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Bodhisattva, moine zen : quelques considérations.

Le  bodhisattva est un emblème spécifique du bouddhisme mahayana. Il n’a pas d’équivalent dans le bouddhisme ancien. Il s’agit d’un être qui par sa sagesse progresse vers une vision éveillée et pure de la réalité à la place de continuer à tout percevoir à travers son « Moi », et qui par sa grande compassion fait le vœu que tous également réalisent ce grand éveil à la réalité telle qu’elle est, des êtres et des choses. Pour cela tout son travail est de cesser de s’attacher à son propre moi et ainsi de créer les conditions de devenir un être éveillé, c’est à dire un bouddha. En même temps il n’abandonne personne sur la Voie de l’Eveil. C’est le contraire d’une vie égoïste : vivre selon les quatre voeux du bodhisattva. Pour l’aider sur cette Voie il dispose des préceptes et des actions transcendantes que sont les paramita qui le guident chaque jour.

Etre un bodhisattva n’est pas limité aux moines. Par exemple Vimalakirti était un maître de maison c’est à dire un laïc mais se comportait comme un bodhisattva. Il ne s’agit pas seulement d’adopter une bonne éthique mondaine mais de conduire chaque action dans un but transcendent, c’est à dire au-delà de sa propre personne et destiné au bien de tous, à la réalisation de l’Eveil de tous : la vérité, la liberté intérieure. Ces principes furent les fondamentaux dans l’apparition du bouddhisme mahayana et restent pleinement en vigueur aujourd’hui ; ils sont universels dans le mahayana et en forment le cœur de sagesse et de compassion.

Recevoir l’ordination de bodhisattva de la part d’un maître de la transmission au sein d’une lignée consacrée par de nombreux patriarches et le Bouddha lui-même est un engagement qui demande une détermination constante tout au long de sa vie : recevoir les préceptes et les respecter, s’engager à conduire sa vie selon les vœux du bodhisattva et profondément vénérer les trois trésors, le Bouddha, le Dharma, la sangha. Chacun doit avoir la conscience que cela va changer toute la façon de voir son existence et sa place dans le monde, et lui faire prendre un tournant qui pourrait être radical. Il faut donc s’engager à accepter que sa vie change, passe d’une vie mondaine à une vie de bodhisattva sinon l’ordination ne servirait que de couverture chauffante au « Moi ». Recevoir l’ordination de bodhisattva va bien au-delà de juste rejoindre et faire partie d’une sangha. D’ailleurs la sangha est celle des « Nobles », c’est à dire de ceux qui marchent sur la voie de l’Eveil poussé par leur première expérience illuminatrice, les bodhisattva.

Au temps de Bouddha les moines, c’est à dire les bhiksus, étaient les disciples de Bouddha. Ils avaient quitté leur famille et vivaient avec lui, se nourrissaient et s’habillaient d’aumônes, ne possédaient rien en propre à part leur kesa, leur bol et leurs sandales. Ils avaient donc une vie complètement différente de celle des laïcs. De plus au départ ils étaient itinérants et n’avaient aucun lieu de villégiature, excepté pour les périodes des deux retraites de la saison des pluies et de la saison sèche où ils demeuraient dans un domicile fixe. Au Japon ces moines traditionnels sont appelés par Dogen des shukke, ce qui veut dire « ayant quitté la demeure ». Il était donc évident de voir la différence entre les membres d’un ordre monacal et les laïcs.

L’ordination de bodhisattva est donc considérée comme une ordination laïque et il n’est nullement demandé de quitter sa famille ou de devenir un bodhisattva sans demeure. Néanmoins un bodhisattva quitte la vie mondaine au profit de sa pratique qu’il continue tous les jours avec détermination et qui l’amènera au seuil de l’Eveil complet, avec toute l’humanité. Cette pratique est donc toute une façon, toute une éthique de vie éclairée et transparente au profit de tous les êtres sensibles et même au-delà. Il faut bien être conscient de la dimension absolue du bodhisattva alors même qu’il vit dans un monde relatif et phénoménal.

Qu’en est-il alors de l’ordination de moine aujourd’hui, dans notre monde actuel ? Est-ce bien différent de l’ordination de bodhisattva ?

L’ordination de moine est sans recul. Même si les conditions de vie ont évolué en Occident depuis les temps historiques du Bouddha, il s’agit d’une ordination monacale par laquelle le moine quitte dans son esprit sa demeure alors même que comme bodhisattva il continue à aimer et à s’occuper de ses proches. Le sens profond de sa vie, sa motivation et sa détermination spirituelle, demeurent dans sa pratique de la Voie. Il s’engage à l’avoir à l’esprit à chaque instant. La teneur de son engagement, sa responsabilité en tant que moine porteur de la Voie lui est donc un point d’ancrage inébranlable, non soumis aux phénomènes extérieurs, une résolution libre et sans attaches.

Je sais bien que beaucoup n’ont pas pris la juste mesure de leur engagement lors de leur ordination malgré leur détermination du moment, peut-être créée par d’autres motifs ou conditions. Certains même finissent par s’en aller lorsque les conditions changent. Ca n’est pas un critère à considérer, car il ne faut nullement s’adresser aux autres, ou les regarder, pour de telles questions vitales mais il faut s’adresser à soi-même.

Chacun a le choix entier de recevoir l’ordination de bodhisattva ou de moine, ou de rester laïc. Ce qui est important est que si quelqu’un demande l’ordination qu’il se rende bien compte alors de la responsabilité et de l’engagement universel qu’il prend et auquel il devra faire face dorénavant. S’échapper par la suite de cela d’une façon ou d’une autre ou errer dans l’incertitude et le manque de détermination face à la plus haute éthique morale et spirituelle de sa vie, n’est que retourner aux six mondes du samsara qui ne sauveront personne, ni la planète, ni soi-même, ni qui que ce soit.

Toute ordination est une consécration, nul ne doit prendre un tel acte à la légère ni éluder la responsabilité qui lui est attachée. La liberté a toujours un prix, il faut accepter de le payer. Alors comme disait mon oncle : « En avant la musique, en arrière les petits enfants ! »

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