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A la source du Chan: Le Traité de Bodhidharma (2)

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Le sermon de l’éveil

Le sutra dit : « L’essence de la Voie est le non-attachement. Ceci est l’éveil car il rejette les apparences. Ceux qui se libèrent de toutes les apparences sont appelés des bouddhas. » Ne pas être lié aux apparences est simplement être conscient de la réalité des choses qui se présentent et non de croire aux projections de notre esprit. Nous avons constamment la tendance à fabriquer des contradictions mentales entre le pur et l’impur en restant dans des opinions qui finalement nous enferment dans notre propre monde, et nous isolent. Les apparences sont ce que nous voyons, ce que nous entendons, ce que nous interprétons, sur la société, sur les gens, la politique. Il faut se rendre compte de cela à chaque instant et ne pas prendre nos idées pour la vérité, pour la réalité, tout passe par notre esprit.

Nous créons aussi nous-mêmes beaucoup d’apparences, de formes : « Je suis un maître zen, je suis un ancien moine, je suis le président de cette Association, je suis ouvrier, technicien, col blanc, un winner, un directeur, un professeur, vous savez qui je suis ? Je suis, je suis …  Je suis déprimé, je ne peux pas y arriver, je suis quelqu’un dont il faut prendre soin. Ou alors : je suis le premier disciple, je les dépasse tous, ils ne comprennent rien au zen, je suis, je suis …» Tout cela ne sont que des formes, des apparences, auxquelles, si nous nous piégeons à y croire, nous risquons de nous identifier, de créer un personnage et ainsi de nous aliéner à nous-mêmes et aux autres en oubliant que nous sommes simplement des êtres humains qui possèdent originellement la nature de Bouddha. Tout ça au profit de quoi ? D’une identification factice, d’un masque qui un jour s’écaillera. Il vaut mieux montrer son vrai visage, avoir à l’esprit notre nature originelle sans toutes ces peintures artificielles. Se détacher des apparences et ne pas en créer, faire preuve de sagesse.

Par exemple les trois poisons. Les trois poisons sont l’avidité, la colère et l’illusion. Si nous sommes pris par les trois poisons, il n’y a aucune libération possible. On peut quitter ces trois royaumes nocifs par les vertus de l’éthique, de la méditation et de la sagesse. Mais surtout il nous faut réaliser que ces poisons n’ont aucune nature propre en eux-mêmes. Le pur et l’impur non plus. Ils dépendent de notre état de mortels. Le sutra dit : « Quiconque est capable de réflexion est destiné à voir que la nature de l’avidité, de la colère et de l’illusion est vide. » Par conséquent ils sont eux-mêmes également la nature de Bouddha. Le pur et l’impur sont sur les plateaux d’une balance, c’est notre esprit qui la fait pencher d’un côté ou de l’autre, mais en eux-mêmes ils n’ont pas d’existence propre. Parallèlement, sur le chemin du bien le mal n’existe pas et sur le chemin du mal le bien ne peut pas apparaître.

Par exemple, il ne peut y avoir de la glace sans eau. Bien que la glace et l’eau aient une apparence différente, leur nature est la même. Une pièce de monnaie a un côté face et un côté pile. Ils ont des apparences différentes. Quand nous regardons le côté pile nous ne voyons pas le côté face, et quand nous regardons le côté face, nous ne voyons pas le côté pile. Mais la nature de la pièce de monnaie, le métal, est la même. Si nous appliquons un regard pur, nous ne voyons pas l’impur, et vice et versa, mais il faut comprendre que pur et impur sont vides de sens en eux-mêmes, leur sens est dans notre esprit. D’où l’importance primordiale de changer un peu son esprit.

La nature de la souffrance aussi est vide. Lorsque nos pensées apparaissent nous entrons aussi dans les trois royaumes des poisons. Lorsque nos pensées disparaissent on les quitte. C’est l’importance de la méditation. Lorsque nous sommes éveillés, nous réalisons qu’il n’y a rien dans notre vie auquel nous pouvons échapper, tout est dans notre vie de tous les jours. Le sutra dit : « Etre impartial signifie de regarder la souffrance, ou l’insatisfaction, notre soif des choses, comme n’étant pas différente du nirvana car la nature originelle des deux est la vacuité. Les bodhisattvas savent que la souffrance est essentiellement vide. » Tout dépend de notre esprit, être piégé dans les trois royaumes des poisons, ou en sortir, tout est dans notre esprit. Constamment nous créons du Moi, de là vient le problème. Le Bouddha est libéré par les êtres humains éveillés.

Lorsque notre esprit de mortel apparaît, Bouddha disparaît, la réalité disparaît au profit de nos illusions, et lorsque nos pensées disparaissent Bouddha apparaît, la réalité peut apparaître. Si vous cheminez sur la Voie de l’éveil, ne recherchez rien au-delà de vous-mêmes. « Celui qui cherche la Voie sait que l’esprit est la Voie. Mais lorsqu’il trouve son esprit, il ne trouve rien. Et lorsqu’il trouve la Voie, il ne trouve rien. Si vous pensez que vous pouvez utiliser votre esprit pour trouver la Voie, vous vous trompez. Lorsque l’esprit atteint le nirvana, vous ne voyez pas le nirvana parce que l’esprit lui-même est le nirvana. Mais quand vous êtes dans l’illusion, la bouddhéité existe. » Comme un prisonnier qui ressent la réalité de la liberté. Quand il est libre, la liberté n’a plus d’apparence il l’a vit. L’éveil est Bouddha, sortir de l’obscurcissement de notre esprit est créer les conditions dans lesquels notre éveil peut apparaître.  Percevoir à la fois l’existence et la non-existence des phénomènes, la nature des phénomènes, est résider dans le non-attachement et être libéré.

On raconte souvent l’histoire des deux rives, de traverser sur l’autre rive. Vous êtes sur la rive d’un fleuve et pensez que l’éveil se trouve sur l’autre rive et que vous devez traverser le fleuve pour y parvenir. Mais une fois que vous êtes au-delà de l’illusion et de l’éveil, l’autre rive disparaît, vous êtes juste où vous êtes, conscient dans votre vie. Bouddha n’est pas de l’autre côté, ni dans la rivière. C’est être au-delà d’une rive ou d’une autre, simplement éveillé, présent, où que vous soyez. Comprendre Bouddha sans utiliser votre esprit. Il ne s’agit pas de croire que la sagesse de notre propre esprit est bouddha, l’esprit sans aucune entrave est Bouddha, sans que nous créions quelque chose de spécial. Les gens aiment toujours croire à quelque chose de spécial, un éveil spécial, un état de Bouddha spécial, une illumination spéciale, qui à la fin n’est qu’un mirage créé par notre esprit. Un mirage n’est qu’une apparence, il n’y a pas d’eau ou de lac sur la route surchauffée au soleil.

L’activité de notre esprit a deux aspects : pur et impur. Dans toute activité mentale, ces deux aspects sont toujours présents. Ils alternent dépendant des causes et des conditions, nous pouvons tous être affectés par une activité impure de l’esprit, en pensant à des choses diaboliques. Les sages sont ceux qui ne sont pas touchés par un tel esprit. Le sutra dit : « Dans le corps des mortels existe la nature indestructible de bouddha. Comme le soleil, sa lumière remplit l’espace infini. Mais une fois voilée par les nuages obscurs que nous créons nous-mêmes, elle est comme une lumière au fond d’un puits, hors de vue. » Cela dépend de nous soit de répandre la lumière soit de la cacher, ou même de l’éteindre, alors répandons-là, elle ne s’épuisera pas. Si notre lumière devient obscurcie par les trois poisons, nous ne pouvons nous appeler des êtres libérés jusqu’à ce que nous puissions dépasser nos pensées maléfiques, qui sont si nombreuses. Le sutra dit aussi que si les pensées sont impures, les êtres sont impurs et si les pensées sont pures les êtres sont purs. Alors comment les bodhisattvas, les grands bodhisattvas, ont-ils atteint l’éveil ? Quels sont les moyens habiles qu’ils ont utilisés ?

Les grands bodhisattvas ont atteint l’éveil en observant les préceptes et en pratiquant les six paramitas. En tout cas ils n’ont jamais négligé ces pratiques de bien. Sans cultiver une certaine discipline comment qui que ce soit pourrait-il atteindre l’éveil ? Peu de pratiquants sont d’emblée des bodhisattvas de compréhension immédiate, la plupart d’entre nous sont des bodhisattvas de compréhension graduelle. Pour ceux-ci, les préceptes les protègent des trois poisons et la pratique des paramitas les purifie. Ce sont des actions auxquelles nous pouvons penser à chaque heure de la journée, et font partie de notre activité quotidienne. Les préceptes et la pratique des paramitas font partie de nos vœux de bodhisattva de libérer tous les êtres, de cultiver toutes les vertus et d’arrêter le mal. Cela ne se fait pas sans effort au début de la pratique. Toute Voie spirituelle demande un effort, ce serait une illusion complète de croire que l’on puisse acquérir les grandes qualités de Bodhidharma juste en dilettante, cela demande vraiment une détermination, un abandon de son Moi, une énergie infatigable, une foi et une joie intérieure pleine de flamme.

Déjà nous avons tous un karma, certains plus lourd que d’autres, certains le voient, le comprennent et font des efforts pour vivre avec, l’utiliser pour le bien et ne pas y être soumis dans l’instant de la décision. D’autres se lamentent de leur karma sans rien changer. Sur une Voie spirituelle authentique, il faut sortir du chemin de son confort, aller au-delà de sa zone de confort, changer sa vie, son mode d’existence. Avoir le beurre et l’argent du beurre n’est pas possible. Le vœux du bodhisattva ne sont pas de vagues espoirs pour plus tard, mais une vision de nos journées. Il y a toujours un moment où il faut choisir entre la Voie de l’éveillé avec toutes les conséquences que cela entraîne, ou la voie mondaine qui mène à bien des choses mais pas à la réalisation d’une existence qui prend un sens intérieur pleinement satisfaisant.

Le karma de la naissance reste pour toute la vie. Ensuite l’éducation, les autres, l’influence des expériences que l’ont fait, on ne peut pas tout changer mais on peut connaître son karma et utiliser ses bons côtés pour notre bien et celui de tous. Si nous restons ignorants de notre histoire, celle-ci se répétera inlassablement et dukkha continuera. Abandonner, laisser partir les côtés emprisonnant notre karma, ne nous attacher à rien, ce qui n’empêche aucune responsabilité, ni aucun amour, nous ouvrira la caverne aux joyaux de la vie et nous pourrons nous servir à profusion sans que la montagne des trésors ne diminue. La nature de notre karma est sans origine, ce que nous faisons de ce karma est notre esprit, rien dans le karma n’est inéluctable. Le karma n’a rien à rien avec une quelconque prédétermination, en essence nous sommes libres, notre esprit est libre, ne l’enfermons pas dans un karma somme toute bien illusoire. La nature du karma, comme la nature de la colère, de la haine, ou de la joie, est vide et si vous le laisser disparaître vous êtes alors libéré de votre karma. Peut-être pas de façon permanente mais en tout cas sur le moment. Libérez-vous de l’obsession de l’enfer, ou du désir insatiable du paradis, acceptez que samsara et nirvana ne sont que dans votre esprit et continuez joyeusement votre vie. Un moine n’oublie jamais ni ses vœux, ni son énergie de don. Etienne Mokusho Zeisler a dit : « Abandonnez votre manteau de roi, laissez tomber vos guenille de mendiant. »

En résumé, je crois que vous avez compris, tout est dans notre esprit. La Voie des bouddhas est de changer son esprit. Cela ne peut se faire qu’en changeant sa vie, sa vision de la vie, avec détermination et confiance. Méditation et compréhension corporelle de la vacuité, sagesse et agir avec attention, avec réalisme, éthique de vie, moralité et discipline sont les clés d’un mode de vie. Seules les personnes attachées à leur Moi et à leur propre situation et bien-être pourraient trouver cela stupide. Tout être conscient et éveillé sait au fond de lui que le secret de sa vie réside dans ces actions, tout en sachant également qu’un tel équilibre ne peut perdurer d’instant en instant qu’avec un dévouement, une énergie renouvelée incessante. Bon courage alors à tous et à toutes sur ce chemin de lumière répandue pour tous autour de vous !

Bibliographie :

« Le traité de Bodhidharma », Bernard Faure, Eds Le Point Sagesses, ISBN 2.02.036737.8

« The Zen teaching of Bodhidharma », John Blofeld, https://selfdefinition.org/zen/Zen-Teaching-of-Bodhidharma-trans-Red-Pine-clearscan.pdf

« Bodhidharma à l’origine du chan/zen » Bernard Faure, https://www.academia.edu/35166741/Bodhidharma_à_lorigine_du_Chan_Zen

« Le traité de Bodhidharma (Introduction) », Bernard Faure, https://www.academia.edu/11412775/Le_Traité_de_Bodhidharma_introduction_

 

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