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« Atteindre l’éveil dans cette vie elle-même. » Kukai (Kobo Daishi)

Zazen 1

Lors de notre récent voyage au Japon, je fus surpris de voir beaucoup de temples du bouddhisme Shingon à Kyoto et Nara. C’est le bouddhisme ésotérique de Vairocana. Le fondateur de l’école shingon au Japon est Kukai, Kobo Daishi qui vécut autour du 8ème siècle. Sa devise fut : « Atteindre l’éveil dans cette vie elle-même. » Comment toucher notre existence réelle ? Comment devenir et rester en contact direct avec la réalité et non pas passer notre temps à divaguer dans nos illusions, à prendre nos rêves pour la réalité ? Comment vivre de façon éveillée ?

Maître Deshimaru l’a exprimé : « Notre vie n’est qu’un rêve. Les gens souffrent à cause de leur esprit empli d’illusions, de folies et de peurs ; mais tout cela n’est qu’images dans un miroir, sans réelle existence. » C’est au sein même du monde des phénomènes que nous devons trouver notre existence réelle, c’est à dire d’atteindre l’éveil le plus clair et le plus haut. Chacun porte en lui cet éveil originel, ce Dharmakaya, la source de la sagesse et chacun dispose du pouvoir de réaliser cette illumination à l’intérieur de son propre esprit et de son propre corps, dans sa vie elle-même de maintenant. Nous n’avons pas d’autre vie, pas d’endroit où nous échapper, le paradis et l’enfer ne sont pas des royaumes d’ailleurs mais sont notre vie quotidienne et c’est au sein de celle-ci que nous pouvons nous éveiller à notre existence réelle.

Sur le Dharmakaya, Kukai dit : « Où se trouve le Dharmakaya ? Il n’est pas lointain ; il se trouve dans notre corps. Où se trouve la source de la vérité ? Dans notre esprit ; certainement elle est très proche de nous. La réalité pure n’est pas à l’extérieur. Si elle n’est pas alors dans notre corps-esprit, où peut-elle bien être trouvée ? » La Voie des Bouddhas est notre propre corps-esprit et le royaume où elle se réalise est notre propre existence. Comprendre cela profondément, cultiver l’esprit qui cherche la vérité, bodaishin, l’esprit qui désire se tourner vers la plus haute dimension de son existence, reste intrinsèquement une relation intime que chacun peut avoir avec le Bouddha, avec le divin. Cette foi, notre corps-esprit, ne peut être générée par qui que ce soit d’extérieur, n’attendez surtout pas passivement que quelqu’un puisse vous l’enfiler comme un vaccin avec une seringue, c’est véritablement vous-même, entièrement vous-même en unité avec le divin, avec le Bouddha ou avec Vairocana. Le Dharmakaya réside dans votre propre corps-esprit et se manifeste dans votre propre vie, dans tous ses phénomènes, dans sa réalité de tous les jours.

La religion est une expérience directe de notre être entier, total, ainsi l’enseignement du zen comprend à la fois la méditation, le zazen, et la vie de tous les jours. Dans sa recommandation universelle pour le zazen Dogen dit : « Le zazen dont je parle n’est pas apprendre une méditation. C’est la manifestation de la réalité ultime. Lorsque votre cœur est touché, vous êtes semblables au dragon qui plonge dans les profondeurs de l’océan, semblables au tigre qui pénètre dans la montagne. Les formes et la substance sont semblables à la rosée sur les brins d’herbe, notre destinée est semblable à la flèche de l’éclair, disparue en un instant, partie comme un flash. Ne vous méfiez pas du véritable dragon. Dédiez votre énergie à une voie qui pointe directement vers l’absolu et accordez vous avec l’éveil des bouddhas. »

Tout cela est notre existence réelle. Notre vie réelle est la vie d’un bodhisattva. De quelle autre vie imaginaire pourriez-vous bien vous contenter ? Atteindre l’éveil dans cette vie elle-même et mener l’existence d’un bodhisattva est la dimension humaine la plus haute. Arrêtez de rêver et allez jusqu’au bout !

Zazen 2

« Atteindre l’éveil dans cette existence elle-même. », dit Kukai. Cette révélation ne se trouve ni dans les livres, ni dans l’enseignement de quelqu’un d’autre mais elle est inscrite dans le cœur de chacun. C’est une révélation qui se vit. Vivre cette révélation tous les jours est la vie du bodhisattva, celle qui nous invite et nous permet de réaliser pleinement notre existence. Sur ce chemin chacun doit marcher seul, doit trouver un enseignement d’éveil pour être responsable de ses actes, de ses paroles. Mais la plupart des pratiquants, même dans le zen si dépouillé, le zen du bol vide, de la goutte de rosée qui tombe et de l’éclair fugitif de l’instant, mais même dans ce zen là, direct, intérieur et rempli de silence, les gens ne veulent pas marcher tout seuls, ils veulent que quelqu’un leur tienne la main, ils préfèrent rester derrière quelqu’un, c’est plus facile. N’ayez pas peur du dragon vivant, plongez libres dans le samsara. Comme disait mon oncle : « En avant la musique, en arrière les petits enfants. »

Cet éveil même doit devenir de plus en plus profond, jusqu’à ce que vous le sentiez dans votre propre corps aussi, comme une présence de confiance spirituelle active. Alors comment transformer de façon efficace et rapide notre conscience non éveillée en la sagesse de Bouddha ? C’est la question de la pratique.

La pratique est la clé de la révélation du dharma. Bien sûr la pratique de zazen est une chose, la pratique dans la vie quotidienne au milieu de toutes nos activités en est une autre et pourtant ces deux pratiques sont unité car dans notre vie de tous les jours se reflète notre pratique de zazen et celle-ci n’est pas séparée de la vie que nous menons. Notre existence réelle contient à la fois l’esprit, le corps, le zazen et tous les phénomènes que nous rencontrons ou créons. Le royaume du zazen et de l’éveil est juste celui de notre vie.

Sans la pratique de zazen, la vie quotidienne ne peut pas être le zen. Elle est donc au centre de la réalisation de l’éveil dans notre existence. La première chose à réaliser pour des adeptes du zen est d’avoir une pratique de zazen réelle. Qu’est-ce que cela veut dire ?

En zazen, dès que la posture du corps est bien affirmée dans un tonus vivant mêlé à un lâcher prise du ventre et des épaules, dès que le sentiment de l’unité du mudra des mains est bien conscient, le plus difficile reste à pratiquer : ne pas s’enfuir dans ses propres illusions, ne pas ruminer ses pensées, ne pas s’échapper dans une absence imaginaire mais rester présent dans la réalité du moment. C’est la raison pour laquelle nous gardons les yeux ouverts qui sont par notre regard le contact que nous entretenons avec la réalité, avec le réel d’être assis ici à chaque instant. La question du regard est fondamentale. A la fois il ne s’agit pas d’adopter un regard fixe, figé et sans vie, et non plus de laisser son regard devenir complètement flou, sans aucune focalisation, perdu dans le vague. Ceci ouvrirait justement la possibilité de divagation de l’esprit. Alors on dit : poser le regard.

C’est un point délicat qui mérite toute notre attention car le fait de ne pas bouger le regard, sinon l’esprit et le corps en définitive suivront et bougeront aussi et nous perdrons le miroir, risque de le rendre absent. Il faut donc constamment réajuster la réalité du regard et ne pas s’échapper. Ceci allié à une attention intime sur la posture, sur la respiration dont il faut prendre soin délicatement, devrait normalement occuper notre esprit et faire en sorte que les pensées récurrentes restent au niveau mi-inconscient.

Il y a donc beaucoup à faire, sans que ce soit vraiment « faire quelque choses » et oublier cela, se laisser aller à la routine, à une certaine torpeur nous écarte de notre présence réelle. Ceci sera infiniment profitable au fait de rendre notre existence réelle, et non endormie, dans notre vie quotidienne. C’est un des mérites pratiques de zazen, en plus des mérites absolus répandus dans le macrocosme, la paix, la clairvoyance, la bienfaisance et l’ouverture compassionnée.

Zazen 3

« Atteindre l’éveil dans cette existence elle-même. » C’est à dire aussi atteindre notre existence réelle, et non une existence illusoire, sans éveil.

Pour beaucoup de gens la vie passe sans qu’ils s’en rendent compte et lorsqu’ils doivent disparaître ils risquent d’avoir le sentiment de n’avoir jamais vécu, mais c’est trop tard. La dernière minute arrive très vite et c’est fini, le livre se ferme, il faut tout abandonner. Donc dans la vie il faut de l’attention, de l’attention et encore de l’attention. Chaque instant est notre vie tout entière, sinon tout passe comme un rêve, comme un trou noir, une absence à notre être qui ne peut apporter aucune satisfaction intérieure. Le désir de chacun est de saisir le sens ultime de son existence, de s’en approcher le plus possible, de tenir sa vie réelle dans ses mains, d’en connaître le divin, d’être véritablement vivant pendant ce temps si court dans l’histoire de tout le monde.

Aussi la question reste toujours dans la vie quotidienne : quoi faire ? Comment faire ? Tout cela s’en se faire prendre dans les filets de nos attachements divers et de nos fuites protectrices. Cela demande, en suivant Dogen, une connaissance pointue de soi-même, c’est du travail de comprendre son karma, de chasser les influences intergénérationnelles auxquelles nous avons été soumis, de décortiquer les agents implantés par nos archétypes. Déjà cela est quasiment le travail d’une vie. Ceci compris et digéré plus ou moins – on cherche pas la perfection heureusement – cela demande également en même temps la capacité de s’oublier soi-même, c’est à dire d’être capable d’ouvrir notre fonctionnement au-delà de notre moi, d’agir librement et non englué dans nous-mêmes, de ne pas se concentrer uniquement sur soi ni de voir le monde à travers nos opinions. Alors finalement la liberté et le monde s’ouvrent. Les fossés qui nous séparaient de notre véritable vie disparaissent naturellement, nous sommes directement connectés, c’est la sortie du tunnel. Nous sommes alors prêts pour la vie d’un bodhisattva. Le bodhisattva devient notre état naturel, normal. C’est dans notre corps-esprit, l’alchimie de la vie spirituelle se résout, le divin nous habite, la pierre philosophale est au cœur de nous-même. L’existence réelle d’un être humain est l’existence d’un bodhisattva. La question de la vie et de la mort devient la lumière et l’obscurité disparaît. Que souhaiter de mieux pour chaque être sensible ? Aider à cela est sauver tous les êtres.

Le bodhisattva n’est pas une définition trouvée dans les sutras ou sur Wikipedia. Qu’est-ce qu’un bodhisattva ? La réponse doit être vivante : pour un pratiquant sincère de la Voie des Bouddhas et des Patriarches, la réponse est contenue dans sa propre vie qui, elle, montre ce qu’est réellement un bodhisattva. Ce n’est pas une définition qui peut guider notre vie, mais toute une pratique de bien. Cette pratique est à la fois ce qui nous amène à un éveil clair sur toutes choses et à la fois la pratique bénéfique à tous les êtres. Les deux dimensions s’élargissent et grandissent l’une avec l’autre nous apportant notre plus grande satisfaction, notre existence réelle éveillée, et le fait d’être utile, d’apporter un sens, une signification à notre existence.

La vie du bodhisattva est la vie la plus haute. C’est à la fois un idéal et une pratique naturelle de chaque instant. Il ne s’agit nullement de se forcer à faire le bien, mais de laisser déborder le bien, la compassion et l’amour de nous-mêmes car nous en sommes pleins. A ce moment naturellement nous faisons passer alors les autres avant nous-mêmes, nous continuons notre samsara sans nous échapper car intimement celui-ci est notre nirvana. Vie et mort ne sont pas séparées, nirvana et samsara sont notre lot quotidien et notre éveil incommensurable.

Que voulez-vous de plus ? Alors comprenez bien pourquoi vous pratiquez zazen, comprenez bien la chance que vous avez, arrêtez de râler, de penser que vous êtes fatigués, que vous avez mille choses d’autre à faire et lancez-vous sur cette Voie qui vous fera connaître intimement le divin et qui est bénéfique pour tous les êtres. Alors avec Ryokan :

Si les manches de ma bure de moine

Teinte à l’encre noire

Etaient plus larges, j’y abriterais

Le peuple de ce monde flottant

Où tout va de travers.

Donc élargissez vos manches et « remontez-les, les vôtres, pas celles de autres », dit Etienne.

Zazen 4

Sortir de nos illusions et trouver l’éveil dans notre vie elle-même, notre existence réelle, notre vie de bodhisattva, la direction ultime de notre passage sur cette terre. Il s’agit moins d’acquérir que d’abandonner.

Un jour Rinzaï était en train de se laver les pieds. Joshu arrive et lui demande : « Pourquoi Bodhidharma est-il venu d’Inde en Chine ? » Question imagée qui veut en fait dire : Qu’est-ce que le zen ? Quelle est l’essence du Buddha Dharma ? Rinzaï continue alors à se laver les pieds. Josshu s’approche, prétendant qu’il n’avait pas entendu la réponse de Rinzaï. A ce moment Rinzaï jette l’eau sale.

Dans le bouddhisme ésotérique, en particulier dans le bouddhisme shingon qui est donc beaucoup plus ancien que le zen au Japon puisqu’il date du début du 9ème siècle alors que Dogen y est arrivé avec l’enseignement de Nyojo au 13ème, il y a également des vœux que tout disciple prend avant son rituel d’initiation. Ce sont les préceptes du bouddhisme ésotérique ou les vœux. Ceux-ci commencent par la phrase : Ils sont la vie et la racine du dharma correct du mahayana. Ceux-ci sont très semblables aux vœux du bodhisattva que nous connaissons mais Kukai les exprime de façon un peu différente. Ce sont ces vœux qui doivent diriger notre vie de tous les jours, qui à la fois manifesteront notre vie éveillée et à la fois favoriseront son éclosion. Il y en a quatre. De la façon dont ils sont exprimés, ce sont effectivement des préceptes.

Le premier est :

« Ni abandonner le dharma juste, ni développer un comportement incorrect. Tous les enseignements corrects du Tathagata doivent sans exception être maitrisés et conservés, de la même façon que l’océan ne se fatigue jamais en avalant les eaux de centaines de rivières. Si qui que ce soit, pensant que certains sont parfaits et d’autres imparfaits, abandonne ne serait-ce qu’un seul enseignement et développe une mauvaise tournure d’esprit, il doit être appelé un destructeur. Il doit être expulsé. »

L’enseignement de Kukai est donc clair, net, précis et ne laisse aucune place à une discussion oiseuse. Tout compromis est banni. Les gens aiment bien les compromis mais non, pas de compromis dans la pratique spirituelle, celle-ci demande un engagement de chaque instant, une détermination indestructible. Il est malheureux de devoir constater que la pratique de tels préceptes s’est considérablement affaiblie au cours des siècles et certainement dans les mondes où les gens ont tout à disposition si bien qu’ils ne ressentent plus ce besoin impératif de l’âme de faire corps avec le dharma, ni cet intérêt de bien considérer tous les enseignements comme profitables à élever notre dimension humaine. Kukai insiste également sur le comportement et la bonne tournure d’esprit. C’est similaire à l’un de nos dix préceptes : ne pas critiquer la sangha, ni l’enseignement, ni certainement le Bouddha.

A tort il se trouve des gens qui pensent pouvoir adopter un comportement quelconque comme si celui-ci pouvait être séparé de la pratique de zazen. Au contraire dans le zen le comportement est très important autant qu’une tournure d’esprit tournée entièrement vers la pratique des enseignements salvifiques du dharma exprimés par le Bouddha et les Patriarches. C’est une pratique continue dans la vie. Celle-ci ne s’arrête de loin pas à la sortie du dojo, il s’agit de s’en souvenir constamment. C’est la raison pourquoi ceci est un précepte. Le suivre est une action de bien. Le négliger est mauvais pour tout le monde.

Donc au lieu de voir les préceptes comme des contraintes, il faut au contraire se réjouir de les suivre, de les avoir à l’esprit et de les pratiquer assidûment. Ceci à la fin rend l’esprit libre, honnête, lumineux et c’est une grande joie. Pratiquer les préceptes dans la joie du divin intérieur vous satisfera pleinement alors que les violer assombrira votre vie. Donc il n’y a pas à hésiter et mener sa vie en accord avec ces préceptes de bien.

Zazen 5

Le deuxième précepte du bouddhisme ésotérique de Kukai est le suivant :

« Ne jamais abandonner l’aspiration d’atteindre l’éveil. A partir de là s’en suivent toutes les actions du bodhisattva. C’est semblable à la bannière d’un général ; si elle est perdue, l’armée entière sera défaite. Par conséquent ne jamais abandonner l’aspiration d’atteindre l’éveil. Celui qui perd ce précepte doit être expulsé. »

C’est bodaishin, l’esprit qui nous pousse vers la Voie pour en faire profiter tous les êtres sensibles. D’où vient bodaishin, d’où vient cette détermination profonde sans laquelle toute pratique finit par s’éteindre, par s’évanouir dans les rues basses de nos phénomènes tel un homme errant dans un paysage inconnu ? Pratique et bodaishin vont de pair, ils ne sont pas séparés et grandissent ensemble, l’un générant l’autre et l’autre fortifiant l’un du moment que le principe dynamique est enclenché. Si notre pratique se ramollit, bodaishin devient absent, comme une vague idée éloignée de notre corps et de notre esprit, et si notre détermination flanche, notre pratique s’affaiblit. Alors là tout tourne en eau de boudin, la vie perd sa dynamique et tombe dans les dimensions communes, les petits soucis, l’emploi du temps mondain, les priorités purement personnelles, la préoccupation de l’agenda sur son smart phone.

La pratique de zazen est une pratique qui remplit toute notre vie, pas quelques années et puis c’est bon, j’ai compris, je peux arrêter, pas dix, vingt, trente ou plus années mais elle accompagne notre vie entière. C’est à nous de la renouveler chaque jour, c’est à nous à générer chaque jour la même détermination dénuée de toute hésitation, seuls nous-mêmes sommes dans le jeu, il faut bien comprendre cela, nous sommes entièrement responsables de notre esprit. Justement lorsque notre détermination est profonde, insondable et fermement établie, c’est la liberté, la vision claire de l’existence, la réalité évidente. C’est notre existence réelle, tout est dégagé. Qui ne désirerait pas cela ?

A partir de là vont suivre toutes les actions d’un bodhisattva. Toutes ses actions deviennent naturelles, il n’y a pas à se forcer. C’est semblable au psaume 23 de David, dans la traduction de Louis Segond :

Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort,

Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi :

Ta houlette et ton bâton me rassurent.

Tu dresses devant moi une table.

En face de mes adversaires

Tu oins ma tête d’huile

Et ma coupe déborde.

Oui le bonheur et la grâce m’accompagneront

Tous les jours de ma vie.

Et j’habiterai dans la maison de l’Eternel

Jusqu’à la fin de mes jours.

La compassion alors déborde du bodhisattva ainsi que son bonheur, ses efforts ne lui coûtent plus, entièrement libre il fait alors passer les autres avant lui-même. Tout cela en entretenant son esprit de la Voie des Bouddhas et des Patriarches et sa pratique spirituelle. Qui ne désirerait pas cela du fond de son âme ? Il ne tient qu’à vous-mêmes d’entreprendre et de faire ce voyage. La Voie est en elle-même ce chemin.

Zazen 6

Kukai annonce le troisième précepte du bouddhisme ésotérique :

« Ne pas être avare en ce qui concerne tout enseignement. Tous ces enseignements excellents résultent des efforts du Tathagata qui furent si douloureux au point qu’il y sacrifia sa vie entière. Ce sont l’héritage laissé à tous les êtres sensibles, comme les parents laissent toutes leurs propriétés à leurs enfants. Ils ne sont pas dirigés à une seule personne. Toute personne misérable qui ne les partage pas avec les autres se rend coupable de voler les Trois Trésors. Une telle personne doit être expulsée. »

Par exemple dans les mondos les réponses sont généralement pour tout le monde.

Que veut dire Kukai pour nous, maintenant. Une certaine tendance existe dans le zen et dans l’esprit de beaucoup de ses pratiquants que l’enseignement ne vient que de certaines personnes, les maîtres, les anciens ou tout bonnement les vieux, ou ceux qui ont côtoyé les patriarches fondateurs, tous les autres devant alors écouter. D’abord écouter est primordial bien sûr. Mais parallèlement l’enseignement du dharma ne devrait pas être considéré comme une chasse gardée, réservée à certains. Seulement il faut quand même savoir quoi dire, et dépasser ses considérations personnelles même si tout est vacuité, inexprimable et absolu. Il s’agit de partager humblement ce qui peut être utile à la compréhension et à la pratique de chacun. Se réfugier dans le silence et ne rien partager n’est pas un comportement de bodhisattva, ni de se vanter de quoi que ce soit. Ce serait comme dit Kukai vouloir s’approprier les Trois Trésors pour soi-même ce qui est équivalent à les voler.

Le fond de la chose est de ne pas vouloir s’approprier le zen, l’utiliser comme de l’air pour gonfler le ballon de son propre moi. Il faut bien comprendre le bouddhisme mahayana : ce n’est pas une Voie personnelle bien qu’elle soit pratiquée par des personnes. C’est une Voie qui nous porte au-delà de notre particulier, qui nous remplit d’une transcendance dépassant notre moi et non une activité qu’il s’agirait de s’approprier pour soi tout seul. Ne pas comprendre cela est passer son temps en vain. Ouvrez-vous complètement à cela.

Zazen 7

Le quatrième précepte de Kukai exprime bien un des fondements du bouddhisme mahayana:

« Ne rien faire qui ne soit au bénéfice de tous les êtres. Violer ce précepte est aller contre l’esprit des quatre actions globales, qui sont la charité, la parole encourageante, les actions bénéfiques et le pouvoir de s’adapter aux autres. Un bodhisattva doit pratiquer ces quatre actions et englober universellement tous les êtres sensibles en leur procurant les conditions qui sont dans leur intérêt dans la pratique de la Voie. Comment quiconque abandonnerait la pensée d’être bénéfique pour tous les êtres, qui au contraire les découragerait et se comporterait de façon contraire à ces quatre actions universelles ? S’il le fait, il doit être expulsé. »

On peut quand même se demander avec humour combien de personnes Kukai a-t-il expulsées. Le message s’adresse à chacun, pour lui-même, il ne s’agit nullement de l’envoyer à la figure de qui que ce soit. C’est ça la loi, chacun doit comprendre par lui-même, s’adresser à lui-même comme disait Etienne. S’il ne le fait pas alors il n’y a guère à faire. La vérité apparaîtra finalement d’elle-même avec le temps et les enseignements de la vie.

Pour cela, même si l’on ne comprend pas, même si l’on n’arrive pas à saisir intimement la profondeur d’une vie de bodhisattva, il faut continuer, toujours continuer la répétition infinie de notre pratique. A la fin le divin se manifestera, chacun finira par être attrapé par la Voie, touchera intimement son existence réelle et s’en réjouira pleinement. C’est maintenant, tout est dans votre esprit, l’au-delà du par-delà repose au sein de notre esprit alors ayez confiance, laissez-vous envahir par le Bouddha-dharma et surtout continuez, encore, encore et toujours encore, avec courage et détermination. Ceci est la véritable existence humaine et le bonheur le plus haut.

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