pas entièrement différents, étant tous les deux les héritiers d’Eno dont l’enseignement principal fut de rentrer en contact, de connaître profondément notre véritable nature.

Leur enseignement pourtant prit des formes un peu différentes, l’un par l’assise silencieuse le corps-esprit du zazen que Dogen appellera hishiryo, l’autre par la conscience immédiate et abrupte de l’instant présent, l’esprit de la vie quotidienne. Assise silencieuse et attention dans chaque acte de la vie quotidienne cohabitent en nous sans opposition. Nous tenons donc de Sekito et de Baso. Sekito réalisera que son propre esprit reflète le monde entier. Son enseignement fut créé par la tranquillité et le sentiment de faire partie de tout. Il passa le plus clair de son temps en zazen, silencieusement, heureux de cette illumination intérieure tranquille. Peut-être fut-il influencé par Chuang Tseu : « Le ciel et la terre jaillissent de la même racine que moi-même, et toutes les choses sont en unité avec mon être. »

Baso chercha des méthodes variées autres que la pure méditation pour enseigner le Chan. Des méthodes très anti-conventionnelles pour atteindre directement l’esprit de Bouddha dans l’instant. Tout comme Sekito, Baso enseigna que l’esprit lui-même est Bouddha. Il dit une fois : « Vous tous devriez réaliser que votre propre esprit est Bouddha, ce qui veut dire que cet esprit est l’esprit de Bouddha. Le grand-maître Bodhidharma vint de l’Inde en Chine pour nous transmettre la doctrine bouddhiste du Mahayana de l’unité de l’esprit pour nous illuminer tous. Ceux qui cherchent la vérité devraient réaliser qu’il n’y a rien à chercher. Il n’y a aucun Bouddha en dehors de l’esprit ; il n’y a aucun esprit en dehors de Bouddha. »

Il ne faut pas oublier que nous sommes au 8ème siècle, 200 ans après la venue de Bodhidharma. Nous sommes bien loin de l’homme Gautama, Bouddha est l’esprit. Mais l’esprit n’existe pas par lui-même, son existence est manifestée par les formes. Baso donnait un enseignement propice au déclanchement de l’éveil subit, par des questions sans réponses, des cris ou des coups parfois. Un disciple lui demanda :

− Quelle est la signification de la venue de Bodhidharma de l’ouest ?

− Quelle est la signification de poser toi cette question maintenant ?

Deux exemples pour comprendre la différence de pratique pour faire surgir l’éveil entre Sekito et Baso. Sekito écrivit le Sandokai et le chant de l’ermitage d’herbes :

Lorsque j’ai bâti mon ermitage d’herbes, je ne possédais rien de précieux.

Après manger, j’aime y faire tranquillement la sieste.

Une fois achevé, de nouvelles herbes sont aussitôt apparues.

Quand il s’abîmera, je le recouvrirai à nouveau d’herbes.

J’habite cet ermitage où je vis pour toujours,

Sans dépendre d’un dedans, d’un dehors ou d’un entre-deux.

Les lieux où demeurent les hommes du profane, je ne demeure.

Les lieux qu’ils chérissent, je ne les chéris.

Quoi que petit, cet ermitage contient l’univers tout entier.

Il a pour corps ce vieil homme dans sa cellule de dix pieds carrés.

Contrastant avec le poème de Sekito, il y a cette histoire entre Baso et son disciple Yin-feng. Il se trouva que celui-ci poussait une brouette alors que Baso était étendu au bord du chemin avec les jambes allongées. Yin-feng lui demanda de retirer ses jambes mais Baso dit : « Ce qui a été allongé ne peut être retiré à nouveau ! » Yin-feng lui répondit : « Une fois avancé, il ne peut y avoir de retour en arrière ! » Sans faire attention au maître, il poussa la brouette jusqu’à ce qu’il passe par-dessus les jambes de Baso lui endommageant les pieds. Baso retourna dans le hangar et en ressorti une hache à la main. « Que celui qui m’a blessé les pieds juste il y a quelques instants s’avance. » Yin-feng, ne se laissant pas intimider, s’avança et tendit sa nuque devant Baso. Alors Baso abaissa sa hache.

On peut voir déjà ici que Baso va s’orienter fortement non seulement vers l’esprit mais surtout vers l’esprit de la vie quotidienne, agir de façon spontanée, quasi intuitive est pour lui le véritable esprit, sortir des méandres de ses pensées en les prenant pour la réalité et vivre ce qui se passe dans l’instant, dans les instants de notre vie. Pour lui le Tao, c’est ça. Dans ses dialogues, il précise d’ailleurs cette pensée : « Se cultiver n’est d’aucune utilité pour atteindre le Tao. La seule chose que l’on puisse faire est d’être libre de toute souillure. Lorsque notre esprit est taché par des pensées de vie et de mort, alors il y a souillure. Accrocher la vérité est la fonction de l’esprit de tous les jours, l’esprit de la vie quotidienne. Cet esprit est libre de toute action intentionnelle, libre des concepts de juste et de faux, de prendre ou de donner, des concepts de limité ou d’illimité. Toutes nos activités journalières – marcher, se tenir debout, s’asseoir, se coucher – toutes répondent à des situations. Nous négocions les circonstances comme elles arrivent : tout cela c’est le Tao. » Pour lui donc le Chan, le zen, c’est l’esprit de la vie quotidienne.

Lorsque Sekito arriva au temple Nantai, un moine le vit et alla avertir Nangaku, qui se trouvait à environ 800 mètres de là.

− Le jeune bonze qui était venu vous interroger sur le bouddhisme vient de s’installer en zazen sur un rocher plat, pas loin d’ici.

− Vraiment, dit Nangaku.

− Oui, oui c’est sûr, je l’ai reconnu.

− Bon, va de ce côté savoir ce qu’il fait là sur son rocher. Si c’est vraiment ce jeune moine, alors racle-toi la gorge et s’il te répond dis-lui : Hé toi le moine à la grande gueule, comment oses-tu te poser ici ?

L’assistant de Nangaku fit ce qui lui avait été demandé. Alors Sekito dit :

− Tu peux gueuler et pleurer, tu ne pourras pas traverser cette montagne.

L’assistant revint donc vers Nangaku pour lui rapporter la conversation. Nangaku dit alors :

− Ce moine-ci fera fermer leur gueule à tout le monde.

On peut voir que Sekito et Baso éraient bien différents du bouddhisme indien concernant Bouddha.

Un moine vint trouver Ts’ian, qui était un des disciples de Baso, et lui demanda : « Quel était le corps qu’avait le Bouddha Vairocana à l’origine ? » Le maître répondit : « Auriez-vous l’amabilité de me passer la cruche à eau ? » Le moine la tendit à Baso. Celui-ci lui demanda alors de la remettre où il l’avait prise, ce que fit le moine. Mais croyant qu’il n’avait pas reçu de réponse à sa question, il demanda à nouveau : « Quel était le corps qu’avait le Bouddha Vairocana à l’origine ? » Le maître exprima son regret en disant : « Il y a bien longtemps que le vieux Bouddha a quitté ce monde ! » Toujours être présent dans l’instant, l’esprit de la vie quotidienne de Baso.

Houeï-lang demanda à Sekito :

− Qui est le Bouddha ?

− Vous n’avez rien de la nature de Bouddha.

− Et tous ces êtres qui vont et viennent partout ?

− Ils ont plutôt la nature de Bouddha.

− Comment se fait-il que j’en sois dépourvu ?

− Parce que, répondit Sekito, vous ne la reconnaissez pas vous-même.

Comme pour Eno, pour Sekito chacun possède cette nature de Bouddha, il lui suffit de la reconnaître lui-même. Ceci était également l’enseignement de Seigen : la Voie consiste à tout trouver en soi-même, y compris l’étude de notre bêtise, tout l’éventail de nos désirs, nos tendances et préférences, notre esprit. Il faut comprendre que la voie est sous nos pieds, maintenant, sinon comment pourrions-nous comprendre où nous allons. « Si vous ne comprenez pas que la Voie est sous vos pieds, dit Sekito, vous ne pouvez connaître le chemin sur lequel vous marchez. »

Sekito et Baso furent avec Eno et d’autres bien sûr les plus grands maîtres du Chan. Leurs enseignements sur l’esprit immédiat et sur l’esprit originel nous aident à faire le lien entre zazen et la vie quotidienne. Le zen ne consiste pas seulement à s’asseoir, le zen se trouve aussi dans chaque acte de notre vie de tous les jours. Ce sont deux formes de pratique qui vont ensemble, aussi n’y a-t-il aucune raison d’opposer ou de créer un fossé entre la pratique de zazen et le reste de la journée.

Au 13ème siècle, Dogen résolut le koan entre pratique et éveil en établissant que pratique et éveil sont unité.

Conclusion

Dès lors le zen rinzaï suivit la méthode des koans que Dogen d’ailleurs a beaucoup étudiée. Et le zen soto la voie de l’illumination silencieuse, le Mokusho Zen qui pour moi a toujours été le zen de mon maître Mokusho Zeisler.

Pour terminer Wanshi sur la pratique de la réalité véritable :

« La pratique de la réalité véritable est simplement de s’asseoir sereinement dans l’observation silencieuse intérieure. Lorsque vous avez approfondi cela vous ne pouvez être chamboulés par des causes et des conditions extérieures. Cet esprit vide, largement ouvert vous illumine de façon subtile et juste. Remplis de votre espace intérieur, soyez satisfaits, sans être perturbés par le désir d’agripper quelque chose, dépassez votre comportement habituel et réalisez le soi qui n’est possédé par aucune émotion. Vous devez avoir l’esprit large, entier, sans compter sur les autres. Un tel esprit de droiture et d’indépendance peut commencer à ne pas poursuivre des situations qui dégénèrent. Vous pouvez résider dans cet état et devenir juste, pur et lucide. Lumineux et pénétrant, vous pouvez immédiatement retourner à l’action, vous accorder avec toutes choses, faire face aux événements et les gérer. Rien n’est caché, les nuages flottent gracieusement sur les sommets, le clair de lune irise les torrents qui dévalent les montagnes. Toute la place est irradiée de lumière et spirituellement transformée, entièrement libérée et manifeste une claire interdépendance, comme la boîte et le couvercle ou la rencontre des deux pointes de flèches. Persévérant, cultivez et nourrissez-vous vous-même, de façon à établir solidement maturité et à réaliser stabilité. Si partout vous vous trouvez en accord avec une parfaite clarté et si vous faites preuve de souplesse sans être dépendants de doctrines, comme le buffle blanc ou le chat sauvage, vous pouvez être appelés une personne à part entière. Ainsi entendons-nous que la voie de la non pensée agit, mais avant de la réaliser nous-même, nous nous trouverons encore face à de grandes difficultés. »

Mon maître Etienne Mokusho Zeisler dit :

« A ce moment-là vous pourrez écrire le mot dai, grand. »

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