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Daishin

ZAZEN 1

Lorsqu’on parle des trois esprits de l’enseignement du Tenzo, kishin, roshin et daishin, chacun comprend facilement l’esprit de joie et d’énergie et désire se l’approprier pour égayer le monde autour de lui, chacun comprend également l’amour des parents pour leurs enfants et s’imagine avec douceur l’amour de Bouddha pour tous les enfants de la terre. Lorsqu’il s’agit de daishin, l’esprit grand, universel, certains risquent alors d’aller chercher un tel esprit dans une immensité irréelle, une humanité généralisée, le grand éveil, l’illumination cosmique, le zen. Pourtant daishin, l’esprit grand est tout aussi humain, tout aussi simple, tout aussi vivant que les deux autres. Sans daishin, le zen n’est qu’un rêve de zen, sans daishin le zen reste une illusion de recherche spirituelle déconnectée de notre vie véritable, celle que nous vivons ici et maintenant dans ce dojo. D’ailleurs dojo ou pas dojo, notre vie véritable est toujours à l’endroit et à l’instant où nous sommes.

« Comprenez bien que tous les grands maîtres du passé n’ont pas étudié daishin uniquement à la lettre, mais à travers les diverses circonstances de leur vie. » dit Dogen. De plus comprenez aussi que les circonstances de la vie de tous les Bouddhas du passé, voire de tous les maîtres précédents ou actuels, sont les leurs et non les vôtres, aussi devez-vous étudier daishin à travers les circonstances de votre propre vie. Rien de ce qui est appelé le zen ne peut se découvrir en dehors de la réalité de votre vie, ni dans les sutras aussi beaux soient-ils, ni dans l’enseignement de qui que ce soit aussi intéressant puisse-t-il être de temps en temps.

Vous rencontrez quelqu’un dans un musée de peinture, déjà chacun aime des styles différents, cubiste, renaissance flamboyante, impressionnisme ou minimalisme, personne n’est obligé d’aimer la même peinture, et vous lui demandez : « Vous aimez la peinture? » « Oui beaucoup dit-il, j’ai moi-même une âme de peintre. » « Ah bon! Et que peignez-vous? » Réponse : « Euh, rien, je regarde, j’admire ». Pour la peinture ça va encore mais pour la vie, qui mangerait de la nourriture prédigérée par quelqu’un d’autre. En tout cas pour comprendre dai, grand, il ne suffit pas de penser que le zen est grand, universel, vous devez le devenir vous-même, et réaliser que le zen c’est là dans votre vie maintenant.

Une fois dans un temple ancien, l’abbé demanda à un jeune moine d’aller lui chercher un très vieux grimoire fermé par des ferrures en bronze. Le livre était relié avec de la peau de bête et se trouvait bien sûr tout en haut de la bibliothèque dans un coin où personne n’avait encore eu l’idée d’aller le chercher. Les moines lisaient les ouvrages plus faciles à attraper, à portée de leurs mains et franchement à la fin ils en connaissaient les textes par cœur, si bien qu’ils le leur prêtaient plus guère attention. Les ayant tous lus, ils pensaient donc qu’ils savaient tout ce qu’ils avaient besoin de savoir et s’en trouvaient contents.

Le jeune moine prend donc une échelle rudimentaire et en s’étirant réussit à attraper le grimoire. Bien sûr il ne résiste pas à l’ouvrir, se disant que si l’abbé voulait ce livre il devait cacher des secrets tout à fait nouveaux pour lui, peut-être même des secrets sur le zen. Et donc il l’ouvre, tombant sur une page toute enluminée et dorée à la feuille d’or. L’image représentait une sorte de génie. Quelle ne fut pas sa surprise quand le génie s’anima et lui parla. Le moine faillit tomber de son échelle mais se rattrapant il le regarda médusé et entendit les phrases qui suivent : « Ah! Finalement quelqu’un se décide à ouvrir ce livre où je commençais à étouffer depuis des lustres. A force de ne respirer que sa poussière mes poumons de génie allaient s’encrasser à jamais. Merci de m’en sortir et justement pour te remercier demande-moi ce que tu veux et j’exaucerais ton vœu. »

Le novice lui dit alors : « Fais-moi connaître tout ce que l’humanité connaît du zen de façon à ce que je devienne un grand maître plein de sagesse et qu’ainsi tout le monde me respecte et vienne me trouver pour écouter mon enseignement. » « Ok! » dit le génie et il referma de lui-même le grand livre dans un cliquetis de ferrures métalliques. Le moine apporta le livre à l’abbé qui le regarda avec un léger sourire.

A partir de là le jeune moine avala tous les soutras du monde, voyagea à travers de vastes contrées pour rencontrer tous les sages de l’époque et effectivement sa renommée grandit. Il était capable d’analyser toutes les situations en s’appuyant sur les textes si bien que des foules commencèrent à venir le voir pour lui poser des questions. Aucun répit ne lui était accordé, si bien que fatigué, écœuré par cette situation qui ne lui laissait aucune solitude, il finit par retourner dans la bibliothèque, grimpa sur l’échelle et tira du rayon à nouveau le livre en cuir. Aussitôt le génie sortit de la page enluminée, partit d’un grand rire et lui dit : « Bon alors, ca va? Tu as ce que tu voulais? »

« A vrai dire, dit le moine, j’en peux plus. » « D’accord, dit le génie, je vois. Comme tu m’es sympathique tu peux faire un autre vœu et je l’exaucerais également. Alors que voudrais-tu maintenant? » Le moine un peu penaud, lui répondit ces simples mots : « Je voudrais être juste un être humain normal, pouvoir vaquer à mes occupations, me rendre compte de ce qui se passe dans ma vie et en être satisfait. » « Hum, fit le génie, cette fois tu me demandes quelque chose de beaucoup plus difficile, qui dépasse mes simples pouvoirs de génie de province, je ne pense pas que je puisse vraiment t’aider à réaliser cela. Il faudra que tu te débrouilles toi-même » et il disparut dans le livre.

Passant alors dans la salle d’audience, le moine rencontra son vieux maître qui le regarda avec beaucoup de gentillesse et éclata de rire. Cette fois le moine rigola aussi, tout content, et s’en alla vaquer aux choses de sa vie, sans plus penser à attraper le grand esprit mais heureux de sa condition. Il découvrit que le thé avait le goût du thé, le riz le goût du riz, tout avait le goût de la vie et son esprit naturellement devint aussi transparent que l’eau de la rivière qui coulait près du monastère, aussi grand et sans limites que le ciel et les vallées qui l’entouraient. Dai n’était plus un mot, mais une réalité.

ZAZEN 2

Dai, l’esprit grand, universel. Comment le comprendre avec notre existence éphémère elle-même? Car Dai, grand, n’est pas à mettre en rapport avec ce que nous considérons petit, et donc n’est pas non plus ce que nous pensons être grand.

Par exemple, notre univers, englobant toutes les galaxies, l’espace intergalactique, les trous noirs, et l’infinité de l’espace-temps formé par cette masse de matière, dont nous ne connaissons d’ailleurs qu’une toute petite partie, la plus grande étant de la matière noire jusqu’ici inobservée, ou encore l’énergie noire franchement inconnue, donc si nous englobons tout, nous dirions : ah! Oui, ça c’est grand, le monde cosmique est immense. Pourtant cet univers n’est qu’une bulle dans le néant où n’existent ni l’espace, ni le temps. Alors quelle étendue notre univers prend-elle vraiment? Sa dimension n’a aucun sens, il pourrait être gros comme une tête d’épingle ou immensément étendu, cela n’aurait de toute façon aucune signification. Pour connaître sa taille, il faudrait pouvoir le comparer avec autre chose, mais il n’y a que le néant.

Dai ne dépend pas de nos caractéristiques, les idées de grand, de petit, de juste et de faux, ne font que séparer les êtres humains et non les rapprocher, alors qu’ils sont tous des hommes ordinaires. Notre univers n’a pas de taille mesurable, ni de temps défini. Si vous plongez dans votre vie pleinement, vous la vivez à chaque instant. Chaque instant existe en lui-même, inutile de le comparer à un autre, et chaque lieu existe également en lui-même, pour quoi le comparer à un autre?

De même, des fois des pratiquants du zen pensent qu’il existe une grande vérité, un grand satori, un éveil universel au-delà de leur entendement, et qu’eux-mêmes ne connaissent que de petites vérités, de petits satori, de petits éveils qu’ils prennent pour de petites satisfactions. Ils sont semblables aux personnes qui pensent sincèrement qu’il y a une différence entre la sainte guen-mai et la soupe ordinaire de tous les soirs. Sutras ou pas sutras, la guen-mai est la soupe ordinaire des moines, et la soupe ordinaire des moines qu’elle contienne du riz, des pâtes, des restes de légumes ou de ce qui reste dans le frigo, peut toujours s’appeler la guen-mai. Même le Bouddha était un homme ordinaire, tous les patriarches également, nous sommes tous des hommes ordinaires et des fois nous mangeons de la soupe. Seulement justement, dit le Tenzo Kyokun, si vous ne faites aucune différence entre un potage divin et une vieille soupe, si vous n’êtes pas exaltés par les sonorités du printemps et affligés par les couleurs de l’automne, mais que vous voyez les saisons comme un tout, le grand et le petit avec une dimension élevée, alors vous pourrez comprendre le mot Dai.

De la même façon, dépassez le schéma du maître et du disciple, et voyez en chacun votre compagnon dans la Voie de la libération de votre esprit. Ne pensez pas en termes de maître ou de disciple, même si la transmission existe, libérez-vous et résolvez le problème de votre vie et de votre mort, à partir d’une dimension élevée. Personne ne peut le résoudre à votre place, personne ne peut réaliser la plus haute dimension d’un être humain dans sa vie si ce n’est vous-même. Voila le véritable koan, il ne s’agit pas de résoudre des énigmes impossibles à résoudre, ni de comprendre complètement l’enseignement de quelqu’un d’autre, de cerner le mot éveil ou illumination, compassion ou amour, mushotoku ou gaki, mais de réaliser soi-même dans sa vie de tous les jours un esprit et des actions libres, pour le bien de tous.

Il se trouvait une fois un moine qui bien qu’il vécut dans un monastère, entouré de multiples moines sages et éveillés, était toujours possédé de multiples préjugés. Pour lui certains autres étaient stupides, ou avaient un comportement servile, toujours en gassho, toujours à se précipiter derrière l’abbé quitte à bousculer les autres, d’autres à son avis ne faisaient attention à rien et se servaient à table sans remarquer qu’ils prenaient trop de nourriture ou finissaient le vin sans regarder les autres verres, bref personne ne trouvait réellement grâce à ses yeux. Bon finalement l’abbé l’appela vu qu’il avait remarqué que ce moine dirigeait toujours son esprit vers l’extérieur et en fait ne faisait guère attention à son propre comportement. L’abbé l’envoya à la cave pour poser des pièges à souris, des cages étroites avec un petit morceau de fromage dedans.

Quelques jours plus tard, à nouveau l’abbé l’envoya ramasser les pièges à souris dans la cave du monastère. Quelques-unes contenaient des souris que le moine libéra dans les champs, mais une cage contenait un bébé écureuil. L’abbé dit alors : que personne ne touche à cette cage. Celui d’entre vous qui pourra me dire, sans toucher à cette cage, comment cet écureuil pourra sortir lorsqu’il grandira, pourra alors espérer me succéder à la tête de ce monastère. Et donc toi qui es si malin, si tu ne réponds pas à cette question, tu seras chassé du monastère vu que tu as suffisamment cassé les pieds de tous!

Le moine n’osa demander conseil à qui que soit bien sûr. Il réfléchît nuit et jour, imagina toutes sortes de stratagème, tournait autour de la cage sans oser y toucher en regardant l’animal prisonnier. Grande cage et petit écureuil, mais après : petite cage, grand écureuil et la neige en dehors du monastère, chassé sans abri. Koan. Il n’osait même plus se servir à table, distribuait le vin à chacun, trouvait que tout le monde avait une pratique plus profonde que lui, il se mit à franchement s’interroger sur lui-même et passa plusieurs semaines sans savoir ni quoi faire ni où il en était. Une nuit il fit un rêve, il rêva d’un écureuil qui sautait joyeusement de branche en branche. Personne ne sut ce qui se passa mais le lendemain matin, le moine apporta la cage vide à l’abbé et lui dit : l’écureuil est libre, cette cage ne sert à rien.

Daishin, n’être bloqué ni par les illusions, ni arrêté par les préjugés. Chaque instant de notre vie est le bon moment pour comprendre daishin.

ZAZEN 3

« Daishin est comme une montagne, tolérant, stable et impartial. A l’exemple de l’océan, daishin voit chaque chose dans la dimension la plus élevée. Posséder daishin veut dire être sans préjugé et refuser tout extrême. », dit Dogen.

Voyez-vous dans la Voie, comme dans la vie, il y a au début les grands espoirs, s’ouvrir à la dimension des Bouddhas, dédier sa vie à une œuvre de bodhisattva, comme les adolescents qui rêvent d’une planète sans pollution, sans classes sociales, d’un monde d’amour partagé avec bonheur. C’est très important ces grands espoirs du début, ils vont porter notre pratique et notre vie. Déjà envisager daishin, envisager toute la potentialité de hauteur spirituelle pour un être humain, est un  moteur qui ne pourra jamais réellement tomber en panne. C’est le temps de l’irruption inconsciente de daishin dans notre vie, le monde et moi-même sommes grands et tout va s’accorder sans problèmes.

Je me souviens la première fois que je suis allé à la Gendronnière, j’avais trente-sept ans, après dix jours de boulgour ratatouille, de carottes gingembre, de sarrazin choux rouges et de quinoa courgettes, d’omelette aux carottes râpées, de tisane et de soupes bonnes pour la santé, je rentre chez moi et retrouve mes trois enfants. Un soir que Mireille n’était pas à la maison je leur fais des choux rouges sarrazin. Ils m’ont regardé comme un extraterrestre et m’ont demandé si franchement ça allait, qu’est-ce qui me prenait et qu’ils n’allaient pas vraiment supporter si je commençais à leur faire de la  bouffe zen.

Donc après la vie de tous les jours reprend le dessus, souvent zazen, boulot, dodo, la glace étincelante fond, à cause du pâle soleil de la vie quotidienne. C’est le  moment où soit la pratique régulière prend alors le dessus, soit ça casse. Il peut s’en suivre une période plus ou moins longue, où la pratique fait son petit chemin intérieur, une bonne discipline de vie, on se couche un peu plus tôt, le sentiment d’être vivant devient plus intérieur. C’est comme les braises qui couvent sous la cendre, la force spirituelle augmente, et la compréhension des sutras et des enseignements s’intègre dans une dimension plus haute, c’est-à-dire moins terre à terre, les mots sont aussi vus comme des mots. Tout ce qu’il suffit de faire pendant ces années de gestation peut-on dire est de ne pas résister, de continuer tranquillement, d’avoir confiance en sa vie, on peut dire suivre l’ordre des choses qui murit à l’intérieur. Au début l’humanité croyait que la terre était plate, puis ensuite d’autres dimensions se sont ouvertes sur le monde, c’est un peu la même chose.

Et puis au fur et à mesure que tout ce que l’on croyait sur le zen se dissipe, que nos certitudes n’ont plus guère d’importance et que de toutes façons on se rend compte que la plupart d’entre elles sont trop simples et qu’on ne peut pas vivre aves des schémas de vie légèrement débiles du côté spirituel, que la croyance et l’espoir s’évanouissent dans la vacuité de toutes pensées et de tout phénomène, alors que reste-t-il ? Pour certains rien et ils tombent dans un nihilisme propice à la mélancolie, pour d’autres il reste évidemment le seul être dont nous connaissons vraiment l’existence réelle, nous-mêmes. Si nous vivions spirituellement disons par procuration, Bouddha, les patriarches, le maître, le service, le disciple, tout cela perd de sa consistance réelle, l’enfance est terminée, nous devons faire avec notre vie. C’est le moment où nous nous ouvrons à porter la Voie des Bouddhas en nous-mêmes, la Voie de la responsabilité adulte du moine, celle du bodhisattva qui connaît son existence éphémère et qui voit comment l’utiliser pour l’humanité. Les méthodes diffèrent d’une personne à une autre, la dimension élevée portée au sein de son cœur et de son esprit est la même, daishin l’esprit grand, la maîtrise de sa vie et de la Voie, ce qui n’est pas différent. Pourquoi le seraient-elles d’ailleurs? Pouvez-vous imaginer une quelconque Voie, de Bouddha ou autre, qui soit différente du chemin que vous devez parcourir vous-même dans votre vie, pour devenir un véritable être humain, sans honte, sans face cachée mais au contraire ouvert, maître de votre destin pour être utile à l’humanité, d’une manière ou d’une autre?

Dans la maison de Vimalakirti apparut alors une déesse qui prit forme humaine et qui éparpilla des fleurs célestes sur tous les bodhisattvas et les auditeurs qui étaient présents. Quand elle les eut lancées, les fleurs qui s’étaient posées sur les bodhisattvas tombèrent à terre tandis que celles qui s’étaient posées sur les Auditeurs y restèrent accrochées et ne tombèrent pas à terre. Alors ces grands auditeurs recoururent à leurs pouvoirs miraculeux pour secouer ces fleurs mais elles ne tombèrent point. Alors la déesse demanda au vénérable Sariputra : « Pourquoi secouez-vous ces fleurs? » Sariputra répondit : « Ces fleurs ne conviennent pas à des religieux, c’est pourquoi nous les rejetons. »

La déesse alors reprit : «  Ces fleurs sont tout à fait régulières, elles sont dépourvues de concepts et d’imagination. C’est vous seuls qui les concevez et les imaginez. Sariputra pour ceux qui possèdent la bonne loi, de tels concepts et de telles imaginations ne sont pas convenables, seuls ceux qui ne conçoivent ni concepts, ni imaginations sont en accord avec la bonne loi. Regarde donc les bodhisattvas, Sariputra. Les fleurs ne s’attachent pas à eux parce qu’ils ont tranché les concepts et les imaginations. Regarde les Auditeurs, les fleurs se collent à eux car ils n’ont pas tranché ni les concepts, ni les imaginations. De même les phénomènes ont prise sur ceux qui sont effrayés par les dangers du samsara, mais que pourraient-ils faire contre ceux qui ne craignent plus les passions du monde des phénomènes. Les fleurs s’attachent à ceux qui sont encore pris dans les filets des passions, mais ne s’attachent pas à ceux qui les ont brisés en eux-mêmes. C’est pourquoi elles ne s’attachent pas aux bodhisattvas libérés. »

(Kin-hin)

Alors Sariputra lui demanda : « Mais qu’est-ce que la délivrance ? N’est-ce point la destruction de l’amour, de la haine et de la sottise qui constitue la délivrance? »

Et la déesse lui répondit :

«  C’est pour les égarés que le Bouddha a dit : la destruction de l’amour, de la haine et de la sottise, voilà ce qu’on appelle la délivrance. Mais pour ceux qui ne sont point égarés, il a dit que l’amour, la haine et la sottise sont par eux-mêmes la délivrance. »

Alors Sariputra dit à la déesse :

« C’est bien, c’est bien, oh! Déesse. Qu’avez-vous obtenu pour posséder une telle sagesse et une telle éloquence? »

Et la déesse lui dit :

« C’est parce que je n’ai rien obtenu, rien réalisé, que ma sagesse et mon éloquence sont telles. Ceux qui pensent avoir obtenu ou réalisé quelque chose sont des égarés dans la loi bien prêchée. »

Voilà. Daishin, abandonnez vos certitudes, vos espoirs enfantins dans le zen, arrêtez vos catégories de politiquement correct et incorrect, votre fausse modestie, et acceptez que les fleurs vous collent dessus, ou tombent à terre, et portez en vous-même la Voie des Bouddhas. Ne comptez sur personne pour la porter à votre place et ne croyez pas que seuls les maitres doivent la porter et que vous pourriez tranquillement, sans risque, à votre rythme, bien polis, sans faire trop d’erreurs, pire en vous excusant, être le véritable invité de la sangha universelle. L’écureuil est libre, cette cage ne sert à rien.

Alors dit Dogen : « C’est seulement à ce moment-là que vous pourrez écrire, comprendre, étudier le mot Dai. »

ZAZEN 4

Pour réaliser daishin, un peu, beaucoup, ou suffisamment, voire complètement, dans le zen, c’est-à-dire dans votre vie de tous les jours, il y a à la fois des éclaircissements soudains et également une longue gestation. Ne négligez ni l’un, ni l’autre. C’est comme les décisions, certaines sont instantanées, d’autres mûrissent longuement. D’où vient la vérification, la certification, la digestion, jusqu’à ce qu’elles soient transformées en des vérités qui guident votre vie.

Des fois nous sommes semblables à un promeneur qui marche. Tout va à peu près bien, mais il a comme une petite chose dans sa chaussure, un scrupule, c’est-à-dire un petit caillou qui n’empêche pas la progression mais qui gène. Bien sûr nous pouvons continuer avec nos idées arrêtées sur la pratique, mais quand même ce petit caillou finit par empoisonner la promenade. C’est pourtant assez simple d’enlever sa chaussure, de jeter le caillou et de continuer librement. Et pourtant certains préfèrent continuer avec le caillou et s’efforcent de l’oublier, mais leur esprit y revient toujours, ils ne peuvent s’en débarrasser bien qu’ils fassent beaucoup d’efforts. A la fin la souffrance apparaît, on repart dans ses méandres cervicaux inutiles et daishin disparaît, le monde se rétrécit à cette petite pierre qui creuse la plante des pieds. Nous-mêmes ne sommes plus nous-mêmes.

Un moine novice demanda une fois au supérieur du monastère : « Comment atteint-on daishin? » Le maître lui répondit : « Personne jamais n’a atteint daishin. » Pourquoi? Parce qu’à la fin il n’y a rien à atteindre que nous ne possédions déjà. Nous possédons tous daishin. Le monde lui-même est daishin, dans chaque fleur, brin d’herbe, caillou, se trouve le monde entier, et en nous-mêmes aussi se trouve le monde entier, mais les gens oublient, ils préfèrent les mirages à la réalité. La question reste toujours la même : comment réaliser daishin, comment voir que nous possédons daishin en nous-mêmes, à l’intérieur de notre vie éphémère. Comment pouvons-nous participer d’un esprit aussi libre, universel, sans limites, alors que nous ne vivons que quelques dizaines d’années et que nous disparaîtrons sous notre forme actuelle pour en prendre une autre, à nouveau dissoute dans toutes choses? Comment réaliser que chaque instant de notre vie est complet? Comment être présent avec tout ce qui nous entoure? Comment faire?

Bon le jour où vous aurez la réponse, dites-la moi, et pourtant votre réponse ne me servirait à rien. Chacun doit trouver la vérité, ou sa vérité, quelle importance à la fin, sans s’échapper, sans mentir, sans passer à côté de son miroir le matin, dans sa propre vie. Se lever, pratiquer cette posture de droiture et d’observation de son corps et de son esprit est alors une bonne loi, simple. L’esprit s’ouvrira de lui-même et les questions disparaîtront. L’écureuil sautera de branche en branche et le rêveur s’éveillera, dit Daishi.

Maintenant, tranquilles le soir, dans ce dojo où s’élève une fine colonne d’encens, le cœur en paix, toute pensée de vérité disparaît, alors la vérité de notre vie apparaît simplement, nous sommes ici en cet instant.

ZAZEN 5

Daishin est également l’esprit magnanime. « Réjouissez-vous d’être né dans le monde où vous êtes en mesure d’utiliser librement votre corps pour offrir la nourriture aux trois trésors : Bouddha, dharma, sangha » dit Dogen. Il s’agit de comprendre par notre corps, pas par notre cerveau, comprendre par notre corps la valeur la plus élevée de notre vie. Si vous réfléchissez au zen et essayez d’y faire rentrer vos idées, ce qui est d’ailleurs très commun, on le fait même sans s’en apercevoir, c’est la quadrature du cercle, changer un cercle en carré avec un compas, impossible.

Aussi avec zazen, le corps droit, l’esprit devient droit, donner son temps et son énergie dans cette voie spirituelle en respirant calmement, en paix, est le don, sentir la douceur de son assise en silence et la tranquillité intérieure d’être seul, est en lui-même l’esprit magnanime. Sans esprit magnanime vous ne pourriez pratiquer une telle sesshin, aussi courte soit-elle. Alors ne cherchez pas daishin dans les miracles, ailleurs qu’en vous-même, laissez-vous envahir par cet esprit magnanime, riez de vos préjugés comme  des aventures imaginaires, acceptez votre existence éphémère et saisissez la vérité, la chose réelle qui vous satisfait entièrement. Grandissez, portez la voie en vous-même, sans peur, bondissez comme l’écureuil et riez aussi de toute cage.

Rencontrer zazen est un cadeau, acceptez-le, remerciez d’avoir pu vous ouvrir à votre véritable satisfaction intérieure, aussi soyez magnanimes.

Un jour Ryokan était dans son ermitage et un voleur fit irruption chez lui. Comme Ryokan était tranquille en zazen il ne bougea pas et le voleur lui déroba tout ce qu’il possédait. Avant de partir Ryokan lui dit : vous avez pris tous ces cadeaux, alors dites merci. Quand on reçoit des cadeaux on dit merci. Très surpris le voleur dit alors : merci et s’enfuit avec tout son butin. Il arriva par la suite qu’il fût pris par les soldats lors d’une rixe dans une taverne et arrêté. Les soldats ouvrirent son sac et trouvèrent quelques affaires qui leur firent penser au moine qu’il connaissait. Du coup, ils traînèrent le voleur jusqu’à l’ermitage de Ryokan pour vérifier qu’il lui avait bien volé ces affaires. Arrivé chez le moine, celui-ci, après avoir entendu les accusations des soldats et les dénégations du voleur dit simplement : pas de problèmes ce sont des cadeaux, je les lui ai offerts, d’ailleurs avant de repartir il m’a remercié.

Daishin, l’esprit grand, magnanime, est l’honneur de notre humanité. Pratiquer daishin est augmenter dans notre monde sa magnanimité, sa hauteur spirituelle qui lui fait bien défaut malheureusement, et est travailler, comme dit Dogen, pour les générations futures de façon à ce qu’une aube meilleure réchauffe cette planète, non grâce à l’accumulation du CO2, mais grâce à des moines et des nonnes zen, en prise sur leur époque pour l’humanité entière.

Voilà les quelques paroles que j’adresse premièrement à moi-même comme à vous, en tant que compagnons de la voie de la libération.

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