Aller au contenu
Accueil » Alternance entre illumination silencieuse et responsabilités mondaines : Maître Wanshi.

Alternance entre illumination silencieuse et responsabilités mondaines : Maître Wanshi.

Nous tous, nous vivons dans une alternance entre le silence du corps-esprit en zazen et tous les phénomènes qui ne manquent pas de nous arriver dans notre vie de tous les jours. Comment comprendre intimement que cette alternance continuelle est riche d’enseignement ? Comment créer une unité entre les deux, un état conscient dans le quotidien, un silence intérieur au-delà du bruit de nos pensées et du monde extérieur, comme le dit Sekito : « Tournez votre lumière pour illuminer votre être intérieur, et ensuite retournez au monde. » Pour cela il est important d’avoir des moments de silence.

Le silence qui est le cœur du zazen nous permet d’établir un lien entre notre esprit et le cosmos, et de retrouver le contact avec notre nature originelle, sans la contamination de nos émotions, sans l’agitation de nos pensées récurrentes. Nous entrons naturellement en unité avec le monde spirituel, avec la nature de toutes choses qui est la nôtre aussi, sans séparation. Cette connexion avec le monde spirituel, avec notre Mère Terre, nous fournit la confiance qu’au-delà de tous les obstacles, au-delà du chaos du monde matérialiste actuel, nous pouvons retrouver un état de paix intérieure où toutes choses redeviennent naturelles comme les battements de notre cœur, comme la vie qui palpite en nous, comme la nature, rivières, montagnes, pluie, vent, animaux et plantes. Nous ne sommes pas séparés de la nature, ni des êtres, ni d’aucune créature sensible, ni de la Terre qui nous apporte ce dont nous avons besoin pour vivre dans un don tellement généreux.

Dans un dojo il est bien de retrouver ce recueillement intérieur et ne pas voir uniquement disons faire zazen, comme prendre une posture, écouter et patienter, mais toucher à nouveau ce qui fait notre joie tranquille, le zen silencieux, notre propre silence, sans forme, sans précision, comme une création renouvelée de ce que nous sommes vraiment. Pour cela, abandonnez-vous vous-même, laissez aller, ne vous accrochez pas aux phénomènes, sans but, mushotoku.

Wanshi l’exprime de façon très poétique : « La vallée est vide, mais son écho résonne. » Cela parait comme impossible aux idiots : une vallée vide ne rend pas d’écho. Dans le zen oui, la vallée est vide mais son écho résonne. C’est cet écho que nous percevons intimement en nous-mêmes qui monte de la vallée vide. Il ajoute également : « Depuis le début, sans être limité par la vision ou l’écoute, le véritable soi joue dans le samadhi sans aucun obstacle. » Tout cela est naturel et bénéfique. A condition que nous ne nous opposions pas à ce développement inconscient, à condition que nous ne rajoutions pas sur nous-mêmes des couches et des couches d’illusion, d’amour exclusif, de haine, de préférence, de rejet, comme un oignon à mille pelures.

Donc on trouve déjà chez Wanshi, et même avant chez Sekito, un enseignement particulièrement adapté à notre époque : pratiquer une voie spirituelle, zazen, et se tourner vers le monde d’aujourd’hui.

Wanshi dit : « La vallée est vide, mais son écho résonne. » L’appel de notre désir d’une paix intérieure, du corps et de l’esprit, monte en nous si  nous y sommes un peu attentifs. Pour entendre l’écho de la vallée vide rien de mieux que le silence intérieur aussi bien dans le mokusho zen que chaque jour.

Que se passa-t-il pour Bouddha ? Tout l’univers était là, silencieux, tranquille, comme son esprit, comme une vallée vide. Là à ce moment, entre lui-même et le monde l’écho résonna. Faire cette expérience de la grande vacuité où tout existe mais où tout est contenu, enveloppé dans notre éveil silencieux, est merveilleux. Dans un dojo, même si on fait face au mur et qu’on ne voit pas l’étoile du matin, la clarté et le silence de la nature, même le silence de l’univers, nous pouvons retrouver cette grande vacuité intérieure. Vous ne pouvez pas la saisir, elle vous habite, c’est vous-mêmes. Il ne s’agit pas en zazen de trouver quoi que ce soit, de faire des efforts surhumains pour se hisser sur la montagne du satori, mais de se laisser attraper, envahir par ce silence paisible qui nous remet en place.

Dans notre vie de tous les jours la vallée est bien pleine. Multiples activités, famille, enfants, l’argent, le travail ou en trouver remplissent les journées qui passent vite. Alors là au milieu des fois pour certains le zen, pratiquer au dojo, est encore une chose qui se rajoute à tout le reste. Le zazen est vu de l’extérieur, et on oublie qu’il nous donne ce contact étroit avec notre foi religieuse, cette foi qui relie tout, c’est-à-dire qui rassemble notre être souvent écartelé par les phénomènes, notre esprit qui a tendance à se polariser sur le torrent des activités qui se succèdent. Nous retrouvons alors ce qui nous relie à toute l’humanité spirituelle. Au milieu de tout cela retourner à la vallée vide. En zazen ça vient tout seul. La seule chose à faire est de s’asseoir au lieu de courir tout le temps. Mais le reste de la journée ?

Tous les jours, chacun nous devons faire ce qu’il faut. Le tout est de ne s’attacher ni aux objets, ni aux actions, laisser la place en nous-mêmes à la vallée vide. Tout est forme, notre corps a grandi de la terre et du monde, notre esprit de l’humanité entière. Nous vivons pendant un certain temps, rien ne nous appartient en propre. Même si la vallée est pleine, pour nous à l’intérieur elle est vide. Elle laisse toute la place à l’amour, à la compassion, à la foi religieuse. Chaque jour il ne faut pas oublier cela, puisque nous avons la chance de pratiquer zazen. Et à nouveau ne vous accrochez pas aux phénomènes.

Il est dit que zazen est semblable à vider sa tasse de thé. Dans une tasse de thé pleine personne ne peut rien mettre. Comme à Manhattan, il n’y a aucune place pour mettre un quelconque nouvel immeuble. Bien sûr chaque jour notre esprit se remplit à nouveau de réalité et nous oublions que tout passe, que tout est impermanent, que tout prend une forme ou une autre. Aussi faut-il avoir la conscience de ne pas remplir entièrement sa tasse, mais de laisser en nous-mêmes cette partie précieuse, ce quartier de vallée vide, garder également l’esprit silencieux calmant notre corps et ne pas nous précipiter à nouveau dans le fleuve de nos activités.

On se remplit très vite, on oublie très vite cette création intérieure qui nous satisfait pleinement. Lorsque tout est plein, c’est bloqué comme un évier bouché. Donc il faut continuellement retrouver la véritable motivation de notre pratique spirituelle, revenir à l’essentiel, la vallée vide et ne pas se laisser attraper par nos activités. Alors l’essence de la parole devient le silence, l’essence de l’action la tranquillité, l’essence de nous-mêmes ouverte et accueillant le tout.

Pour Wanshi la justification principale de la pratique est de « partager sans compter votre être avec les centaines de brins d’herbe du marché en pleine activité », c’est-à-dire avec tous les êtres dans leurs activités de la vie quotidienne. Aucune séparation ne doit être envisagée et ainsi vous partagez les bienfaits de votre éveil avec tous, tous les jours. Bien sûr pour Wanshi, abbé d’un grand monastère, cela sonne différemment que pour nous où cette alternance doit composer le terreau, la terre, l’engrais de notre pratique. Nous n’avons qu’une vie, tous les jours avec zazen, il s’agit simplement que tout se mette naturellement en place, sans forcer, sans s’opposer à quoi que ce soit non plus, sans trop de préférences, laissez suffisamment aller pour que tout s’harmonise naturellement, comme toutes choses dans la nature.

La méditation, le zazen, nous permet de résider dans un état conscient dans la vie quotidienne en connexion avec le monde et non de nous perdre dans un isolement de pensées irréelles. Maître Wanshi ajoute : « Ayant opéré un demi-tour sur vous-mêmes, et acceptant tous les aspects de votre situation présente, si vous mettez un pied sur la Voie, l’énergie spirituelle vous transportera merveilleusement. Entrez en contact avec tous les phénomènes, avec une sincérité totale, sans qu’aucun atome de poussière ne réside en dehors de vous-mêmes. »

De façon générale tout le monde connaît, même si les gens ne les maîtrisent pas, les phénomènes de la vie. Ils les contrôlent plus ou moins, suffisamment, ou alors sont enlevés par leur tempête. En même temps tous les pratiquants voudraient également connaître, saisir, savoir ce qu’est vraiment la source de leur énergie spirituelle. Bodaishin, l’esprit de la Voie, notre poussée intérieure qui nous amène à pratiquer cette méditation du corps et de l’esprit, chacun voudrait pouvoir dire, je l’ai, c’est ça, c’est vrai, ceci est la foi. Mais ceci c’est quoi ?

Si nous restons ouverts au monde, à tout ce qui nous arrive, avec un esprit souple, au soleil qui se lève, à nos journées, alors nous pouvons en tirer un enseignement sur nous-mêmes qui nous permet d’approfondir notre confiance, d’augmenter notre sagesse, et de tirer un enseignement de nos erreurs, de nos défauts et de nos peurs. Nous pouvons voir la valeur de les affronter pour nous en libérer et devenir des êtres éveillés.

Toujours et très vite nous nous alourdissons dans les préoccupations, dans le monde matériel, notre esprit s’embrume de multiples soucis et pensées. Revenir à cette vacuité, à ce silence est devenir à nouveau léger, libre, vivant, et pourtant :

« La véritable illumination est toujours avec vous, ainsi n’est-il nullement besoin de s’y attacher ni même d’y penser. Parce qu’elle est constamment avec vous, la difficulté elle-même est illumination. Votre vie occupée elle-même est une activité illuminée. Ceci est la véritable illumination », ajoute Suzuki Roshi.

Voyez alors votre vie entière comme l’illumination, c’est un regard très différent sur toutes choses, léger, joyeux, confiant. Surtout n’alourdissez pas le zazen avec la pesanteur de votre ego, mais bien au contraire soyez comme une plume volant dans le vent précieux. Soyez ainsi également dans le dojo, tous frères et sœurs du grand dharma vide, croyez à la vraie pratique des êtres éveillés et voyez en chacun la manifestation vivante d’une illumination universelle. Le soleil se lève, ayez les yeux grand ouverts.

Chacun de nous perçoit cet écho à l’intérieur de soi-même, l’écho de son désir profond de sacré, de spirituel, d’absolu, de compassion, comme un univers enfoui au plus profond de nous-mêmes. Bien sûr d’un autre côté on pratique seul, seul avec notre propre corps et notre conscience, mais pas seulement. Cet écho vide de mots nous habite également et nous relie à tout. Habités par cet écho de notre terre et de notre humanité, nous voyons alors les phénomènes de notre vie différemment, réels sans l’être vraiment. Cette présence nous accompagne et rend notre solitude religieuse habitée par une vacuité dont nous tirons notre énergie. Ce point ultime est à la fois partout et nulle part en particulier, nous devenons plus universels, libérés de tout objet.

Une fois un disciple demanda à son maître :

  • Maître comment parvenir à l’illumination ?
  • C’est très simple répondit le maître. Pour y parvenir il te faut faire exactement ce que tu fais chaque matin pour que le soleil se lève.
  • ??!!!

Il retourne vers son maître pour lui avouer qu’il ne fait rien et lui dit :

  • Mais alors à quoi sert le fait d’étudier les sutras, de rester assis pendant des heures, de faire toutes ces cérémonies et d’apprendre la calligraphie. A quoi tout cela sert si de toutes façons il n’y a rien à faire pour que le soleil se lève de lui-même.
  • C’est précisément pour que, lorsque le soleil se lève et inonde le monde de sa lumière, tu aies vraiment les yeux bien ouverts.

De la même façon tout ce travail continu de pratique est simplement pour entendre cet écho, pour que tout se manifeste en nous, que nous devenions libres et universels. On travaille sur cette grande affaire pour atteindre le vide de la vallée. Mais dès notre naissance le soleil s’est levé, comme chaque jour d’éveil. C’est le premier chemin l’enseignement sur nous-mêmes. Le deuxième chemin est de nous tourner alors vers l’extérieur, de travailler à son union. Le zazen consiste à être à la fois la totalité et la vacuité, à être tout et à être rien, être la totalité de notre être et parvenir à notre vide essentiel qui est en lui-même cette totalité. C’est à la fois très simple et complexe, atteindre la libération et jouer dans le samadhi en zazen et dans la vie sans en être empêché par les mille pelures de notre oignon.

Suzuki Roshi dit : « Bien que nous n’ayons aucun message écrit provenant du monde de la vacuité, nous avons quelques indices ou quelques suggestions sur ce qui se passe dans ce monde, et ce qui est, pourrions-nous dire, l’illumination. Lorsque vous voyez les pruniers en fleurs ou entendez le son d’un petit caillou heurtant un bambou, c’est une lettre du monde de la vacuité. Lorsque nous recevons une lettre du monde de la vacuité, alors la pratique de shikantaza est active. »

Dans son dernier mondo, Etienne répond à une question sur les pensées, il dit :

« Tenez, maintenez l’instant présent. Maître Ryokan disait : mon vrai lieu de naissance, c’est ici et maintenant. Tenez cet instant présent, cette éternité de maintenant. C’est zazen. Cela veut dire continuer. L’instant est gyoji, c’est l’éternité. C’est très profond. Mon lieu de naissance, c’est ici et maintenant. Créez aussi la vraie liberté de votre esprit. La Voie est partout, ne négligez rien de cette Voie. »

Le poète Ryokan a dit : « Je suis un moine tranquille vivant dans une époque de paix. » Aujourd’hui même au milieu des six mondes du samsara, nous pouvons protéger en nous-mêmes une paix du corps et de l’esprit, paix qui nous permet d’aller vers ce monde pour l’aider à se transformer, en faisant le mieux que nous pouvons, en gardant une grande humilité, et une foi indestructible.