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Bodhisattva aujourd’hui

Zazen 1

Toute notre histoire a commencé lorsque Bouddha Sakyamuni a dit à Mahakashyapa : « Je possède le trésor de l’œil du véritable dharma et l’esprit subtil du nirvana et je le transmets à Mahakashyapa ». Quel est alors ce trésor de l’œil du vrai dharma que Bouddha a transmis ? A-t-il alors été transmis jusqu’à nous, et si oui qu’est-ce que c’est ? Tous les enseignements bouddhistes en parlent, le précieux trésor ; dans d’autres traditions ce trésor est aussi cité : la pierre philosophale au Moyen-Age, l’esprit divin ou universel des Cathares, voire même les vortex cosmiques, le Graal, la grâce, l’illumination, l’éveil. Est-ce vraiment si compliqué ? Si inatteignable ? Qu’il faille passer sa vie à le chercher en vain comme un paradis caché ? Peut-être de nombreux pratiquants aiment bien croire à ce qui est impossible, se projeter au-delà de l’univers sans regarder la terre qui est juste là sous leurs pieds et transformer le zen simple en une grande vision mystique propre à leurs rêves qui leur permettent d’échapper au présent. Ce trésor c’est votre vie. Il ne s’agit pas du petit trésor de la vie que l’on contemple dans un album de famille pour se souvenir des multiples étapes de notre existence et de penser qu’après tout on a vécu ceci et cela, non. Le trésor c’est votre vie ici et maintenant.

Il y a une histoire avec un jeune garçon nommé Sessan qui est dit être une réincarnation de Bouddha, pour ceux qui croient à ce genre de phénomènes. Sessan était à la recherche de la vérité de sa vie, bien qu’il fût encore tout jeune. Alors il partit dans les montagnes à la recherche d’un sage ermite qui pourrait lui répondre. Un jour qu’il était au fin fond des montagnes, tout seul, il entendit une voix caverneuse qui disait : «  Tout est impermanent. Ceci est le dharma d’être né et de mourir. » Du coup Sessan s’arrêta comme figé, percuté par cette phrase. «Mais d’où vient cette voix, se demanda-t-il. Il regarda partout autour de lui mais ne vit personne. Et tout à coup la même voix sortit à nouveau de la montagne : « Tout est impermanent. Ceci est le dharma d’être né et de mourir. » Alors Sessan aperçu un démon terrifiant. Mais il voulait tellement connaître la vérité de la vie qu’il n’eut pas peur. Il s’approcha du démon et lui demanda : « Il doit y avoir une suite à ce que tu dis. Dis-moi toute la vérité. »

Le démon lui répondit : « Non ce n’est pas possible. J’ai tellement faim que je ne peux pas dire un mot de plus. » Sessan alors le supplia : « S’il te plaît ! Je te demande vraiment cette faveur. J’ai gravi des montagnes et franchi des précipices à la recherche de quelqu’un qui pourrait me dire quelle est la vérité ultime de ma vie. Alors si tu veux, dis-moi ce que tu veux manger, j’irai te le chercher ensuite tu me diras la suite de ton koan.  Qu’est-ce que tu manges ? » Le démon lui répondit : « Je mange de la chair humaine. » Sessan lui dit alors : « Ok, si tu me dis la suite, je t’offre mon corps à manger. » Ainsi le démon répondit : «  Réalise l’état de non-vie, de non-mort, de non changement. Contemple la vacuité. Alors tu seras au nirvana, confortable et en paix. » Lorsqu’il entendit cela Sessan se coupa le doigt et écrivit avec son sang sur le rocher ce poème entier, ensuite il sauta dans la gueule du démon. A cet instant le démon se transforma en le dieu Indra.

Ainsi pour connaître le trésor, sa propre vie, il faut sauter dedans sans craindre le démon. Il faut se donner soi-même sans craindre les phénomènes, ni l’enfer, ni le nirvana. Sinon nous risquons d’être semblables au mendiant de l’histoire du sutra du Lotus à qui le maître de maison coud dans la nuit une pierre précieuse dans la doublure de sa guenille. Comme ça se dit-il quand il trouvera ce diamant au petit matin sa vie changera et s’illuminera de grandes possibilités. Seulement le mendiant ne trouva jamais le diamant et passa sa vie dans la misère à chercher autre chose, ailleurs alors que le trésor était dans sa propre poche. Certains pratiquants du zen aussi passent leur temps à chercher ailleurs leur propre éveil, attendant que la Voie s’ouvre à eux, que les portes de la caverne aux miracles s’écartent et qu’ils puissent se servir comme des voleurs, à la place de voir que tout est là. Il n’y a pas d’illumination à chercher, l’illumination est là partout dans notre vie, il suffit de le réaliser. Pourquoi alors est-ce si peu répandu, pourquoi est-ce si difficile à concevoir, pourquoi les gens veulent-ils toujours autre chose même dans le zen ? Et finalement passent leur vie sans illumination, ou avec leur propre éveil caché dans la doublure de leurs habits. C’est bien dommage, comme passer sa vie en vain.

Donc il n’y a pas d’extra, c’est juste notre vie, alors autant l’apprécier à chaque instant, apprécier le monde de ce qui est, simplement de ce qui est. En zazen, le zazen réel du corps et de l’esprit, dans la vie de tous les jours la vie du corps et de l’esprit, à chaque instant. Ceci est le véritable trésor, trouvez-le il est juste devant vous et prenez-en le plus grand soin. A partir de là, commencez à vivre avec bonheur la vie d’un bodhisattva, satisfait en vous-même et disponible à chacun. D’abord comme disait Etienne : « Dans le zen chacun s’adresse à lui-même », c’est-à-dire avec sa vie, ses heurts et malheurs, ses enfers et ses paradis. Connaissant tout cela et sachant que tout cela fait partie de sa vie d’éveil, le bodhisattva commence alors ce qu’on appelle la carrière du bodhisattva. Ceci va être son véritable voyage, le périple réel de sa vie d’être humain, comme Bouddha.

Zazen 2

Le bodhisattva est la grande figure du bouddhisme. Il en est peu parlé dans les textes du ch’an ou du zen, qui insistent plus sur l’esprit, la connaissance de son esprit, de sa véritable nature, c’est-à-dire de soi-même et de son existence réelle. Bien sûr dans les textes plus anciens du bouddhisme indien le bodhisattva, souvent magique et doué de pouvoirs divins, supra humains, tient une très grande place. Les bodhisattvas magiques volent dans les airs sur des trônes en or, revivent et revivent des myriades de fois au cours de kalpas sans fin, et toujours reviennent dans la vie réelle pour sauver encore et encore les êtres. Donc jamais tranquilles, toujours sur la brèche, en plein dans les phénomènes. A la fois ils épuisent leur karma, deviennent plus transparents mais ne disparaissent pas tant que l’humanité est plongée dans le monde de la souffrance.

Qu’en est-il du bodhisattva d’aujourd’hui qui n’émet pas de rayons cosmiques, qui se cogne sa vie dans le monde moderne où tout va de plus en plus vite, des fois fatigué, épuisé peut-être mais qui continue selon ses vœux ?  A la place de vivre comme une grenouille dans sa mare, nous devons apprendre à vivre dans le monde des Bouddhas. Dans le monde des Bouddhas tous les êtres se mélangent et se fondent ensemble dans l’humanité. Ainsi nous devons vivre en harmonie et en paix avec les autres parce que nous sommes intimement reliés, sans séparation entre nous.

Nous avons notre vie, justement le monde de Bouddha la rend intime et nous fait comprendre, comme un réactif chimique ou un engrais sur des plantes – bien sûr un engrais naturel tel du compost ou du fumier, je précise pour Claude –  que nous ne sommes pas séparés des autres vies. Ainsi lorsque nous abandonnons nos activités communes pendant un week-end, que nous faisons don d’un week-end à une pratique d’éveil non seulement comme bodhisattvas nous faisons œuvre de salvation pour nous-mêmes mais pour tous. C’est vrai : petit à petit nous devenons plus patients, plus ouverts, nous voyons moins nos propres problèmes comme essentiels mais avons le sentiment de participer à une vie universelle. C’est la vie religieuse, présente à chaque instant, connectée à tous, pour le bien.  A ce moment rien n’est négligé, rien n’est perdu, ni inconnu, vous ressentez votre vie comme une source vivante, vous avez trouvé le diamant dans vos guenilles, vous pouvez laisser tomber votre manteau de mendiant et vous ouvrir au monde de Bouddha.  Le monde de Bouddha commença pour Sakyamuni lorsqu’il mit les pieds hors de son palais. Ensuite tout s’enchaîna car il se rendit compte. Même chose pour nous, juste un peu sortir de notre routine et c’est parti, comme venir à un week-end de pratique. Alors laissez le processus du bodhisattva se faire, comme une alchimie qui réagit lentement, on voit rien mais ça glougloute, le bodhisattva naît.

Dans un temple près d’une ville un jeune moine alla trouver son abbé et lui dit : « Je voudrais vraiment ressentir que je vis une vie de bodhisattva, mais jusqu’à maintenant à part nettoyer les escaliers du temple, servir la soupe, laver les chiottes, je ne vois pas vraiment, rien de tout cela n’est universel, c’est juste faire ce qui doit être fait dans ce petit monde de notre temple. Je voudrais autre chose, ici j’étouffe, que je fasse tout ça dans un temple ou dans une administration quelconque je vois plus la différence. Quand je suis venu ici je vous ai dit que je voulais sauver le monde, l’humanité.  Je ne vois pas ce que brosser pour la 100ième fois le sol du dojo puisse avoir quoi que ce soit à voir avec sauver tous les êtres. »  « Hum » dit l’abbé. « Je me demandais combien de temps tu mettrais à réagir. Va donc en ville faire un tour et vois alors ce que tu pourrais y faire pour aider tout le monde. » Super se dit le jeune moine, il mit ses souliers en vue de la marche qu’il voulait faire, prit sa besace au cas où, et plein de courage il marcha vers la ville.

Avisant un marché très animé Il s’y dirigea, en pensant que là il rencontrerait beaucoup de gens. Devant un étal deux personnes se disputaient à propos du prix d’un sac de riz. S’approchant d’eux il se planta à côté sans rien dire. Les arguments sur le prix pleuvaient jusqu’à ce qu’ils se rendent compte de la présence du moine. Ils le regardèrent et lui demandèrent ce qu’il voulait de façon un peu agressive. « Rien, dit le moine. Je me demandais juste quel devait être le prix réel de ce riz, car on ne peut compter dans son prix ni l’apport de la terre, ni la chaleur du soleil, ni le bienfait de la pluie, seul le travail de le planter et de le récolter doivent être considérés. Ceci doit être facile à calculer. Lequel de vous deux pense réellement posséder ce riz ? » Et il s’en alla.

Au coin de la rue il tomba sur un mendiant qui s’agrippa à lui pour lui demander de l’argent. Le moine n’avait rien, comment pourrait-il l’aider ? En réfléchissant à ce koan le jeune moine resta debout à côté du mendiant aussi les gens qui passaient donnèrent-ils des pièces au mendiant, impressionnés par la présence du moine.  Il aida une vieille femme à traverser la rue, joua avec des enfants, parla de sa pratique de moine aux personnes qu’il rencontra et qui étaient intriguées de sa présence. Sa journée fut magnifique, remplie de joie et d’enseignements, active, il rejoignit le monastère en se sentant vivant, se réjouissant d’y retourner le lendemain. L’abbé l’accueillit en souriant. Et le soir, après la vaisselle du temple, il s’endormit fatigué.

Petit à petit pour lui la pratique de zazen et la vie extérieure dans la ville s’allièrent, aucune séparation, de façon simple et naturelle. Le silence et l’action s’harmonisèrent. Faire le bien et pratique religieuse furent sa vie réelle. Nous sommes les bodhisattvas de ce temps moderne, il nous appartient d’inventer notre vie de bodhisattva où nous sommes, quoi que nous fassions, chaque jour, telle est la voie active des moines de notre époque, je pense. Il y a le temps de la retraite spirituelle, et le temps de l’action dans la vie quotidienne. Ces deux temps sont intimement liés, chacun se nourrissant l’un de l’autre pour une vie pleinement satisfaisante et profitable pour tous par nos vœux de sauver chacun. Rien de compliqué à comprendre là-dedans, juste pratiquer ce que nous savons nous-même être juste.

Zazen 3

Ainsi la vie d’un bodhisattva ou d’un Bouddha est complètement différente d’une vie commune. Celui qui cherche une voie spirituelle va toujours dans la direction de vouloir sauver tous les êtres et non seulement de satisfaire ses désirs individuels.  Comme Sessan qui se jette dans la gueule du démon, il faut offrir complètement son corps, son esprit et votre vie. C’est très difficile.

Katagiri Roshi dit : « Lorsque vous faites le vœu de faire quelque chose pour les autres, même si c’est un tout petit détail, vous donnez vraiment tout votre corps et votre esprit pour le faire. C’est votre pratique. Alors, vous appuyant sur votre vision juste de la vérité et votre réflexion juste de quoi faire, vous pouvez marcher sur le chemin spirituel de l’activité juste chaque jour de votre vie. La pratique du zen est basée sur la rencontre continuelle de la sagesse et de la compassion. Que chacun de nous pratique de cette façon. Une personne religieuse doit être un ami sincère qui peut marcher main dans la main, à côté des gens, les accompagner où qu’ils soient, sans perdre la voie spirituelle de la vie. Pour réaliser cela, nous devons premièrement nous éveiller à ce que nous faisons et  à où nous sommes. Ceci est la sagesse. Alors nous devons aider les autres. »

Seulement la sagesse possède un côté stérile, encore faut-il pratiquer le pouvoir de cette sagesse. Et seulement la compassion sans sagesse peut finir en compassion stupide. Aussi un bodhisattva s’efforce-t-il de posséder les deux pour être bien efficace. Alors par une action de compassion fondée sur la sagesse, nous pouvons aider tous les êtres sensibles à faire un pas en avant vers le futur. Et ceci est également très bon pour nous-mêmes.

Il y a un conte dans la Majna Paramita Sutra. Dans une de ses existences antérieures le Bouddha Sakyamuni était un roi nommé Sibi. Ce roi possédait les dharanis, il était doué d’une grande énergie et rempli de bienveillance et de compassion. Il considérait tous les êtres avec l’amour d’un père pour ses enfants. Or en ce temps il n’y avait pas de Bouddha. La vie de Sakra était épuisée et sur le point de disparaître. Il se dit : « Où y a-t-il un Bouddha omniscient ? J’ai des difficultés sur nombre de sujets et je ne puis trancher mes doutes. » Il sut alors qu’il n’y avait aucun Bouddha, remonta au ciel où il s’assit tristement. Le dieu Visvakarman lui demanda : « Pourquoi es-tu si triste ? » Sakra répondit : « Je cherchais un omniscient mais je ne l’ai pas trouvé. C’est pourquoi je suis triste. »  Visvakarman lui dit : « Il y a un grand bodhisattva doué de générosité, de moralité, de pratique et de sagesse. Avant peu il sera Bouddha. » Sakra répondit alors par ces stances :

De Bodhisattva qui produisent la grande pensée,

Des œufs de poisson et des fleurs de manguier :

Voilà trois choses assez communes,

Mais il est rare qu’elles portent des fruits.

Visvakarman répondit : « Ce roi Sibi est moral, énergique, très bienveillant et compatissant, recueilli et sage, avant peu il sera Bouddha. » Sakra dit alors : « Allons l’examiner pour voir s’il possède les caractères d’un bodhisattva. Tu te feras pigeon et je me ferai faucon. Tu feras semblant d’avoir peur et tu te réfugieras sous l’aisselle du roi ; moi je te poursuivrai. De cette façon nous pourrons éprouver la résolution ferme de Sibi. » Aussitôt Visvakarman se transforma en un pigeon aux yeux rouges et aux pattes rouges, tandis que Sakra se changeait en un faucon. A tire-d’aile le faucon poursuivait le pigeon qui alla en ligne droite se réfugier sous l’aisselle du roi ; tremblant de peur, l’œil inquiet, il poussait de petites plaintes. Quand toute la foule vit cela elle trouva le roi très bienveillant et portant les marques d’un bodhisattva. Le faucon se percha sur un arbre voisin et dit au roi Sibi : « Rends-moi mon pigeon, c’est moi qui l’ai pris. » Le roi lui répondit : « C’est moi qui l’ai pris le premier, ce n’est pas toi. Depuis que j’ai produit l’esprit de grande sagesse, j’accueille tous les êtres et je veux tous les sauver. » Le faucon lui dit : « O roi, tu veux sauver tous les êtres ; n’en ferais-je point partie ? Pourquoi serais-je le seul à ne point jouir de ta compassion ? M’enlèveras-tu mon repas du jour ? » Le roi répondit : « Que dois-tu manger ? J’ai fait le vœu de protéger tout être qui cherchera son refuge en moi. De quelle nourriture as-tu besoin ? Je te la donnerai. » Le faucon répondit : « Il me faut de la chair fraîche. » Le roi se mit à réfléchir : « C’est difficile à trouver. On ne pourrait s’en procurer sans tuer des animaux. Vais-je donc tuer quelqu’un pour lui en fournir ? » Réflexion faite, sa décision demeura ferme et il dit cette stance :

La chair de mon propre corps

Toujours soumise à la vieillesse, à la maladie et à la mort,

Entrera avant longtemps en putréfaction.

Je dois la lui donner.

Il appela donc un serviteur, prit un couteau, se coupa lui-même un morceau de sa cuisse et il donna la chair au faucon. Le faucon dit au roi : « Tu me donnes de la chair fraîche, mais en bonne justice, tu dois faire en sorte que le poids de ta chair égale celui du pigeon. Ne te trompe pas. » Le roi alla chercher une balance et plaça le morceau de chair d’un côté et le pigeon de l’autre, mais le pigeon était plus lourd que la chair du roi. Alors il ordonna à son serviteur de lui trancher l’autre cuisse, mais c’était encore trop léger. Il se trancha alors successivement les deux pieds, les deux fesses, la nuque et toute sa chair du dos. Il sacrifia son corps entier, mais le pigeon restait toujours plus lourd que la chair du roi. Comme le spectacle était horrible à voir, ses ministres disposèrent un paravent et écartèrent les assistants et la foule, car le roi ne pouvait être vu dans un tel état. Mais le roi Sibi leur dit : « N’écartez pas les gens, invitez-les à entrer et à regarder. » Puis il ajouta ces stances :

Que les dieux, les hommes et les guerriers

Viennent tous me contempler.

Il faut une grande pensée, une extrême résolution

Pour parvenir à l’état de Bouddha.

Quiconque recherche l’état de Bouddha

Doit supporter de grandes douleurs.

Si on ne peut maintenir sa résolution,

On doit renoncer au vœu de la Bodhi.

Le bodhisattva attira alors la balance et voulut y grimper. Le faucon lui dit : « Grand roi, tout cela me parait bien difficile. Pourquoi fais-tu cela ? Rends-moi plutôt le pigeon. » Le roi répondit : « Le pigeon a pris refuge en moi, je ne te le donnerai jamais. Si je sacrifie mon corps, ce n’est pas pour gagner des trésors, ni par intérêt. Je veux, au prix de mon corps, conquérir l’état de Bouddha. » Le roi essaya encore de grimper dans la balance mais il ne pouvait plus se diriger, bien qu’il encouragea son propre cœur : « Tu dois t’affermir et ne pas te troubler. Tous les êtres sont plongés dans un océan de douleur. A toi seul tu as juré de les sauver tous. Pourquoi te décourager ? Si moi qui suis sage, énergique, moral et extatique, je souffre de telles douleurs, que dire alors des gens sans sagesse plongés dans les enfers ? » Il donna alors l’ordre à son serviteur de le placer dans la balance. A ce moment sa résolution était ferme et il ne regrettait rien.

Alors tous les dieux le louèrent grandement : « Agir ainsi pour un petit pigeon, c’est extraordinaire. » La grande terre trembla six fois, la grande mer enfla ses vagues, les arbres morts se mirent à fleurir, les dieux firent tomber une pluie parfumée et jetèrent des fleurs. Tous vinrent le louer des quatre points cardinaux en disant : « C’est un vrai bodhisattva qui doit bientôt devenir Bouddha. » Le faucon dit au pigeon : « L’épreuve est terminée : il n’a pas épargné sa vie. C’est un vrai bodhisattva. » Sakra dit alors au roi : « Lorsque tu tranchais dans ta chair et que tu souffrais cruellement, n’as-tu pas éprouvé de regret ? » Le roi répondit : «  Non, je n’ai éprouvé ni irritation, ni colère, ni chagrin, j’étais résolu car je tendais à l’état de bouddha. Si je dis vrai, que mon corps redevienne comme il était auparavant. » A peine eu-il prononcé cette parole que son corps redevint comme avant. A ce spectacle, les hommes et les dieux eurent une grande joie et crièrent au prodige : « Ce grand bodhisattva deviendra sûrement Bouddha. Nous devons l’honorer de tout cœur et souhaiter qu’il devienne bientôt Bouddha. Il nous protégera. » Alors Sakra et Visvakarman retournèrent au ciel.

Ce sont par des actes de ce genre que le bodhisattva remplit la vertu du don. Bon, tous les jours il peut aussi le faire par des actes plus simples. Le fait de faire don de son corps et son esprit néanmoins demeure.

Zazen 4

Quel est alors le rapport intime entre zazen et la vie du bodhisattva ? Vous pourriez dire : bon il suffit dans la vie de tous les jours de faire le bien et c’est bon. Oui, mais justement ceci est très difficile à pratiquer même pour un vieux patriarche. La pratique de zazen est déjà en elle-même un don. Pensez-y juste une minute : c’est samedi soir, il pourrait y avoir la famille si vous en avez, le canapé et la télévision, se coucher tôt ou aller à la disco, dans un bar, changer d’ambiance, se divertir, souffler un peu après toute une semaine bien occupée, un petit truc spécial, une bonne bouteille de vin. Tout cela vous l’avez abandonné pour venir pratiquer le silence intérieur, pour à la fois donner votre temps et en recueillir les fruits de la vie religieuse. Seuls, et avec tout ce qui réalise véritablement votre vie. Il est évident que ce que je vous dis, je l’adresse d’abord à moi-même, qui ne suis nullement différent de vous tous.

En zazen ne recherchez rien mais même si vous obtenez quelque chose, un résultat, vous devez le laisser passer, l’abandonner. Offrez votre vie, c’est-à-dire offrez à chaque instant votre corps et votre esprit. N’essayez pas de grappiller quelque chose mais soyez simplement disponibles, oubliez tout but. Vous pouvez alors vous ouvrir à votre propre cœur et votre vérité apparaîtra d’elle-même. Ce mouvement de don, d’ouverture, d’abandon de soi-même est justement l’actualisation du vœu du bodhisattva. C’est un peu vague, bien sûr, comme le parfum de l’encens, peut-être ne réalisez-vous pas consciemment pourquoi vous pratiquez zazen, aucune importance, laissez faire, ne résistez pas, laissez-vous attraper par zazen, alors vous vous laisserez attraper par la compassion, l’amour de tous les êtres, comme vous.

Si vous regardez votre vie en face, vous pouvez voir que constamment vous faites des efforts pour la sortir de la vacuité. Certaines personnes font beaucoup d’efforts pour laisser des traces, des bâtiments, un nom, des réalisations qui les perpétueront dans les siècles à venir, pour extraire leur ego de l’absurde, pour se forger une identification extérieure qui impressionne le monde, et à la fin s’épuisent en vain. Happés par la vacuité de leurs espoirs ils finissent par péter les plombs, fatigués par toutes leurs tentatives infructueuses de satisfaire pleinement leur être. Si l’on ne voit sa vie que pour soi-même c’est ce qui arrive tôt ou tard, inexorablement. En zazen au contraire vous devenez intime avec cette vacuité, vous l’apprivoisez comme une amie intime en observant le lent va-et-vient de votre respiration. Alors naturellement la vie devient la vie spirituelle, calme, tranquille et très stable. Ceci impressionne chacun et simplement votre présence impressionnera toutes les personnes autour de vous. Vous les aidez déjà. Vous pouvez le faire sans regrets, envies, ou volonté de rétribution, car vous-même intérieurement êtes pleinement satisfaits. La pratique régulière est importante car l’être humain oublie vite. Il croit qu’il pourrait s’en passer et que tout resterait le même monde, mais si vous coupez le jus des lignes à haute tension, les trains continueront sur leur lancée un certain temps mais à la fin ils s’arrêteront. Il en va de même avec la vie religieuse.

Hyakujo disait : « Satisfaits avec la guen-mai, satisfaits avec le riz, satisfaits avec la réalité, satisfaits de notre visage originel. C’est notre bonheur d’êtres sensibles, c’est produire le bon, produire le bien. » Comprendre alors « dai », grand. Lorsque vous avez compris l’idéogramme « dai » dans votre vie, alors satisfaits avec zazen tous les jours, vous pouvez produire le bien et vous lancer sur la route des bodhisattvas compatissants, aimant les êtres, la nature, la vie, car vécue à chaque instant. Il n’y a rien de secret là-dedans, tout est évident. C’est l’illumination, car votre vie devient illuminée.

Zazen 5

Dans le Tenzo Kyokun, Dogen dit : « La fonction du tenzo est de préparer les repas pour les moines, et pour ceux qui veulent suivre la Voie, le système cosmique. » La fonction des bodhisattvas est aussi de préparer la Voie pour ceux qui veulent la suivre. Les bodhisattvas, je veux dire les moines, les nonnes, eux possèdent la Voie, ils la portent en eux, qu’ils n’aient aucun doute là-dessus ou alors sombrent dans un doute éternel. Animés par cette force intérieure ils sont alors ouverts et disposés à aider tous car ils n’ont plus rien à demander pour eux-mêmes. Le tenzo n’a aucun besoin de voler de la nourriture dans ses casseroles, il la prépare pour tous, y compris pour lui-même.

La grande voie n’est pas si facile, il ne suffit pas de s’asseoir de temps en temps, ce qui est déjà un grand don, mais de vivre selon le monde des Bouddhas. Cela prend toute la vie mais il ne s’agit pas de lourdeur, de tas de trucs qu’il faudrait absolument faire comme toutes les règles juives, mais bien de joie, de profonde satisfaction, de don, dans un monde qui l’oublie très souvent. Pour cela le bodhisattva ne peut agir qu’à partir de son éveil, qu’à partir de sa vie illuminée, qu’à partir de lui-même, aussi doit-il à la fois approfondir sa propre pratique et sa compréhension, raffermir sa foi et sa confiance en lui-même, et à la fois être disponible pour tous les êtres sans demander rien en retour car il a déjà tout, les trésors de la vie religieuse.

Au vu du fait que nous naissons, nous vivons, et tous nous mourrons que nous le voulions ou non, en face de cela, qu’est-ce qui mérite que cette vie soit réelle et non juste absurde. Pour moi je n’ai pas trouvé de but plus haut, après plus de soixante ans, que de vouloir jour après jour être ou devenir, quelle différence, un véritable bodhisattva qui peut se tenir debout sur la terre et que celle-ci l’accueille comme une partie d’elle-même.

Continuez, continuez toujours, encore et encore, ne vous enfuyez jamais. Eveillez-vous.

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